13 septembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-22.320

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2017:CO01085

Texte de la décision

COMM.

FB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2017




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 1085 F-D

Pourvois n° W 15-22.320
et F 16-10.327 JONCTION







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

I - Statuant sur le pourvoi n° W 15-22.320 formé par la société Orange, société anonyme, dont le siège est [...]                               , anciennement dénommée France Télécom,

contre un arrêt rendu le 27 mai 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Bes Ravise, société civile professionnelle, dont le siège est [...]                                                                                   , en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Lectiel,

défenderesse à la cassation ;

II - Statuant sur le pourvoi n° F 16-10.327 formé par la société Bes Ravise, ès qualités,

contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à la société Orange,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse au pourvoi n° W 15-22.320 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi n° F 16-10.327 invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 7 juin 2017, où étaient présentes : Mme Mouillard, président, Mme X..., conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme X..., conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Bes Ravise, ès qualités, de la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat de la société Orange, l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2015), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 3 juin 2014, pourvoi n° 12-29.482), que la société Lectiel, venue aux droits de la société Filetech, qui avait pour activité la commercialisation, la mise à jour et l'enrichissement de fichiers en vue d'opérations de publipostage et de télémercatique, commercialisait notamment les données contenues dans la base annuaire de la société Orange, venue aux droits de la société France Télécom ; que souhaitant ne pas enfreindre les dispositions du code des postes et télécommunications, la société Lectiel a demandé à la société France Télécom de lui communiquer la liste, dite orange, des personnes qui s'étaient inscrites pour ne pas faire l'objet de sollicitations commerciales ; que la société France Télécom a refusé cette communication au motif qu'elle lui était interdite, mais a proposé à la société Lectiel de recourir à son service spécifique « Marketis » qui lui permettrait, moyennant une certaine somme, d'avoir accès aux données expurgées de l'annuaire; que soutenant qu'en imposant à ses concurrents de recourir à un service payant, la société France Télécom abusait de sa position dominante, la société Lectiel l'a assignée devant le tribunal de commerce, qui, par jugement du 4 janvier 1994, a rejeté ses demandes ; que parallèlement à cette instance, la société Lectiel a saisi le Conseil de la concurrence des mêmes griefs à l'encontre de la société France Télécom ; qu'annulant la décision rendue par le Conseil de la concurrence et statuant à nouveau, la cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 29 juin 1999, devenu irrévocable, jugé que les conditions tarifaires mises en oeuvre par la société France Télécom caractérisaient un abus de position dominante, lui a infligé une amende et lui a enjoint de mettre fin à ces pratiques en fournissant à toute personne, qui lui en ferait la demande, la liste consolidée comportant les informations contenues dans l'annuaire universel et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers avec la liste orange, à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande ; que statuant sur l'appel du jugement du 4 janvier 1994, la cour d'appel, par un arrêt du 30 septembre 2008, a retenu que la société France Télécom n'avait pas commis de faute à l'égard de la société Lectiel et a rejeté sa demande de dommages-intérêts ; que cet arrêt ayant fait l'objet d'une cassation partielle, l'arrêt rendu par la cour d'appel de renvoi, le 27 juin 2012, a fait l'objet d'une nouvelle cassation en ce qu'il rejetait les demandes de dommages-intérêts de la société Lectiel ; que la société Lectiel ayant été mise en liquidation judiciaire, la SCP Bes Ravise est intervenue dans ces différentes instances en qualité de liquidateur ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° W 15-22.320 :

Attendu que la société Orange fait grief à l'arrêt de dire qu'elle s'est rendue responsable d'un abus de position dominante prohibé par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et d'un non-respect d'injonction et de dire que ces pratiques constituent des fautes civiles de sa part alors, selon le moyen :

1°/ que l'agissement anticoncurrentiel sanctionné par les autorités de la concurrence au titre de l'atteinte au marché n'est pas nécessairement constitutif d'une faute civile génératrice d'un droit à réparation au bénéfice d'un concurrent ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Orange aurait commis une faute au préjudice de la société Lectiel, la cour d'appel a déduit du seul agissement anticoncurrentiel qu'aurait commis cette société l'existence d'une faute civile envers la société Lectiel : « la faute qui fonde l'action indemnitaire de Lectiel [consiste] dans les pratiques anticoncurrentielles relevées et sanctionnées par l'autorité de concurrence » ; qu'en statuant ainsi au prétexte que « la violation de la loi constitue nécessairement une faute civile », quand un agissement anticoncurrentiel à l'égard du marché, appréhendé globalement, n'est pas nécessairement constitutif d'une faute civile envers un concurrent déterminé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que si, sur le terrain des agissements anticoncurrentiels, le comportement des opérateurs économiques ne peut justifier une infraction aux règles de la concurrence, sur le terrain civil, les fautes commises par un opérateur identifié peut, à son égard, dépouiller de tout caractère fautif le comportement anticoncurrentiel litigieux ; qu'en l'espèce, pour retenir que les fautes commises par la société Lectiel, laquelle avait téléchargé sans aucune autorisation la base de données de la société France Télécom pourtant objet de droits de propriété intellectuelle, ne justifiaient pas le refus de la société Orange de laisser cette société accéder à sa base de données, la cour d'appel a considéré « qu'il n'appartient pas à une entreprise de se faire justice à elle-même et ses pratiques anticoncurrentielles ne sauraient être exonérées par des moyens de « légitime défense » ; qu'en statuant ainsi, quand la faute commise par la société Lectiel était de nature à priver de tout caractère fautif, envers cette prétendue victime, le comportement de la société Orange, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ que la société Orange faisait valoir dans ses conclusions que son refus de livrer la base annuaire à la société Lectiel était justifié « suite aux interventions de la CNIL et de l'illégalité manifeste des pratiques de Lectiel quant à l'utilisation des données annuaires dont elle disposait » ; qu'elle soutenait ainsi que la société Lectiel, à la suite du téléchargement illicite de la base, en méconnaissance de ses droits de propriété intellectuelle, avait exploité les données annuaires dans des conditions méconnaissant les dispositions impératives de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, ce qu'avaient constaté tant la Commission nationale informatique et liberté que les juridictions pénales ; que la société Orange en déduisait qu'elle n'avait commis aucune faute en refusant de livrer sa base annuaire à la société Lectiel, dès lors que si elle l'avait fait, elle se serait rendue complice des pratiques illégales de celle-ci ; qu'en retenant que la société Orange aurait commis une faute à l'égard de la société Lectiel en refusant de livrer sa base annuaire, sans répondre à ce moyen déterminant des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société Lectiel demandait réparation du préjudice que lui avaient causé les pratiques anticoncurrentielles de la société Orange, l'arrêt retient à bon droit que ces pratiques constituent des fautes civiles et qu'il incombe à la société Lectiel, qui souhaite obtenir une indemnisation, de démontrer le préjudice en résultant pour elle et le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté qu'un arrêt, devenu irrévocable, statuant sur le recours contre la décision du Conseil de la concurrence du 29 septembre 1998, avait dit établi que la société France Télécom, devenue Orange, avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE en commercialisant son service Marketis à des prix prohibitifs, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes invoquées à la troisième branche, en a exactement déduit que la société Orange ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute de téléchargement illicite commise par la société Lectiel ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du même pourvoi :

Attendu que la société Orange fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de réparation de la société Bes Ravise, en sa qualité de liquidateur de la société Lectiel, concernant la pratique d'abus de position dominante de la société France Télécom, du 6 décembre 1991 à août 1998 et d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire alors, selon le moyen :

1°/ que le lien de causalité entre la faute civile résultant d'agissements anticoncurrentiels et le préjudice allégué ne se présume pas et doit être démontré ; qu'en l'espèce, pour retenir que la faute imputée à la société Orange aurait causé un préjudice, la cour d'appel a retenu que « la société Lectiel, qui souhaitait entrer sur le marché du marketing direct, a été freinée dans son entrée sur ce marché, voire évincée du segment des fichiers de prospection » ; qu'en statuant ainsi, sans relever au-delà de son simple « souhait », les démarches précises que la société Lectiel auraient entreprises et que les agissements de la société Orange auraient « freinées », la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, et a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que l'existence d'un préjudice généré par une pratique anticoncurrentielle ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l'allègue ; qu'en l'espèce, pour retenir que la société Lectiel aurait subi un préjudice indemnisable, la cour d'appel a retenu que « privée d'accès à la base annuaire expurgée à des prix raisonnables, elle n'a pu fournir ce service sur le marché ou n'a pu le fournir à des prix compétitifs » ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement relever les circonstances établissant que la société Lectiel était en mesure d'exercer son activité sur le marché du marketing direct indépendamment des agissements prétendument anticoncurrentiels de la société Orange, la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, et a violé l'article 1382 du code civil.

