13 septembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-12.978

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2017:CO01081

Texte de la décision

COMM.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2017




Cassation partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 1081 F-D

Pourvoi n° N 16-12.978





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. Jean-Pierre X..., domicilié [...],

contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant à la Société civile des Mousquetaires, dont le siège est [...],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 7 juin 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, M. Y..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Y..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. X..., de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la Société civile des Mousquetaires, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., associé de la Société civile des Mousquetaires (la société) depuis 1993, en a été exclu par une assemblée générale du 24 mai 2005, laquelle a fixé la valeur unitaire de ses parts sociales et dit que le remboursement des sommes lui revenant serait effectué par fractions égales en quatre ans ; que, contestant cette évaluation, M. X... a obtenu la désignation en justice d'un expert aux fins de fixation de la valeur de ses droits sociaux ; que l'expert désigné ayant déposé son rapport le 25 février 2011, M. X... a assigné la société en remboursement de ses parts sur la base de la valeur déterminée par l'expert ;

Attendu que pour annuler le rapport de l'expert et rejeter les demandes de M. X..., l'arrêt retient que l'expert a manifestement retenu une autre valeur que celle fixée par les statuts et convenue entre les parties, ce constat caractérisant à suffisance une erreur grossière d'appréciation ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'expert de déterminer lui-même, selon les critères qu'il jugeait appropriés à l'espèce, et sans être lié par la convention ou les directives des parties, la valeur des droits sociaux litigieux, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette l'exception d'irrecevabilité de la demande, l'arrêt rendu le 26 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société civile des Mousquetaires aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. X...


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé le rapport de M. Z... et d'avoir débouté M. X... de toutes ses demandes ;

