3 mai 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-86.155

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2017:CR01050

Titres et sommaires

ETAT D'URGENCE - assignation à résidence - non-respect de l'assignation à résidence - eléments constitutifs - elément légal - arrêté d'assignation à résidence - légalité - conditions - motivation - raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics - appréciation par les juridictions pénales - sollicitation d'éléments factuels - nécessité

En vertu de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, garantissant le droit à la sûreté, le juge pénal, lorsqu'il envisage, dans un cas prévu par la loi, de prononcer une peine privative de liberté à l'encontre d'une personne poursuivie au seul motif qu'elle s'est soustraite à l'exécution d'un acte administratif la concernant, doit s'assurer préalablement que l'obligation dont la violation est alléguée était nécessaire et proportionnée. En application de l'article 111-5 du code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité, lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. Dès lors, méconnaît les dispositions précitées la cour d'appel, qui, pour déclarer un prévenu coupable du chef de non-respect de l'assignation à résidence prononcée par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'état d'urgence, selon l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions, s'abstient de répondre aux griefs invoqués par les prévenus à l'encontre de cet acte administratif, alors qu'il lui appartenait, sans faire peser la charge de la preuve sur les seuls intéressés, de solliciter, le cas échéant, le ministère public afin d'obtenir de l'autorité administrative les éléments factuels sur lesquels celle-ci s'était fondée pour prendre sa décision

Texte de la décision

N° C 16-86.155 FS-P+B+R+I

N° 1050


VD1
3 MAI 2017


CASSATION


M. GUÉRIN président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :



Statuant sur les pourvois formés par :


-
-
M. X... Y...,
M. Nassim Z...,


contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 22 septembre 2016, qui, pour non-respect de l'assignation à résidence prononcée par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'état d'urgence, a condamné, le premier, à cinq mois d'emprisonnement, le second, à trois mois d'emprisonnement, et a ordonné une mesure de confiscation ;




La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 mars 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, M. A..., conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. B... ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller A... et les conclusions de M. le premier avocat général B... ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire personnel et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale, ;

Vu les articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 111-5 du code pénal et 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions ;

Attendu que le droit à la sûreté garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen commande au juge pénal, lorsqu'il envisage, dans un cas prévu par la loi, de prononcer une peine privative de liberté à l'encontre d'une personne poursuivie au seul motif qu'elle s'est soustraite à l'exécution d'un acte administratif la concernant, de s'assurer préalablement que l'obligation dont la violation est alléguée était nécessaire et proportionnée ;

Attendu qu'aux termes du deuxième de ces textes, les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ;

Attendu que, selon le troisième de ces textes, le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il détermine, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées audit article 2 ; que cette personne peut également être astreinte, d'une part, à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures, d'autre part, à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence déterminée dans la limite de trois présentations par jour ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 22 juillet 2016, le ministre de l'intérieur a pris, au visa, notamment, de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 modifiée relative à l'état d'urgence, deux arrêtés d'assignation à résidence visant MM. Z... et X... Y..., lesquels ont été notifiés aux intéressés ; que ces arrêtés ont astreint M. Y... et M. Z..., d'une part, à résider, le premier sur le territoire de la commune d'Ostwald(67) et le second sur celle de Strasbourg(67), chacun ayant, en outre, obligation de demeurer à une adresse déterminée pour la nuit selon un horaire précis, d'autre part, à se présenter quotidiennement, à heures fixes, à l'hôtel de police de Strasbourg ; que l'arrêté concernant Y... a précisé que les déplacements effectués par ses soins afin de se conformer à cette dernière obligation constituaient la seule dérogation à l'obligation de résidence qui lui a été imposée ; que chacun de ces arrêtés a été motivé, d'une part, au regard de la gravité de la menace terroriste sur le territoire national, d'autre part, compte-tenu d'éléments propres à chacun des deux prévenus relevant de leurs activités, de documents possédés par eux ou consultés par leur soin, ainsi que de la personnalité et de l'activité de certains de leurs contacts ; qu'une enquête a été ouverte à la suite du recueil de l'information par des policiers de ce que ces deux personnes s'étaient soustraites aux obligations de leur assignation à résidence, dès le 29 juillet 2016, puis à nouveau les 3 et 4 août 2016, s'agissant de M Y..., d'une part, le 3 août 2016 pour ce qui est de M Z..., d'autre part ; que les investigations entreprises ont confirmé la violation de l'obligation de résidence imposée à M Y... et Z... en exécution des deux arrêtés d'assignation à résidence susvisés ; que les prévenus ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de non-respect d'une assignation à résidence prononcée par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'état d'urgence ; que les juges du premier degré les ont renvoyés des fins de la poursuite ; que le procureur de la République a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour écarter, dans les conditions prévues à l'article 186 du code de procédure pénale, l'exception d'illégalité des arrêtés d'assignation à résidence soulevée par les prévenus et retenir MM. Y... et Z... dans les liens de la prévention, l'arrêt relève que ces actes administratifs ont été motivés par la référence à des éléments factuels, dont l'autorité administrative a déduit l'existence de raisons sérieuses de penser que le comportement des intéressés constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics sous le régime de l'état d'urgence ; que les juges ajoutent que, d'une part, les prévenus, tout en contestant la réalité des faits énoncés dans ces arrêtés ou l'interprétation qu'en a donnée l'administration, ont été dans l'incapacité d'étayer leurs allégations, d'autre part, la preuve de la fausseté desdits faits ou l'erreur d'interprétation qui en aurait été donnée ne saurait être trouvée dans l'absence de production aux débats d'éléments permettant de conforter la motivation de chacun de ces actes administratifs ; qu'ils en déduisent que les prévenus demandent à la juridiction répressive de contrôler l'opportunité des actes administratifs individuels les concernant ; qu'ils relèvent que la matérialité du non-respect de l'assignation à résidence dont chacun des deux prévenus a fait l'objet n'est pas contestée et que les manquements aux obligations imposées ont été délibérés ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, s'il appartient au prévenu, poursuivi pour non-respect de l'assignation à résidence prononcée par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'état d'urgence, de préciser sur quels éléments porte sa contestation des raisons retenues par l'arrêté ministériel permettant de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics, il incombe au juge répressif, compétent pour apprécier la légalité des arrêtés d'assignation à résidence, de répondre aux griefs invoqués par le prévenu à l'encontre de cet acte administratif, sans faire peser la charge de la preuve sur le seul intéressé et en sollicitant, le cas échéant, le ministère public afin d'obtenir de l'autorité administrative les éléments factuels sur lesquels celle-ci s'était fondée pour prendre sa décision, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 22 septembre 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;





Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois mai deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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