Mais attendu que l'arrêt relève que la société Lectiel avait pour activité la constitution de fichiers de prospection destinés à la réalisation d'opérations de marketing direct et que pour fournir ses prestations, elle exploitait sa propre base de données mais avait également recours aux informations de l'annuaire géré par la société France Télécom ; qu'il constate que la pratique d'abus de position dominante de la société France Télécom a empêché ou rendu plus difficile l'entrée sur le marché du marketing direct de la société Lectiel et que, privée de l'accès à la base annuaire expurgée à des prix raisonnables, celle-ci n'a pu fournir ce service sur ce marché ou du moins à des prix compétitifs ; qu'il retient qu'elle a subi un préjudice pour les seules activités de marketing direct qui nécessitent l'utilisation des données expurgées de la liste orange, à savoir le marketing direct adressé et les activités de marketing ou phoning, à l'exclusion des activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° F 16-10.327 :

Attendu que la société Bes Ravise, ès qualités, fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande de réparation concernant le non-respect d'injonctions par la société France Télécom, pendant la période de 1999 à 2002 où le fonds de commerce de la société Lectiel était en location-gérance, et, avant-dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, de limiter la mesure d'expertise judiciaire ordonnée à l'évaluation du préjudice subi par la société Lectiel, du 6 décembre 1991 à août 1998 et à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant cette période, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé alors, selon le moyen :

1°/ que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la location-gérance d'un fonds de commerce ne fait pas obstacle à la réparation du préjudice personnel subi par le loueur, propriétaire du fonds de commerce, un tel préjudice, consistant en une diminution des redevances perçues, étant distinct de celui subi par le locataire-gérant ; que la cour d'appel s'est fondée sur le fait que la société Lectiel avait donné son fonds de commerce en location-gérance d'août 1998 au 12 septembre 2002, pour affirmer que société Lectiel ne pouvait obtenir de dédommagement sur cette période, n'ayant alors pas subi les pratiques anticoncurrentielles personnellement ; qu'en rejetant sa demande d'indemnisation afférente à cette période sans rechercher si, nonobstant la mise en location-gérance du fonds de commerce, la société Lectiel avait subi un préjudice personnel consistant en une diminution des redevances perçues, consécutivement aux pratiques anticoncurrentielles commises par la société France Télécom, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 1382 du code civil, L. 144-1 et suivants du code de commerce et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher si les pratiques anticoncurrentielles de la société France Télécom avaient causé un préjudice à la société Lectiel lorsque celle-ci a repris l'exploitation de son fonds de commerce, postérieurement à la fin de la location-gérance, le 12 septembre 2002, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que la société Lectiel demandait réparation du préjudice résultant de l'abus de position dominante dont elle avait été victime de 1992 à 1999 et du non-respect de l'injonction faite à la société France Télécom, pour la période de 1999 à 2003, l'arrêt relève que la société Lectiel a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Groupadress, d'août 1998 à septembre 2002, et retient qu'elle ne peut obtenir de dédommagement sur cette période ; qu'en cet état, et dès lors que la société Lectiel se bornait à invoquer, dans ses conclusions, le préjudice résultant de ce que les pratiques anticoncurrentielles ne lui avaient pas permis de s'implanter sur le marché du marketing direct et de s'y développer , la cour d'appel , qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la première branche, qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la continuation des pratiques anticoncurrentielles postérieurement au mois de septembre 2002 n'était pas établie, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche, devenue inopérante, invoquée à la seconde branche, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi :

Attendu que la société Bes Ravise, ès qualités, fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande de réparation, en conséquence des tarifs pratiqués par la société France Télécom postérieurement à 2002, et d'avoir, avant-dire droit sur l'évaluation du préjudice, limité la mesure d'expertise judiciaire à l'évaluation du préjudice subi par la société Lectiel du 6 décembre 1991 à août 1998, et à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant cette période, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé alors, selon le moyen :

1°/ que dans sa décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002 relative au respect de l'injonction prononcée à l'encontre de la société France Télécom par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999, le Conseil de la concurrence a sursis à statuer pour apprécier l'orientation des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichier vers les coûts des opérations techniques nécessaires ; que dans sa décision n° 03-D-43 du 12 septembre 2003, le Conseil de la concurrence a constaté qu' « en dépit des injonctions formulées par la cour d'appel et depuis cette date, [France Télécom] n'a pris, ainsi qu'un des représentants de la société France Télécom l'a admis expressément en séance, aucune des mesures nécessaires pour s'assurer de fournir ces prestations de façon non discriminatoire et à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à la demande » ; que pour affirmer qu'elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour démontrer la continuation des pratiques anticoncurrentielles après septembre 2002 et par conséquent rejeter la demande d'indemnisation de la société Bes Ravise ès qualités concernant les tarifs pratiqués après cette date, la cour d'appel a énoncé qu' « il résulte de la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003 que France Télécom n'a pas respecté l'injonction d'orientation vers les coûts de ses tarifs d'activité de gestionnaire de fichiers de 1999 à 2002 » ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ladite décision que le non-respect de l'injonction d'orientation des prix vers les coûts avait persisté, à tout le moins jusqu'au 15 juillet 2003, la cour d'appel a dénaturé la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003, en violation du principe suivant lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

2°/ que la société Bes Ravise, ès qualités, soutenait que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société France Télécom, devenue Orange, dont la société Lectiel a été victime, n'avaient jamais cessé, malgré les décisions de constats d'infraction prises par les autorités de concurrence, en particulier la décision de sanction de France Télécom pour non-respect de l'injonction de proposition d'un tarif orienté vers les coûts prononcée à son encontre le 12 septembre 2003 ; que la société Bes Ravise produisait notamment des offres de fourniture des renseignements litigieux de France Télécom datées des 9 décembre 2003 et 15 mars 2004, qu'elle estimait non conformes à l'injonction d'orientation vers les coûts qui avait été prononcée ;que dans ses conclusions, la société Orange elle-même admettait que l'injonction d'orientation vers les coûts n'avait été effective qu'à la fin de l'année 2003 ; qu'en jugeant qu'elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour démontrer la continuation des pratiques après septembre 2002, pour rejeter la demande de réparation concernant les tarifs postérieurs à cette date, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les offres de France Télécom postérieures à 2002 étaient conformes à l'injonction d'orientation du prix vers les coûts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Bes Ravise ès qualités, qui faisait valoir, en s'appuyant sur des tableaux analytiques, que la comparaison des tarifs proposés aux « annuairistes » avec ceux proposés aux opérateurs de marketing direct montrait que ces tarifs n'étaient pas conformes à l'injonction d'orientation vers les coûts, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, de la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003, que l'ambiguïté de ses termes rendait nécessaire, effectuée à la lumière de l'arrêt rendu le 6 avril 2004 rejetant le recours formé contre elle, que la cour d'appel a retenu qu'il résultait de cette décision que la société France Télécom n'avait pas respecté l'injonction d'orientation vers les coûts de ses tarifs d'activité de gestionnaire de fichiers de 1999 à 2002 ;

Et attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui étaient soumis que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter et qui a répondu aux conclusions prétendument omises, a retenu que la preuve de la continuation des pratiques après septembre 2002 n'était pas rapportée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen du même pourvoi :

Attendu que la société Bes Ravise, ès qualités, fait grief à l'arrêt de limiter, avant-dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, la mesure d'expertise judiciaire à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant la période comprise entre le 6 décembre 1991 à août 1998, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé alors, selon le moyen :