Aux motifs que sur le rapport d'expertise et la demande en paiement des parts, pour dire n'y avoir lieu à homologation du rapport d'expertise de M. Z... et rejeter la demande en paiement de M. X..., le tribunal a considéré que les dispositions de l'article 1843-4 du code civil modifiées par l'ordonnance du 31 juillet 2014 étant d'application immédiate, l'expert aurait dû appliquer les règles et modalités de détermination de la valeur des parts prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties, ce qu'il n'a pas fait, ayant clairement retenu une valeur différente de celle fixée par les statuts ; que M. X... critique le jugement pour avoir appliqué rétroactivement à une situation contractuelle en cours, l'article 1843-4 du code civil en sa rédaction issue de l'ordonnance du 31 juillet 2014, alors qu'il ne s'agit pas d'une loi interprétative, dès lors qu'elle visait à restreindre les pouvoirs de l'expert quant à sa méthode d'évaluation des parts, qu'il considère en conséquence que les griefs à l'encontre du rapport d'expertise ne peuvent prospérer, dès lors qu'antérieurement à l'ordonnance du 31 juillet 2014, l'expert n'était pas tenu de respecter les stipulations contractuelles, que sa mission était de déterminer la valeur des parts en suivant la méthode lui apparaissant la plus appropriée, les conditions d'application de la loi dans le temps étant particulièrement floues et le texte ne précisant pas qu'il est d'application immédiate, que la convention des parties demeurait régie par le droit existant au jour de sa conclusion, que la loi nouvelle ne pouvait remettre en cause des droits acquis suivant une valeur déterminée par un rapport d'expertise plus de trois ans avant l'ordonnance du 31 juillet 2014, étant relevé que la mission de l'expert et par voie de conséquence la procédure d'évaluation qui aboutit à la fixation du prix par le tiers évaluateur s'est achevée avec le dépôt de son rapport, que le montant évalué par le tiers évaluateur est conforme à la valeur statutaire de remboursement résultant de l'article 16-4 des statuts, que l'article 6 du règlement intérieur ne définit pas la valeur de remboursement des parts sociales mais seulement leur valeur de souscription, cette dernière ne pouvant servir de valeur de remboursement que si elle est supérieure à la valeur résultant de l'application du premier alinéa de l'article 16-4 des statuts, qu'étant ici inférieure, elle ne peut servir de valeur de référence pour la sortie, qu'enfin la valeur de remboursement des parts n'est ni déterminée ni déterminable dans la version 2002 applicable au litige de l'article 16-4 des statuts et de l'article 6 du règlement intérieur, de sorte que la nouvelle rédaction de l'article 1843-4 du code civil n'aurait eu aucun impact ni sur la désignation du tiers évaluateur, ni sur la recherche de la valeur de remboursement ; que la SCM réplique, à titre principal, qu'en l'absence de dispositions transitoires, la loi nouvelle est d'application immédiate dès lors qu'elle ne remet pas en cause une situation définitivement constituée avant son entrée en vigueur, que l'article 1843-4 du code civil ne porte que sur le droit de faire désigner un expert et ne confère pas un droit acquis à une valeur, de même que l'ordonnance qui n'a d'autorité que pour la désignation qu'elle a décidé, que le rapport n'a pas non plus fait naître un droit acquis puisqu'il peut être contesté, qu'en outre, la modification apportée par l'ordonnance du 31 juillet 2014 présente un caractère interprétatif permettant son application rétroactive, le législateur s'étant borné non pas à réformer le texte mais à en limiter l'interprétation extensive qui en avait été faite par la jurisprudence ; que l'article 16.4 des statuts de SCM stipule que « l'associé retrayant ou exclu est remboursé conformément à l'article 48 de la loi du 24 juillet 1867 : - de la fraction libérée et non amortie de son apport, - et, s'il y a lieu, de sa quote-part dans les bénéfices de la société mis en réserves, telles que ces réserves figurent sur le dernier bilan régulièrement approuvé. L'assemblée générale extraordinaire pourra toutefois décider que le montant du remboursement du à l'associé qui se retire ou est exclu sera fixé à la valeur de souscription des parts, déterminée par application des dispositions de l'article 6 du règlement intérieur, dans la mesure où cette valeur est supérieure au montant résultant de l'application de l'alinéa qui précède [....] » ; que selon l'article 6 du règlement intérieur, la gérance proposera chaque année à l'assemblée générale annuelle une valeur de souscription des parts qui pourra également être retenue par l'assemblée générale conformément à l'article 16-4 de statuts comme valeur de remboursement, la valeur sera : « - celle de l'année d'avant, majorée d'un pourcentage représentant une plus value de dix pour cent plus l'inflation (indice INSEE des prix à la consommation des ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé « alimentation et boissons » base 100 en 1998) - toutefois, cette majoration n'interviendra que dans la mesure où le résultat net consolidé d'ITM Entreprises et de ses filiales sera au moins égal, en valeur absolue, à l'augmentation des parts qui résulterait de l'application de la formule ci-dessus » ; que le quatrième alinéa de l'article 16-4 des statuts renvoie les parties en cas de contestation de la valeur de remboursement des parts à la désignation d'un expert à l'amiable ou, à défaut, par le président du tribunal de grande instance du siège social conformément aux modalités de l'article 1843-4 du code civil et précise : « En tout état de cause, l'expert désigné déterminera la valeur de remboursement dans le respect des Statuts et du Règlement intérieur » ; que M. Z... a été désigné au visa de l'article 1843-4 du code civil par l'ordonnance du 2 juin 2010 qui a retrouvé son plein effet ensuite de l'arrêt de la Cour de cassation ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait annulé sa nomination ; qu'il est donc intervenu en qualité de tiers évaluateur pour fixer la valeur des parts ; que l'évaluation fixée par le tiers évaluateur s'impose aux parties, à moins qu'il ne soit établi l'existence dans le rapport d'une erreur grossière d'appréciation ; que les parties sont contraires sur l'existence d'une telle erreur au regard de la loi applicable et des méthodes d'évaluation retenues par l'expert ; que dans sa version antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 2014, l'article 1843-4 du code civil dispose: « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur des droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible » ; qu'est inopérant le moyen pris de ce que la modification de l'article 1843-4 du code civil issue de l'ordonnance du 31 juillet 2014 selon laquelle « [....] L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties », n'est pas applicable aux expertises ordonnées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette nouvelle rédaction, dès lors qu'aucune disposition sous la rédaction antérieure n'autorisait l'expert à s'affranchir des méthodes d'évaluation arrêtées conventionnellement par les parties lorsque celles-ci existent, étant ajouté que la désignation de l'expert par le juge, en application de la convention des parties, ne confère pas à ce dernier une mission différente de celle résultant du mandat qui lui aurait été confié par les parties elles-mêmes si elles avaient été suffisamment diligentes pour s'entendre sur sa désignation, le respect par l'expert des modalités d'évaluation arrêtées par les parties étant essentiel dès lors qu'à défaut d'erreur grossière d'appréciation, l'évaluation de ce dernier s'imposera aux intéressés ; qu'il est par conséquent indifférent, pour apprécier l'existence d'une erreur grossière d'évaluation, que l'expert ait été désigné et ait accompli sa mission avant l'entrée en vigueur du nouveau texte, étant surabondamment relevé que ni la date des statuts ou de la convention des parties, ni l'ordonnance désignant l'expert, ni le dépôt du rapport d'expertise déterminant la valeur des parts ne sont constitutifs de droits acquis sur le prix de remboursement à dire d'expert, dès lors que l'évaluation faite par le tiers évaluateur ne s'imposera aux parties que si elle n'est pas arguée d'erreur grossière ou si l'existence d'une telle erreur est écartée par le juge, l'évaluation de M. Z... ayant en l'espèce toujours été contestée par la SCM ; qu'il ressort des dispositions statutaires et du règlement intérieur ci-dessus rappelées que les parties ont expressément entendu encadrer les méthodes d'évaluation qui seront mises en oeuvre par l'expert, tiers évaluateur, en le renvoyant aux statuts et au règlement intérieur ; que dans son rapport, M. Z... a fixé la valeur des 60 parts à 3 208 306 euros, en considérant qu'il lui appartenait de prendre en compte la valeur économique des parts basée sur l'offre et la demande d'un marché réel, qu'il a ainsi expressément écarté de sa méthode d'évaluation la valeur statutaire proposée par la SCM, celle-ci, selon lui, « s'écartant de manière trop importante des valeurs obtenues par les autres méthodes de valorisation »
et a procédé à la recherche des valeurs au travers de trois méthodes : mathématique ou patrimoniale (actif net réévalué), comparaison avec le marché boursier et Price to Book (comparaison entre le valeur de marché des capitaux propres et leur valeur comptable) ; que M. X... invoque vainement l'absence de modalités précises définies par les parties et le caractère indéterminé et indéterminable de la valeur de remboursement dans la convention des parties qui autorisait le tiers évaluateur à effectuer librement la recherche de valeur dans le cadre de la contestation, dès lors qu'il ne ressort pas du rapport une impossibilité de valoriser les parts dans le cadre fixé par les parties, les méthodes d'évaluation retenues par l'expert résultant au contraire d'un choix de méthodes jugées plus appropriées, étant en outre observé que la SCM verse au débat le rapport d'expertise établi dans le cadre d'un litige similaire avec un autre associé sortant qui a fixé la valeur des parts sur la base des critères conventionnels ; qu'il est donc manifeste, ainsi que l'ont exactement relevé les premiers juges, que l'expert a manifestement retenu une autre valeur que celle fixée par les statuts et convenues entre les parties, ce constat caractérisant à suffisance une erreur grossière d'appréciation ; que cette erreur grossière prive de tout effet l'évaluation des parts réalisée par M. Z..., la cour n'ayant, compte tenu de la spécificité de la mission du tiers évaluateur, et de la procédure définie par les parties pour déterminer la valeur des parts en cas de contestation, que le pouvoir d'annuler le rapport et non pas celui de discuter le montant retenu en se substituant au tiers évaluateur pour fixer la valeur de remboursement des parts ; qu'en conséquence, n'est pas opérant le moyen de M. X... pris de ce que le montant évalué par l'expert serait cependant conforme à la valeur statutaire de remboursement résultant de l'article 16-4 des statuts au motif que la valeur de souscription, étant inférieure à la valeur résultant de l'application du premier alinéa de l'article 16-4 des statuts, ne peut servir de valeur de remboursement, ce moyen revenant à discuter l'évaluation fixée par M. Z... ; qu'à ces motifs, le jugement sera confirmé, sauf à juger en lieu et place du refus d'homologation, que le rapport du tiers évaluateur sera annulé, M. X... étant débouté de toutes ses demandes en paiement d'un complément de prix ;

