22 juin 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-15.767

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:C300745

Titres et sommaires

BAIL RURAL - statut du fermage et du métayage - domaine d'application - caractère agricole de l'activité exercée - qualification - activité de préparation des équidés domestiques en vue de leur exploitation - application dans le temps - application immédiate - application aux situations en cours

La loi n° 2005-157 du 23 février 2005, qui a complété l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, définissant comme activités agricoles les "activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l'exclusion des activités de spectacle", s'applique immédiatement aux situations de fait en cours au moment de son entrée en vigueur

Texte de la décision

CIV.3

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 juin 2017




Cassation partielle


M. X..., président



Arrêt n° 745 F-P+B

Pourvoi n° U 16-15.767







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Stanford, société civile immobilière, dont le siège est [...],

contre l'arrêt rendu le 23 février 2016 par la cour d'appel d'Amiens (chambre des baux ruraux), dans le litige l'opposant à Mme Marie-Annick A..., domiciliée [...],

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 23 mai 2017, où étaient présents : M. X..., président, Mme Y..., conseiller rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Besse, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Y..., conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Stanford, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme A..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 23 février 2016), que Mme A..., qui occupe des parcelles de terre appartenant à la SCI Stanford, a sollicité l'établissement par écrit d'un bail rural et subsidiairement la reconnaissance d'un tel bail ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SCI Stanford fait grief à l'arrêt d'accueillir la première de ces demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la société Stanford faisait valoir dans ses conclusions qu'elle avait acquis le bien libre de toute occupation, et que les loyers versés postérieurement à son acquisition l'avaient été non par Mme A... elle-même, mais par le domaine de Lieu Dieu ; que les seuls paiements constatés par la cour d'appel comme émanant de Mme A... étaient antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2005 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, de nature à établir que Mme A... n'était pas liée par un bail, de quelque nature que ce soit, à la SCI Stanford, faute de lui avoir versé des loyers, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que subsidiairement, un bail peut être verbal ; que la cour d'appel a considéré que Mme A... bénéficiait de la mise à disposition, à titre onéreux, de parcelles appartenant à la SCI Stanford ; qu'en énonçant, pour dire la loi du 25 février 2005 immédiatement applicable à Mme A..., à compter de son entrée en vigueur, et en déduire qu'elle bénéficiait à compter de cette même date d'un bail rural, que l'activité équestre qu'elle exerçait était une situation de fait sans caractère contractuel et que la loi nouvelle était immédiatement applicable aux situations de fait en cours, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1709 et 1715 du code civil, ensemble l'article 2 du même code et l'article 105 de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que Mme A... exploitait un centre équestre à titre personnel, sous l'enseigne domaine du Lieu Dieu, qui constituait une simple appellation dépourvue de personnalité juridique, et souverainement retenu que le caractère onéreux de la mise à disposition des parcelles résultait des courriers échangés entre les parties et des justificatifs de paiement versés aux débats, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que Mme A... exerçait, au titre d'une mise à disposition de parcelles à titre onéreux, sans caractère contractuel, une activité d'enseignement de l'équitation, reconnue comme activité agricole depuis la loi du 23 février 2005, et retenu à bon droit que cette loi s'appliquait immédiatement aux situations de fait en cours au moment de son entrée en vigueur, la cour d'appel en a exactement déduit que Mme A... pouvait revendiquer l'application du statut du fermage et qu'un bail rural devait être établi par écrit ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 565 du code de procédure civile ;

Attendu que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande de résiliation du bail pour défaut d'entretien des parcelles, formée par la SCI Stanford, l'arrêt retient que cette demande, présentée pour la première fois en cause d'appel, ne se rattache pas par un lien suffisant aux prétentions originaires ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette demande tendait, comme celle s'opposant en première instance à la reconnaissance d'un bail rural, à voir écarter l'application du statut du fermage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de résiliation de bail formée par la SCI Stanford, l'arrêt rendu le 23 février 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Stanford.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mme A... est titulaire d'un bail rural sur 2ha 65a 40 ca de pâtures sises commune de Beauchamps, sections [...] et [...] , d'avoir ordonné à la SCI Stanford de régulariser un bail écrit conforme aux dispositions de l'article L. 411-4 du code rural, d'avoir déclaré la SCI Stanford occupante sans droit ni titre, et d'avoir ordonné son expulsion ;