1°/ qu'était interdit, à l'époque des faits litigieux, l'usage par quiconque, à des fins commerciales ou de diffusion dans le public, des informations nominatives extraites des annuaires concernant les personnes physiques qui avaient souscrit un abonnement aux services téléphoniques de l'exploitant public et avaient demandé leur inscription en liste « orange », consistant à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires et commercialisées par l'exploitant public ; que pour limiter le droit à réparation de la société Lectiel aux seules activités de marketing direct adressé et aux activités de télémarketing, la cour d'appel a affirmé que « la société Lectiel avait pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses [
] grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le téléchargement de la base annuaire non expurgée ne permettait pas à la société Lectiel d'exercer son activité conformément à la règlementation relative à la liste orange, de sorte que le préjudice subi par la société Lectiel concernait l'ensemble de son activité, la cour d'appel a violé l'article R. 10-1 du code des postes et communications électroniques en sa rédaction applicable au litige, ainsi que les articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que l'interdiction d'effectuer un usage commercial ou de diffuser des informations nominatives concernant les personnes physiques figurant dans les annuaires de l'exploitant public qui avaient souscrit à la liste orange, ne distinguait pas selon l'activité pour laquelle les informations nominatives étaient utilisées ; qu'en jugeant que « la société Lectiel avait pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses, à savoir les imprimés sans adresses (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée », sans rechercher si, pour l'exercice de ces activités, la société Lectiel utilisait des informations nominatives extraites des annuaires qui concernaient des personnes physiques figurant sur la liste « orange », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 10-1 du code des postes et communications électroniques en sa rédaction applicable au litige et des articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu que la cour d'appel s'étant bornée, dans le dispositif de son arrêt, à ordonner une expertise judiciaire sur l'évaluation du préjudice subi, le moyen, exclusivement dirigé contre des motifs de l'arrêt, est irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi n° W 15-22.320 par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Orange.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la société Orange (venant aux droits de France Telecom) s'est rendue responsable d'un abus de position dominante anticoncurrentiel et d'un non-respect d'injonction, pratiques contraires aux articles L. 420-2 du code de commerce, 102 du TFUE et L. 420-2, I du code de commerce et d'avoir dit que ces pratiques constituent des fautes civiles de la société Orange ;