Alors 1°) que l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil a toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu'il juge opportuns ; qu'en ayant énoncé que l'expert Z... avait manifestement retenu une autre valeur que celle fixée par les statuts et convenues entre les parties et que cela caractérisait une erreur grossière d'appréciation, la cour d'appel a violé le texte précité ;

Alors 2°) qu'il appartient au seul expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil de déterminer la valeur des droits sociaux ; qu'en faisant une relation entre le prix évalué par l'expert Z... et celui déterminé par l'expert de la société civile des Mousquetaires, la cour d'appel, qui a elle-même procédé indirectement à l'évaluation des parts en rejetant la valeur fixée par l'expert, lui faisant grief de ne pas avoir appliqué le prix résultant des statuts, a violé le texte précité ;

Alors 3°) et subsidiairement, qu'à supposer même que l'expert soit tenu, pour évaluer les parts, de retenir la valeur fixée par les statuts et convenue entre les parties et commette une erreur grossière d'appréciation en retenant une autre valeur, en jugeant inopérant le moyen de M. X... pris de ce que le montant évalué par l'expert Z... était, en tout état de cause, conforme à la valeur statutaire de remboursement résultant de l'article 16-4 des statuts, circonstance qui était pourtant de nature à justifier l'homologation du rapport du tiers évaluateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1843-4 du code civil.

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