AUX MOTIFS QUE la qualité de commerçante de Mme A... inscrite au RCS depuis le 11 juin 1986 pour une activité de « club hippique, gîte d'étape et d'accueil, diverses activités complémentaires, débit de boisson à consommer sur place restauration » n'est pas de nature à la priver du statut du fermage ; qu'il s'explique en l'occurrence par le fait que les activités hippiques ne relevaient pas alors des activités agricoles et que s'y adjoignaient d'autres activités pouvant être considérées comme commerciales ; que la possibilité de s'inscrire auprès de la MSA au titre des activités équestres a précédé la reconnaissance par la loi du 23 février 2005 de leur caractère agricole ; qu'il est reconnu depuis l'adoption de cette loi aux activités de préparation et d'entraînement des équidés en vue de leur exploitation un caractère agricole ; qu'il est pratiqué dans le centre équestre du Lieu Dieu qui fait partie de la fédération française d'équitation une activité d'enseignement comme l'établissent notamment le nombre important de licences délivrées aux clients qui pratiquent dans le centre ainsi que le planning des cours d'équitation activité qui entre dans le champ d'application de l'article L. 311-1 en vue de la reconnaissance de son caractère agricole ; que dès lors que sont exploités des équidés à des fins visées par ce texte, il est pratiqué dans le centre une activité agricole ; qu'il est constant que la parcelle litigieuse est un immeuble à usage agricole ; qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier qu'elle aurait été détournée de sa destination agricole pour avoir été utilisée à des fins étrangères à l'activité équestre ; que le fait que Mme A... ait développé des activités d'hébergement et de restauration n'a pas détourné la parcelle litigieuse de sa destination et de sa vocation à bénéficier du statut du fermage ; que les passages extraits du courriel du gérant de la SCI Stanford ainsi que du courrier de son notaire adressés à Mme A... : « je crois que le bail a été fait oralement ce qui n'est pas simple pour la gestion des dates de renouvellement et les indices de référence pour les révisions », et « la société Stanford m'a demandé de préparer un projet de bail pour la pâture qu'elle possède sur la commune de Beauchamps et occupée par votre centre équestre » suffisent à établir l'existence d'une mise à disposition de la parcelle litigieuse ; que le caractère onéreux de cette mise à disposition, outre qu'il résulte déjà suffisamment des extraits précités, est établi aussi par les justificatifs de paiement versés aux débats et en particulier par le talon de chèque et le relevé de compte bancaire de Mme A... sur lequel apparaît au courant de l'année 2000 le paiement d'un loyer à M. Z..., précédent propriétaire ; que l'activité équestre exercée par Mme A... est une situation de fait sans caractère contractuel ; dès lors la loi nouvelle étant d'application immédiate aux effets à venir des situations de fait en cours, cette activité équestre présente un caractère agricole à compter du 25 février 2005, lendemain de la publication de la loi, date de son entrée en vigueur à défaut de dispositions transitoires spécifiques ; que l'occupation par Mme A... à titre onéreux de la parcelle litigieuses dans le cadre d'une activité devenue agricole depuis le 25 février 2005 répond aux conditions d'application du statut du fermage ; qu'en raison du caractère d'ordre public de ce statut, cette dernière est donc titulaire d'un bail rural à compter de cette même date ;

1) ALORS QUE la société Stanford faisait valoir dans ses conclusions qu'elle avait acquis le bien libre de toute occupation, et que les loyers versés postérieurement à son acquisition l'avaient été non par Mme A... elle-même, mais par le domaine de Lieu Dieu ; que les seuls paiements constatés par la cour d'appel comme émanant de Mme A... étaient antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2005 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, de nature à établir que Mme A... n'était pas liée par un bail, de quelque nature que ce soit, à la SCI Stanford, faute de lui avoir versé des loyers, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE, subsidiairement, un bail peut être verbal ; que la cour d'appel a considéré que Mme A... bénéficiait de la mise à disposition, à titre onéreux, de parcelles appartenant à la SCI Stanford ; qu'en énonçant, pour dire la loi du 25 février 2005 immédiatement applicable à Mme A..., à compter de son entrée en vigueur, et en déduire qu'elle bénéficiait à compter de cette même date d'un bail rural, que l'activité équestre qu'elle exerçait était une situation de fait sans caractère contractuel et que la loi nouvelle était immédiatement applicable aux situations de fait en cours, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1709 et 1715 du code civil, ensemble l'article 2 du même code et l'article 105 de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mme A... est titulaire d'un bail rural sur 2ha 65a 40 ca de pâtures sises commune de Beauchamps, sections [...] et [...], d'avoir ordonné à la SCI Stanford de régulariser un bail écrit conforme aux dispositions de l'article L. 411-4 du code rural, d'avoir déclaré la SCI Stanford occupante sans droit ni titre, d'avoir ordonné son expulsion, et d'avoir dit irrecevable la demande en résiliation de bail formée par la SCI Stanford ;

AUX MOTIFS QUE la demande de résiliation de bail formée par la SCI Stanford pour la première fois en cause d'appel et qui ne se rattache pas avec un lien suffisant aux prétentions originaires sera rejetée ;

1) ALORS QUE les parties peuvent toujours soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses ; que Mme A... ayant saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de se voir reconnaître titulaire d'un bail rural, et de voir ordonner l'établissement par écrit de ce bail, la demande subsidiaire de la SCI Stanford tendant à voir prononcer la résiliation du bail ainsi revendiqué avait pour seul objet de faire échec à la demande de Mme A... ; qu'en la déclarant cependant irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ;

2) ALORS QU'en tout état de cause, il résultait du jugement entrepris (p. 4 dernier alinéa et p. 5 1er alinéa) que la société Stanford avait invoqué devant les premiers juges le défaut d'entretien de la parcelle litigieuse pour s'opposer à la demande de Mme A... tendant à la régularisation d'un bail ; qu'en énonçant néanmoins que la demande de la SCI Stanford fondée sur le défaut d'entretien était nouvelle en cause d'appel, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 563, 564 et 565 du code de procédure civile.

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