AUX MOTIFS QUE « sur la pratique d'abus de position dominante : Que la société intimée soutient que ‘ »les autorités de la concurrence ont explicitement écarté que les pratiques dénoncées par Lectiel puissent être fautives au regard des règles de concurrence » ; que les autorités de concurrence n'ont jamais considéré que la faute de France Telecom consistait à refuser de fournir des données « brutes » « non organisées » ou « à plat » ; que la cour d'appel, dans son arrêt du 30 septembre 2008, confirmé par l'arrêt du 23 mars 2010 de la cour de cassation, a reconnu un droit sui generis de France Telecom sur sa base de données annuaire et le droit pour France Telecom d'inclure dans ses tarifs la rémunération de ses droits ; qu'aucune faute ne saurait être imputée à France Telecom pour avoir facturé aux cessionnaires une quote-part correspondant aux coûts de constitution et de maintenance de la base annuaire ; qu'aucune faute de France Telecom ne serait donc constituée ;
Mais que la société Orange soutient à tort que la société appelante demanderait réparation pour un refus d'accès à la base annuaire à coûts nuls ou à coûts limités aux frais de transfert ; que la société Lectiel, s'inscrivant dans la continuité des décisions des autorités de concurrence, se limite à demander à la cour réparation des pratiques anticoncurrentielles de la société France Telecom ; que la société intimée est de mauvaise foi lorsqu'elle affirme que les autorités de concurrence ont exclu que les pratiques dénoncées par Lectiiel puissent être fautives ; qu'en effet, le conseil de la concurrence a estimé que le seul choix qui était proposé à la société Lectiel par France Telecom pour accéder à la base annuaire expurgées des abonnés à la liste orange, était fourni à des prix excessivement élevés, étant donc impraticable et était de nature à empêcher cet opérateur, ainsi que les autres opérateurs souhaitant opérer sur ce marché, de pénétrer sur le marché du marketing direct, en concurrence avec France Telecom, également présent sur ce marché aval ; que, dès lors, il est sans emport que la société Lectiel ait prétendu accéder à des données brutes, dès lors qu'ont été sanctionnés les tarifs excessivement élevés proposés par France Telecom ; que les droits les droits de propriété intellectuelle de la société France Telecom sur cette base de données n'ont à aucun moment interféré dans le débat sur les pratiques anticoncurrentielles, le conseil de la concurrence s'étant bornés à comparer les coûts avancés par France Telecom et les prix facturés aux usagers ; que la faute qui fonde l'action indemnitaire de Lectiel ne consiste pas dans le refus de France Telecom de lui fournir les données annuaires gratuitement, mais dans les pratiques anticoncurrentielles relevées et sanctionnées par l'autorité de concurrence ;
Qu'il y a donc lieu de rejeter les moyens d'irrecevabilité de la société Orange ;
Qu'en quatrième lieu, la société Orange prétend que Lectiel dénonce une « faute imaginaire », car, dès 1999, la société France Telecom aurait fait à Lectiel une proposition d'accès à sa base annuaire expurgée, orientée vers les coûts ; que « d'une manière générale, il ne peut y avoir de lien automatique entre la constatation d'une pratique anticoncurrentielle et l'existence d'une faute civile » ; qu'ainsi « une pratique qualifiée d'anticoncurrentielle n'entraîne(rait) pas la faute civile et n'engendrerait pas de préjudice repérable si la pratique est exemptée par la loi ou a fait l'objet d'une décision individuelle d'exemption, ou encore si la pratique n'est qualifiée qu'à raison de sa potentialité d'effets, sans aucune démonstration d'effet réel » ; que « d'autre part, la pratique contraire aux règles de concurrence peut être licite civilement au regard de la faute de la partie concernée par la pratique incriminée » ; qu'en entreprise en position dominante peut préserver ses intérêts commerciaux, à condition que son comportement soit proportionné à la menace et ne vise pas à renforcer sa position dominante ou à en abuser ; qu'ainsi, cette entreprise peut refuser de vendre si la demande repoussée présente un caractère anormal ; qu'en l'espèce, France Telecom aurait légitimement refusé l'accès à sa base annuaire à une entreprise « qui non seulement refuse elle-même de reconnaître (ses) droits de propriété intellectuelle (sur la base à, mais qui au surplus se livre à un piratage systématique de ladite ressource » ; qu'avant 1999, aucune faute civile n'est imputable à France Telecom, France Telecom ayant proposé un accès à sa base annuaire, via le service Teladresse, ensuite filialisé sous le nom de Mediatel ; que cet accès a été refusé par Lectiel, qui entendait obtenir la livraison de cette base gratuitement ; que « cette demande d'accès (gratuit) a toujours revêtu un caractère manifestement anormal justifiant un éventuel refus de livraison » ; qu'en outre, Lectiel se livrait à un télédéchargement illicite de la base annuaire, en violation des droits patrimoniaux de France Telecom, et en faisant un usage prohibé ; que si France Telecom avait mis à sa disposition, à cette époque, la liste des inscriptions en liste orange, Lectiel en aurait fait une utilisation illégale et aurait constitué un fichier commercialisable ; que France Telecom aurait pu alors être poursuivie comme complice de pratiques illégales au regard du code des postes et télécommunications ;
Mais qu'il convient de rappeler qu'il a été définitivement jugé par la cour de cassation, dans un arrêt du 4 décembre 2001, que la société France Telecom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la liste des abonnés au téléphone de 1992 à 1999, marché sur lequel elle était en situation de monopole, en refusant l'accès à cette base annuaire expurgée des abonnés en liste orange, ressource indispensable et essentielle à ses concurrents pour fournir des services sur le marché aval du marketing direct ; que l'accès à cette base annuaire s'avérait indispensable pour la confection de fichiers, cette base complète et mise à jour quotidiennement n'ayant pas de substituts et la faculté d'obtenir des données expurgées des coordonnées des abonnés de la liste orange étant également primordiale, en raison des condamnations pénales encourues par les opérateurs en cas de confection de fichiers non expurgés ; que la fourniture pure et simple de la liste orange étant prohibée, il appartenait à France Telecom de concevoir un dispositif de topage ou un fichier expurgé à des tarifs praticables pour ses concurrents sur le marché aval du marketing direct ; qu'en l'espèce, France Telecom a fourni ces prestations à des tarifs excessivement élevés (offre Marketis), équivalents aux tarifs pratiqués par France Telecom sur le marché du marketing direct, ce qui équivalait à un refus de vente ; que ces tarifs, qui ne garantissaient aucune marge aux entrants potentiels sur le marché aval et que l'entreprise ne s'imputait pas à elle-même en interne, ont conduit à l'éviction des opérateurs concurrents sur le marché du marketing direct et a privé les consommateurs finals de services nouveaux et innovants ; que la société Lectiel qui souhaitait entrer sur le marché du marketing direct, a été freinée dans son entrée sur ce marché, voire évincée du segment des fichiers de prospection, par la pratique abusive de France Telecom ;
Que les preuves de cette pratique remontent au 6 décembre 1991, date à laquelle la société Filetech a mis en demeure France Telecom de lui remettre sous 48 heures la liste des personnes figurant sur cette liste orange, demande à laquelle France Telecom a notifié son refus le 23 décembre 1991, au motif qu'elle n'avait pas le droit de communiquer cette liste à des tiers et qui lui a proposé un service télématique spécifique dénommé « Marketis » offrant l'accès à la base expurgée ; que cette pratique a pris fin lors de la confection, par France Telecom, d'une offre d'accès à la ase annuaire et d'une offre de « Topage » permettant la mise en conformité des fichiers, et de la proposition de ces offres, les 19 et 30 juin 1999 ; qu'il y a donc lieu de circonscrire la pratique de compression des marges imputée à France Telecom du 6 décembre 1991 au 19 et 30 juin 1999 ; que la société Lectiel ne pourra être indemnisée que jusqu'en août 1998, compte tenu de la cession de son fonds de commerce à Groupadress (voir plus haut) ;
Que cette pratique est contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et à l'article 82 du traité (devenu 102 du TFUE) ; que si la décision de l'autorité de la concurrence n'a pas en soi valeur de chose décidée qui s'imposerait aux juridictions, d'une part, cette décision a été définitivement confirmée par les juridictions judiciaires, et, d'autre part, il résulte des faits exposés plus haut et il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que la société France Telecom a commis un abus de position dominante ; que cette pratique constitue un refus d'accès à une infrastructure essentielle et une pratique de ciseau tarifaire, dont les éléments sont bien caractérisés ;
Qu'en effet, en dehors de toute considération de droits de propriété intellectuelle, un opérateur, en position dominante sur le marché d'une infrastructure ou d'une facilité indispensable pour exercer une activité sur un marché aval, qui ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents, commet un refus d'accès anticoncurrentiel, si ce refus ne reçoit pas de justifications objectives, et s'il en résulte d'une part, l'impossibilité de mettre sur le marché un produit nouveau correspondant à un besoin des consommateurs, ou la limitation du développement technique au préjudice des consommateurs et d'autre part, l'occasion pour le détenteur de cette infrastructure, de se réserver un monopole sur le marché dérivé ;
Qu'en l'espèce, l'accès à la base annuaire expurgée de France Telecom était indispensable pour l'exercice de l'activité de marketing direct, marché sur lequel France Telecom était en concurrence avec des opérateurs et, notamment, Lectiel (Filetech) ; que cette base n'est pas reproductible dans des conditions économiques raisonnables et France Telecom était en position de monopole sur cette base ; que la fourniture du service marketing à des taux excessivement élevés et qui valait un refus d'accès à la base annuaire expurgée, n'était justifiée par aucune considération technique ; que ce refus d'accès avait pour conséquence l'absence de concurrence de France Telecom sur le marché dérivé du marketing direct, celle-ci étant la seule à proposer ses services, au détriment des consommateurs, privés de l'offre enrichie des opérateurs concurrents éliminés ou freinés dans leur développement ;
Qu'une pratique de ciseau tarifaire est caractérisée lorsqu'un bien intermédiaire est nécessaire à l'exercice de la concurrence sur un marché aval, et que l'opérateur dominant sur le marché amont, également actif sur le marché aval, profite de sa position pour augmenter les coûts des concurrents et les empêcher d'entrer ou de se développer en aval ; que cette pratique est établie s'il est démontré qu'un concurrent aussi efficace que l'opérateur intégré ne peut répliquer les prix de détail de ce dernier sans subir de pertes, autrement dit que les prix de gros sont tellement élevés qu'il ne peut y avoir de bénéfice entre ces prix et les prix de détail si le concurrent essaie de soutenir les prix de l'entreprise en monopole ; qu'en l'espèce, il a été vu que les tarifs de détail sur le marché des fichiers de Teladresse étaient identiques aux tarifs (de gros) d'accès à la base annuaire proposés aux concurrents ;
Que la violation de la loi constitue nécessairement une faute civile ; qu'il incombe cependant à la société Lectiel, qui souhaite obtenir une indemnisation, de démontrer le préjudice en résultant pour elle, ainsi que le lien de causalité entre cette faute et son préjudice ;
Que les arguments présentés par Orange pour écarter la faute civile ne résistent pas à l'examen ; que si la pratique est exemptée par la loi ou avait fait l'objet d'une décision d'exemption individuelle, elle ne serait pas anticoncurrentielle, et par voie de conséquence, ne constituerait pas une faute civile ; que si elle n'était qualifiée qu'à raison de sa potentialité d'effets, sans aucune démonstration d'effet réel, elle serait néanmoins anticoncurrentielle, et constitutive de faute civile, mais n'aurait pas généré de préjudice indemnisable ; que si la partie à laquelle est imputée la pratique anticoncurrentielle avait commis elle-même une faute, il n'en résulterait pas, contrairement aux allégations d'Orange, la licéité de la pratique au regard des règles du droit civil ; qu'il pourrait en résulter un partage de responsabilité dû au concours des fautes, si celles-ci avaient toutes concouru au dommage, mais non une absence de faute civile résultant de la pratique anticoncurrentielle ;
Que si une entreprise en position dominante peut effectivement préserver ses intérêts commerciaux, et refusée de vendre si la demande repoussée présente un caractère anormal, à condition que son comportement soit proportionné à la menace et ne vise pas à renforcer sa position dominante ou à en abuser, il convient de souligner que ces conditions ne sont pas réunies en l'espèce ; que la société Orange ne peut justifier son refus d'accès à sa base annuaire à des tarifs raisonnables, en prétextant que la société Lectiel refusait elle-même de reconnaître ses droits de propriété intellectuelle sur la base, et se livrait à un piratage systématique de cette ressource ; qu'il n'appartient pas en effet à une entreprise de se faire justice à elle-même et ses pratiques anticoncurrentielles ne sauraient être exonérées par des moyens de « légitime défense » ; qu'ainsi que l'a rappelé le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans un arrêt du 15 mars 2000 (Cimenterie CBR SA e. a. contre Commission des Communautés européennes, T-25/95, points 1855 et 1865) : « Des entreprises ne sauraient justifier une infraction aux règles de concurrence en prétextant qu'elles y ont été poussées par le comportement d'autres opérateurs économiques » ;
Que, de plus, la jurisprudence invoquée par la société Orange sur les commandes « normales » s'applique aux refus de vente portant sur des ressources limitées, et non à des données accessibles sans limitation, comme des fichiers, sous réserve du paiement d'une redevance ; que la demande de Lectiel n'était pas anormale, car elle était limitée à une demande de service permettant d'expurger ses fichiers ; que la pratique anticoncurrentielle sanctionnée est constitutive de faute civile ne consistait pas dans le refus de France Telecom de fournir la liste des inscriptions en liste orange, cette fourniture lui étant interdite, mais dans la fourniture d'accès à la liste expurgée à des conditions anticoncurrentielles ; que le refus opposé par Lectiel à la proposition de France Telecom d'accès à sa base annuaire, via le service Marketis, ne saurait ôter à cette pratique son caractère fautif ; qu'en effet, cette base était fournie à un prix excessivement élevé et il n'est pas démontré par France Telecom que Lectiel aurait été, de 1992 à 1999, de mauvaise foi en refusant la proposition de France Telecom, au motif qu'elle aurait voulu, en réalité, obtenir la livraison de cette base gratuitement, ou à des prix beaucoup plus bas ; qu'en effet, à cette époque, aucune autre proposition n'existait que ce service Marketis pour accéder à cette base expurgée ; qu'enfin, le télédéchargement de la base annuaire par Lectiel, jugé illicite par la cour d'appel de Paris, le 30 septembre 2008 (arrêt confirmé par la cour de cassation le 23 mars 2010), et pour lequel la société Lectiel a été définitivement condamnée, ne constituait pas pour l'opérateur une solution alternative pour obtenir des fichiers expurgés, seul étant exploitable, pour exercer l'activité de marketing direct, l'accès à un fichier expurgé ;
Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Lectiel de sa demande tendant à voir reconnaître le caractère anticoncurrentiel de la pratique consistant, pour France Telecom, à « contrain(dre) (
) les entreprises concurrentes du secteur privé à utiliser à des conditions prohibitives ses propres services, sous menace des sanctions applicables par la loi » ; que la société Orange qui vient aux droits de France Telecom a donc commis un abus de position dominante, constitutif d'une faute civile, au préjudice de Lectiel » ;

1 ALORS QUE l'agissement anticoncurrentiel sanctionné par les autorités de la concurrence au titre de l'atteinte au marché n'est pas nécessairement constitutif d'une faute civile génératrice d'un droit à réparation au bénéfice d'un concurrent ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Orange aurait commis une faute au préjudice de la société Lectiel, la cour d'appel a déduit du seul agissement anticoncurrentiel qu'aurait commis l'exposante l'existence d'une faute civile envers la société Lectiel : « la faute qui fonde l'action indemnitaire de Lectiel [consiste] dans les pratiques anticoncurrentielles relevées et sanctionnées par l'autorité de concurrence » (arrêt, p. 9, antépénultième alinéa, in fine) ; qu'en statuant ainsi au prétexte que « la violation de la loi constitue nécessairement une faute civile » (arrêt, p. 11, alinéa 4), quand un agissement anticoncurrentiel à l'égard du marché, appréhendé globalement, n'est pas nécessairement constitutif d'une faute civile envers un concurrent déterminé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2/ ALORS QUE si, sur le terrain des agissements anticoncurrentiels, le comportement des opérateurs économiques ne peut justifier une infraction aux règles de la concurrence, sur le terrain civil, les fautes commises par un opérateur identifié peut, à son égard, dépouiller de tout caractère fautif le comportement anticoncurrentiel litigieux ; qu'en l'espèce, pour retenir que les fautes commises par la société Lectiel, laquelle avait téléchargé sans aucune autorisation la base de données de la société France Telecom pourtant objet de droits de propriété intellectuelle, ne justifiaient pas le refus de l'exposante de laisser cette société accéder à sa base de données, la cour d'appel a considéré « qu'il n'appartient pas à une entreprise de se faire justice à elle-même et ses pratiques anticoncurrentielles ne sauraient être exonérées par des moyens de « légitime défense » » (arrêt, p. 12, alinéa 1er) ; qu'en statuant ainsi, quand la faute commise par la société Lectiel était de nature à priver de tout caractère fautif, envers cette prétendue victime, le comportement de la société Orange, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

3/ ALORS QUE la société Orange faisait valoir dans ses conclusions que son refus de livrer la base annuaire à la société Lectiel était justifié « suite aux interventions de la CNIL et de l'illégalité manifeste des pratiques de Lectiel quant à l'utilisation des données annuaires dont elle disposait » (conclusions, p. 60, alinéa 1er) ; qu'elle soutenait ainsi que la société Lectiel, à la suite du téléchargement illicite de la base, en méconnaissance de ses droits de propriété intellectuelle, avait exploité les données annuaires dans des conditions méconnaissant les dispositions impératives de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, ce qu'avaient constaté tant la Commission Nationale Informatique et Liberté que les juridictions pénales ; que la société Orange en déduisait qu'elle n'avait commis aucune faute en refusant de livrer sa base annuaire à la société Lectiel, dès lors que si elle l'avait fait, elle se serait rendue complice des pratiques illégales de celle-ci (conclusions, p. 60 à 62) ; qu'en retenant que la société Orange aurait commis une faute à l'égard de la société Lectiel en refusant de livrer sa base annuaire, sans répondre à ce moyen déterminant des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir « fait droit à la demande de réparation de la société Bes-Ravis, ès qualités de liquidateur de la société Lectiel, concernant la pratique d'abus de positions dominante de la société France Telecom, du 6 décembre 1991 à août 1998 » et d'avoir ordonné une mesure d'expertise judiciaire ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le préjudice :
Que la société Orange prétend que Lectiel a pu se soustraire aux dommages éventuels et consécutifs à sa prétendue faute au moyen de pratiques illicites d'appropriation et de détournement ; que « Lectiel demande à être indemnisée du dommage tiré de la perte de chance de développer une activité consistant dans l'exploitation commerciale d'une ressource acquise sans bourse délier et en violation des droits de son détenteur légal » ; qu'elle ne saurait obtenir réparation de la perte de chance de réaliser un vol ; que la société Lectiel a eu accès à l'annuaire de France Telecom en fraude de ses droits, par son téléchargement illégal, que loin de subir un préjudice concurrentiel, elle a pu, grâce à cet accès illicite et à bas coûts, développer ses activités sur le marché de l'édition d'annuaires, de cession des listes nécessaires pour la constitution de tels annuaires, mais aussi sur les marchés dérivés du géomarketing et du scoring ; qu'en outre, elle a pu exercer la très grande majorité des prestations qui n'impliquaient aucun contact téléphonique, aucune publicité adressée, ni aucun démarchage personnalisé ; que, sur le marché du marketing direct, Lectiel pouvait acheter d'autres listes que la base annuaire de France Telecom, puis les revendre après enrichissement, sans devoir disposer de la liste des abonnés de France Telecom, les obligations relatives à l'inscription de certains abonnés en liste orange étant opposables aux seules listes provenant de l'annuaire de France Telecom ; qu'en toute hypothèse, Lectiel n'aurait subi aucun manque à gagner ni aucune perte d'une chance de se développer à moindre coût, puisqu'en toute hypothèse, l'acquisition légale de cette base lui aurait coûté bien plus que son « piratage » ; que la société Lectiel ne démontre aucun lien entre les pratiques et les dommages prétendus ; que Lectiel a toujours voulu accéder à la base annuaire à prix nul et a refusé les offres qui lui ont été faites par FT en 1999, qui l'aurait amenée à payer moins cher que l'accès illicite à la base annuaire ;
Que la société Lectiel prétend n'avoir jamais pu se développer sur le marché du marketing direct ; que pour calculer son préjudice, elle propose trois méthodes, aboutissant respectivement au calcul d'un préjudice, sur 27 années, et majoré des intérêts, de 641 095 682 euros, 3,7 milliards ou 4,730 976 milliards selon les méthodes retenues ;
Que la pratique d'abus de position dominante de la société France Telecom a empêché ou rendu plus difficile l'entrée de la société Lectiel sur le marché du marketing direct ; que, privée d'accès à la base annuaire expurgée à des prix raisonnables, elle n'a pu fournir ce service sur ce marché ou n'a pu le fournir à des prix compétitifs ; que le droit à réparation de la société Lectiel couvre les pertes subies, les gains manqués ainsi que le paiement d'intérêts ; que cependant la société Lectiel ne demande de réparation que pour son manque à gagner et les intérêts ; que pour évaluer son manque à gagner il faut comparer les bénéfices réalisées pendant la durée de l'infraction sur le marché affecté par celle-ci avec ceux qu'elle aurait pu réaliser dans un scénario sans infraction (scénario contrefactuel) ; qu'en l'espèce, les données observables concernant les résultats de Lectiel sur le marché sont rares, puisque l'entreprise n'était pas présente sur le marché du marketing direct avant les pratiques anticoncurrentielles ; qu'il faut donc reconstituer quels auraient été les bénéfices réalisés par Lectiel, de fin 1992 à 1998, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles et les comparer à ceux effectivement réalisés ;
Que la société Lectiel a subi un préjudice pour les activités de marketing direct, qui nécessitent l'utilisation de données expurgées de la liste orange, à savoir les activités de marketing direct adressé (MDA) et les activités de marketing ou phoning ; qu'en effet la société Lectiel a pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses, à savoir les imprimés sans adresse (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, grâce au télédéchargement de la base annuaire non expurgée ; qu'ainsi, seuls les bénéfices perdus du marketing direct adressé (MDA) et le télémarketing seront pris en compte ;
Que la société Orange ne peut prétendre que Lectiel n'aurait subi aucun préjudice, grâce au télédéchargement illégal, ce télédéchargement n'ayant
pu bénéficier qu'aux activités de marketing « non adressés » ; que la société Orange ne peut davantage soutenir que Lectiel aurait pu avoir accès à d'autres fichiers comparables à la base annuaire, dont la non expurgation ne serait pas sanctionnable et qui lui aurait permis de réaliser des opérations de marketing direct adressés, aucun fichier ne constituant une alternative à la base annuaire expurgée qui constitue une infrastructure essentielle ;
Que la société Lectiel fournit une première évaluation de son manque à gagner en se basant sur une part de marché contrefactuelle escomptée en l'absence d'infraction de 2,5 % ; qu'elle évalue la perte de chance de se maintenir sur le marché à une somme équivalente à 2,5 % du marché du marketing direct, soit 2,5 % de 3,6 milliards annuels, sur 27 années, plus 5 années pour regagner le marché, ce qui donne un total de 2,8 milliards, et 4,730 976 milliards avec intérêts ;
Mais que cette part de marché de 2,5 % est aléatoire et ne résulte d'aucun élément versé au dossier ; que la pratique dont il est demandé réparation n'a duré que de fin 1991 à 1998 ; que les cinq années pour reconquérir le marché ne sont étayées par aucune donnée vérifiable ; que ce calcul est relatif au chiffre d'affaires perdu, et non au bénéfice perdu, qui seul importe ; qu'aucune explication n'est fournie sur le calcul des intérêts ;
Qu'elle adopte ensuite la méthode dite « approche clients » consistant à estimer les bénéfices dans le scénario contrefactuel à partir des résultats financiers des concurrents ; qu'elle calcule ainsi le profit réalisé par France Telecom chaque année, en supposant la conclusion de contrats similaires à celui conclu par France Telecom avec SFR ; que ce calcul sur la même durée que supra (27 plus cinq) aboutit à la somme de 2,2 milliards, soit 3,7 milliards avec intérêts ;
Mais que, mis à part les mêmes réserves que supra, ces calculs ne sont pas davantage étayés par des pièces versées au dossier, mis à part le contrat conclu avec SFR ; qu'il n'est donc pas établi que France Telecom ait conclu une dizaine de contrats par an identiques à celui conclu avec SFR ;
Qu'enfin, Lectiel évalue son préjudice sur la base du préjudice que France Telecom prétend avoir subi du fait de l'utilisation illégale de sa base de données : 12 195 921 euros annuels, soit 390 269 284 euros, et 641 095 682 euros avec intérêts ; que cette méthode, nullement explicitée, ne peut davantage être retenue ;
Que la société Lectiel verse aux débats une expertise privée de la société EKM ; que celle-ci évalue les préjudices au 31/12/2005 (depuis 1987) à la somme globale de 273,180 millions au titre de la perte de chance et des surcoûts (dont 202 millions pour Lectiel, et 70,44 pour Groupadress, locataire qui a exploité le fonds de commerce de Lectiel du 1/08/2002 mais n'est plus représenté) auquel s'ajoute un « préjudice de reconquête » de 102,564 millions d'euros, non ventilé ;
Que cette expertise fournit des éléments intéressants et distingue nettement, au sein des activités de la société Lectiel, ce qui relève du marketing direct adressé et du télémarketing, pour lesquelles il était nécessaire à Lectiel d'avoir accès à la base annuaire expurgée, des imprimées sans adresses et des activités autres que le marketing direct (base de données annuaires), pour lesquels l'usage du fichier non expurgé suffisait ; que l'expert privé évalue ainsi le chiffre d'affaires réalisable dans le marketing direct adressé de 1987 à 2005 à 199,747 millions d'euros et le chiffre d'affaires réalisable dans le télémarketing à 21,831 millions d'euros ; qu'il déduit de ces chiffres le chiffre d'affaires qui a été réalisé par Lectiel de 1987 à 2005, soit 40,922 millions d'euros, calcule la marge perdue sur la base d'un taux de 88 %, et de déduit de la somme ainsi obtenue une économie de coûts de 17,6 millions d'euros ;
Que si la méthode retenue par l'expert semble prima facie pertinente, cette expertise est affectée de plusieurs incertitudes ; qu'aucun des chiffres qui servent de base au calcul n'est justifié devant la cour (chiffre d'affaires de la société Lectiel, taux de marge) ; que, notamment, la méthode de calcul des bénéfices qu'aurait pu escompter la société Lectiel si elle avait eu accès à la vase annuaire expurgée (scénario contrefactuel) n'est pas explicitée ; que le chiffre d'affaires effectivement réalisé par Lectiel de 1987 à 2005 n'est pas décomposé entre marketing adressé et marketing non adressé ;
Qu'il y a donc lieu d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluer les gains manqués et les intérêts supportés par la société Lectiel du fait de l'abus de position dominante de France Telecom du 6 décembre 1991 à août 1998 ; que compte tenu de la procédure de liquidation de la société Lectiel, la société Orange sera condamnée à consigner les frais d'expertise ; que la cour insiste sur le fait qu'il sera tiré toute conséquence de droit sur l'évaluation du préjudice de Lectiel de l'éventuel refus de consigner d'Orange dans les délais prescrits » ;

1 ALORS QUE le lien de causalité entre la faute civile résultant d'agissements anticoncurrentiels et le préjudice allégué ne se présume pas et doit être démontré ; qu'en l'espèce, pour retenir que la faute imputée à la société Orange aurait causé un préjudice, la cour d'appel a retenu que « la société Lectiel, qui souhaitait entrer sur le marché du marketing direct, a été freinée dans son entrée sur ce marché, voire évincée du segment des fichiers de prospection » (arrêt, p. 10, alinéa 2, in fine) ; qu'en statuant ainsi, sans relever au-delà de son simple « souhait », les démarches précises que la société Lectiel auraient entreprises et que les agissements de la société Orange auraient « freinées », la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, et a violé l'article 1382 du code civil ;

2/ ALORS QUE l'existence d'un préjudice généré par une pratique anticoncurrentielle ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l'allègue ; qu'en l'espèce, pour retenir que la société Lectiel aurait subi un préjudice indemnisable, la cour d'appel a retenu que « privée d'accès à la base annuaire expurgée à des prix raisonnables, elle n'a pu fournir ce service sur le marché ou n'a pu le fournir à des prix compétitifs » (arrêt, p. 14, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement relever les circonstances établissant que la société Lectiel était en mesure d'exercer son activité sur le marché du marketing direct indépendamment des agissements prétendument anticoncurrentiels de la société Orange, la cour d'appel n'a pas mis la cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, et a violé l'article 1382 du code civil. Moyens produits au pourvoi n° F 16-10.327 par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Bes Ravise.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

(location-gérance du fonds de commerce d'août 1998 au 12 septembre 2002)

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande en réparation de la société Bes Ravise ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Lectiel, concernant le non-respect d'injonctions par la société France Telecom, pendant la période de 1999 à 2002 où le fonds de commerce de la société Lectiel était en location-gérance, et d'avoir, avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, limité la mesure d'expertise judiciaire ordonnée à l'évaluation du préjudice subi par la société Lectiel, du 6 décembre 1991 à août 1998 et à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant cette période, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé ;

AUX MOTIFS QUE la société Lectiel, représentée par la société Bes Ravise, demande réparation pour l'abus de position dominante dont elle a été victime de 1992 à 1999, puis pour le non-respect de l'injonction de France Telecom, de 1999 à 2003 ; elle demande à la cour de constater que les pratiques ont continué depuis lors ; sur la recevabilité des demandes de la société Lectiel : la société Orange, venant aux droits de la France Telecom, prétend en premier lieu que les demandes de Lectiel sont irrecevables en ce qu'elles concernent des demandes de la société Groupadress, qui n'intervient plus devant la cour de céans ; que la société Lectiel a donné son fonds de commerce en location-gérance en août 1998 à la société Groupadress ; que la société Lectiel n'a repris l'exploitation de son fonds de commerce que le 12 septembre 2002, jusqu'à sa mise en liquidation judiciaire le 30 septembre 2008 ; que la société Groupadress, qui exploitait le fonds à compter d'août 1998, a été placée en redressement judiciaire le 19 décembre 2011 et en liquidation judiciaire le 23 janvier 2002 ; qu'elle n'intervient plus à la présente procédure ; que la société Lectiel ne saurait obtenir de dédommagement que pour des pratiques qu'elle a elle-même subies personnellement, durant les périodes de 1987 à août 1998, et du 12 septembre 2002 au 30 septembre 2008 ; que les demandes de la société Lectiel afférentes à la période d'août 1998 au 12 septembre 2002 sont donc irrecevables ; [
] sur la pratique d'abus de position dominante [
], que la société Lectiel ne pourra être indemnisée que jusqu'en août 1998, compte tenu de la cession de son fonds de commerce à Groupadress ; [
] sur la pratique de non-respect d'injonction [
], que les demandes de la société Lectiel ne sont pas recevables pour la période courant de 1999 au 12 septembre 2002, cette société ayant à cette époque donné son fonds en location-gérance ; que sur le préjudice [
], il faut donc reconstituer quels auraient été les bénéfices réalisés par Lectiel, de fin 1992 à 1998, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles et de les comparer à ceux effectivement réalisés ; [
] que la pratique dont il est demandé réparation n'a duré que de fin 1992 à 1998 ; [
] qu'il y a donc lieu d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluer les gains manqués et les intérêts supportés par la société Lectiel du fait de l'abus de position dominante de France Telecom du 6 décembre 1991 à août 1998 ;

1°) ALORS QUE tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la location-gérance d'un fonds de commerce ne fait pas obstacle à la réparation du préjudice personnel subi par le loueur, propriétaire du fonds de commerce, un tel préjudice, consistant en une diminution des redevances perçues, étant distinct de celui subi par le locataire-gérant ; que la cour d'appel s'est fondée sur le fait que la société Lectiel avait donné son fonds de commerce en location-gérance d'août 1998 au 12 septembre 2002, pour affirmer que société Lectiel ne pouvait obtenir de dédommagement sur cette période, n'ayant alors pas subi les pratiques anticoncurrentielles personnellement ; qu'en rejetant sa demande d'indemnisation afférente à cette période sans rechercher si, nonobstant la mise en location-gérance du fonds de commerce, la société Lectiel avait subi un préjudice personnel consistant en une diminution des redevances perçues, consécutivement aux pratiques anticoncurrentielles commises par la société France Telecom, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 1382 du code civil, L. 144-1 et suivants du code de commerce et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°) ALORS QU' en s'abstenant de rechercher si les pratiques anticoncurrentielles de la société France Telecom avaient causé un préjudice à la société Lectiel lorsque celle-ci a repris l'exploitation de son fonds de commerce, postérieurement à la fin de la location-gérance, le 12 septembre 2002, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

(tarifs postérieurs à 2002)

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande en réparation de la société Bes Ravise ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Lectiel, en conséquence des tarifs pratiqués par la société France Telecom postérieurement à 2002, et d'avoir, avant dire droit sur l'évaluation du préjudice, limité la mesure d'expertise judiciaire à l'évaluation du préjudice subi par la société Lectiel du 6 décembre 1991 à août 1998, et à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant cette période, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé ;

AUX MOTIFS QU'il résulte de l'instruction les faits suivants : [
] la procédure en respect d'injonction : deux sociétés, estimant avoir besoin d'accéder à la liste des abonnés au téléphone pour exercer leur activité, ont saisi le Conseil de la concurrence d'une procédure de non-respect de l'injonction prononcée par la cour d'appel de Paris à l'encontre de France Telecom : - la société Sonera France (ci-après Sonera) qui souhaitait installer un service de renseignements téléphoniques ; - la société Scoot France (ci-après Scoot) qui voulait développer un service d' « annuaire intelligent » par téléphone et Internet ; la société Lectiel SA (anciennement dénommée Filetech SA) n'avait pas saisi le Conseil de la concurrence en respect d'injonction, mais était, au moment de sa saisine, devant les juridictions commerciales ; dans une décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002 (définitive car n'ayant fait l'objet d'aucun recours), le Conseil s'est prononcé sur le respect de l'injonction d'orientation vers les coûts du prix d'accès à la liste consolidée ; il a rappelé que la directive n° 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données transposée en droit français (articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle), ne faisait pas obstacle à cette injonction ; le Conseil a précisé que les coûts pertinents à prendre en considération étaient les coûts incrémentaux, dans la mesure où France Telecom ne pouvait fonctionner sans établir un fichier commercial de ses abonnés dont l'annuaire n'était qu'un produit dérivé et que seuls les coûts supplémentaires engendrés pour pouvoir fournir la liste consolidée devaient être pris en compte et imputés aux utilisateurs, à l'exception des coûts communs qui seraient de toute façon imputés à France Telecom si France Telecom ne fournissait pas cette prestation ; seuls les coûts incrémentaux devaient être pris en charge, c'est-à-dire les coûts des « opérations supplémentaires nécessaires pour établir l'annuaire, le fichier commercial étant supposé réalisé, le tout selon la technologie la plus efficace et avec un juste calcul de la charge en capital aux coûts d'aujourd'hui (et non aux coûts historiques) » ; après avoir rappelé ces lignes directrices, il a sursis à statuer et ordonné une expertise ; le rapport de l'expert lui a permis de conclure, dans une décision n° 03-D-43 du 12 septembre 2003 que France Telecom n'avait pas respecté l'injonction d'orientation vers les coûts des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichiers de 1999 à 2002 : le profit indu réalisé par France Telecom, mesuré par la différence entre les sommes facturées par France Telecom et les coûts incrémentaux de fourniture sur la base annuaire tels qu'ils résultaient de l'expertise a été évalué par le Conseil (paragraphe 80) à 15 millions d'euros de 1999 à 2002 ; le Conseil a condamné France Telecom à une amende de 40 millions d'euros, pour non-respect d'injonction ; la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision dans un arrêt du 6 avril 2004 ; la cour a souligné que France Telecom n'avait pu se méprendre sur l'injonction, notamment sur l'obligation de n'inclure dans les coûts d'accès aux données de l'annuaire que les frais liés aux opérations techniques nécessaires ; elle a estimé que le dommage à l'économie était établi en l'espèce, d'abord par des tarifs de cession de la base annuaire qui ne permettait pas concrètement aux concurrents potentiels de France Telecom d'entrer normalement sur le marché et ensuite par une surfacturation de l'ordre de 15 millions, en 4 ans, par France Telecom ; [
] que sur la pratique de non-respect d'injonction [
], si, dès 1999, la société France Telecom a proposé aux opérateurs de marketing direct des offres d'accès à sa base annuaire expurgée, ainsi que des prestations de topage, en exécution de la décision du Conseil de la concurrence du 29 septembre 1998, il résulte de la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003 que France Telecom n'a pas respecté l'injonction d'orientation vers les coûts de ses tarifs d'activité de gestionnaire de fichiers de 1999 à 2002 ; que par un arrêt définitif du 6 avril 2004, la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision, en relevant que France Telecom n'avait pu se méprendre sur l'injonction de 1999, notamment sur l'obligation de n'inclure dans les coûts d'accès aux données de l'annuaire que les frais liés aux opérations techniques nécessaires ; qu'elle a estimé que le dommage était établi par des tarifs de cession de la base annuaire qui ne permettaient pas concrètement aux concurrents potentiels de France Telecom d'entrer normalement sur le marché et ensuite par une surfacturation de l'ordre de 15 millions, en quatre ans, par France Telecom ; qu'il résulte de ces constatations, non sérieusement contestées par la société Orange, venant aux droits de France Telecom, que la société France Telecom n'a pas respecté l'injonction du Conseil de la concurrence ; que ce non-respect constitue une faute civile de France Telecom, sans que cet opérateur puisse prétendre que l'injonction n'était pas claire, pour s'exonérer de sa responsabilité, ou que n'était pas connue à l'époque la tarification au coût marginal, ces arguments ayant été définitivement rejetés par la cour d'appel de Paris ; [
] qu'il y a donc lieu de dire que le non-respect d'injonction de France Telecom de 1999 à 2002 constitue une faute civile génératrice de dommages ; que cependant, les demandes de la société Lectiel ne sont pas recevables pour la période courant de 1999 au 12 septembre 2002, cette société ayant à cette époque donné son fonds en location-gérance ; que la cour ne dispose par ailleurs pas des éléments nécessaires pour démontrer la continuation des pratiques après septembre 2002 ; que les demandes de Lectiel seront donc rejetées sur ce point ; [
] que sur le préjudice [
], il faut donc reconstituer quels auraient été les bénéfices réalisés par Lectiel, de fin 1992 à 1998, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles et les comparer à ceux effectivement réalisés ; [
] que la pratique dont il est demandé réparation n'a duré que de fin 1991 à 1998 ; [
] qu'il y a donc lieu d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluer les gains manqués et les intérêts supportés par la société Lectiel du fait de l'abus de position dominante de France Telecom du 6 décembre 1991 à août 1998 ;

1°) ALORS QUE dans sa décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002 relative au respect de l'injonction prononcée à l'encontre de la société France Telecom par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999, le Conseil de la concurrence a sursis à statuer pour apprécier l'orientation des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichier vers les coûts des opérations techniques nécessaires ; que dans sa décision n° 03-D-43 du 12 septembre 2003, le Conseil de la concurrence a constaté qu' « en dépit des injonctions formulées par la cour d'appel et depuis cette date, [France Telecom] n'a pris, ainsi qu'un des représentants de la société France Telecom l'a admis expressément en séance, aucune des mesures nécessaires pour s'assurer de fournir ces prestations de façon non discriminatoire et à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à la demande » (décision, § 78) ; que pour affirmer qu'elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour démontrer la continuation des pratiques anticoncurrentielles après septembre 2002 (arrêt, p. 13 § 3) et par conséquent rejeter la demande d'indemnisation de la société Bes Ravise ès qualités concernant les tarifs pratiqués après cette date, la cour d'appel a énoncé qu' « il résulte de la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003 que France Telecom n'a pas respecté l'injonction d'orientation vers les coûts de ses tarifs d'activité de gestionnaire de fichiers de 1999 à 2002 » (arrêt, p. 12 in fine) ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ladite décision que le non-respect de l'injonction d'orientation des prix vers les coûts avait persisté, à tout le moins jusqu'au 15 juillet 2003, la cour d'appel a dénaturé la décision du Conseil de la concurrence du 12 septembre 2003, en violation du principe suivant lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

2°) ALORS QUE la société Bes Ravise ès qualités soutenait que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société France Telecom, devenue Orange, dont la société Lectiel a été victime, n'avaient jamais cessé, malgré les décisions de constats d'infraction prises par les autorités de concurrence, en particulier la décision de sanction de France Telecom pour non-respect de l'injonction de proposition d'un tarif orienté vers les coûts prononcée à son encontre le 12 septembre 2003 ; que la société Bes Ravise produisait notamment des offres de fourniture des renseignements litigieux de France Telecom datées des 9 décembre 2003 et 15 mars 2004, qu'elle estimait non conformes à l'injonction d'orientation vers les coûts qui avait été prononcée ; que dans ses conclusions, la société Orange elle-même admettait que l'injonction d'orientation vers les coûts n'avait été effective qu'à la fin de l'année 2003 (p. 28) ; qu'en jugeant qu'elle ne disposait pas des éléments nécessaires pour démontrer la continuation des pratiques après septembre 2002, pour rejeter la demande de réparation concernant les tarifs postérieurs à cette date, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les offres de France Telecom postérieures à 2002 étaient conformes à l'injonction d'orientation du prix vers les coûts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°) ALORS QU'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Bes Ravise ès qualités, qui faisait valoir, en s'appuyant sur des tableaux analytiques, que la comparaison des tarifs proposés aux « annuairistes » avec ceux proposés aux opérateurs de marketing direct montrait que ces tarifs n'étaient pas conformes à l'injonction d'orientation vers les coûts (concl., p. 34), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

(marchés sur lesquels un préjudice a été subi)

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir, avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi, limité la mesure d'expertise judiciaire à la comparaison du bénéfice qui aurait été réalisé en l'absence de pratiques anticoncurrentielles durant la période comprise entre le 6 décembre 1991 à août 1998, sur les seuls segments du marketing direct adressé, du télémarketing et du bénéfice effectivement réalisé ;

AUX MOTIFS QUE, sur la pratique de non-respect d'injonction [
] que les pratiques de téléchargement illicites de Lectiel, pour lesquelles elle a déjà été sanctionnée définitivement, ne lui permettaient pas d'obtenir des données expurgées de la liste orange et donc ne lui permettaient pas d'exercer sur le marché du marketing adressé ou du télémarketing, activités pour lesquelles elle devait accéder à des données expurgées, sous peine d'être sanctionnée pénalement ; qu'il ne peut être déduit de la comparaison entre le coût du « téléchargement » et les tarifs d'accès à la base annuaire expurgée proposés par France Telecom, que la société Lectiel n'était plus intéressée par cet accès ; que la surfacturation sanctionnée par le Conseil de la concurrence lui a fait grief, comme aux autres opérateurs de marketing direct, sur le segment du marketing adressé et du télémarketing, même si elle a pu se développer sur d'autres segments de marché grâce au téléchargement, et notamment, sur les marchés de la base annuaire ou de marketing non adressé ; [
] que sur le préjudice [
], la société Orange prétend que Lectiel [
] a pu [
] développer ses activités sur le marché de l'édition d'annuaires, de cession des listes nécessaires pour la constitution de tels annuaires, mais aussi sur les marchés dérivés du géomarketing et du scoring ; qu'en outre elle a pu exercer la très grande majorité des prestations qui n'impliquaient aucun contact téléphonique, aucune publicité adressée ni aucun démarchage personnalisé ; que sur le marché du marketing direct, Lectiel pouvait acheter d'autres listes que la base annuaire de France Telecom, puis les revendre après enrichissement, sans devoir disposer de la liste des abonnés de France Telecom, les obligations relatives à l'inscription de certains abonnés en liste orange étant opposables aux seules listes provenant de l'annuaire de France Telecom [
] ; que la société Lectiel a subi un préjudice pour les activités de marketing direct, qui nécessitent l'utilisation de données expurgées de la liste orange, à savoir les activités de marketing direct adressé (MDA) et les activités de marketing ou phoning ; que la société Lectiel a pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses à savoir les imprimés sans adresses (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée ; qu'ainsi, seuls les bénéfices perdus sur le marketing direct adressé (MDA) et le télémarketing seront pris en compte ; que la société Orange ne peut prétendre que Lectiel n'aurait subi aucun préjudice, grâce au téléchargement illégal, ce téléchargement n'ayant pu bénéficier qu'aux activités de marketing « non adressées » ; que la société Orange ne peut davantage soutenir que Lectiel aurait pu avoir accès à d'autres fichiers comparables à la base annuaire, dont la non expurgation ne serait pas sanctionnable et qui lui auraient permis de réaliser des opérations de marketing direct adressées, aucun fichier ne constituant une alternative à la base annuaire expurgée qui constitue une infrastructure essentielle ; [
] que la société Lectiel verse aux débats une expertise privée de la société EKM [
] que cette expertise fournit des éléments intéressants et distingue nettement, au sein des activités de la société Lectiel, ce qui relève du marketing direct adressé et du télémarketing, pour lesquelles il était nécessaire à Lectiel d'avoir accès à la base annuaire expurgée, des imprimés sans adresses et des activités autres que le marketing direct (base de données, annuaires), pour lesquels l'usage du fichier non expurgé suffisait ;

1°) ALORS QU'était interdit, à l'époque des faits litigieux, l'usage par quiconque, à des fins commerciales ou de diffusion dans le public, des informations nominatives extraites des annuaires concernant les personnes physiques qui avaient souscrit un abonnement aux services téléphoniques de l'exploitant public et avaient demandé leur inscription en liste « orange », consistant à ne pas figurer sur les listes extraites des annuaires et commercialisées par l'exploitant public ; que pour limiter le droit à réparation de la société Lectiel aux seules activités de marketing direct adressé et aux activités de télémarketing, la cour d'appel a affirmé que « la société Lectiel avait pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses [
] grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée » (arrêt, p. 14 § 4) ; qu'en statuant ainsi, cependant que le téléchargement de la base annuaire non expurgée ne permettait pas à la société Lectiel d'exercer son activité conformément à la règlementation relative à la liste orange, de sorte que le préjudice subi par la société Lectiel concernait l'ensemble de son activité, la cour d'appel a violé l'article R. 10-1 du code des postes et communications électroniques en sa rédaction applicable au litige, ainsi que les articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°) ALORS QUE, en tout état de cause, l'interdiction d'effectuer un usage commercial ou de diffuser des informations nominatives concernant les personnes physiques figurant dans les annuaires de l'exploitant public qui avaient souscrit à la liste orange, ne distinguait pas selon l'activité pour laquelle les informations nominatives étaient utilisées ; qu'en jugeant que « la société Lectiel avait pu développer les activités de marketing direct ne nécessitant pas l'usage d'adresses, à savoir les imprimés sans adresses (ISA), mais également la publicité mass media et les bases de données, grâce au téléchargement de la base annuaire non expurgée » (arrêt, p. 14 § 4), sans rechercher si, pour l'exercice de ces activités, la société Lectiel utilisait des informations nominatives extraites des annuaires qui concernaient des personnes physiques figurant sur la liste « orange », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 10-1 du code des postes et communications électroniques en sa rédaction applicable au litige et des articles 1382 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

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