27 septembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-12.942

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:CO01257

Titres et sommaires

TRANSPORTS ROUTIERS - marchandises - prescription - prescription annale (article l. 133-6 du code de commerce) - exception - fraude ou infidélité - domaine d'application - cas - impossibilité d'agir dans le délai d'un an - preuve - nécessité (non)

En cas de fraude ou d'infidélité, l'article L. 133-6 du code de commerce n'impose pas la preuve de l'impossibilité d'agir dans le délai d'un an suivant la découverte de la fraude. Doit donc être cassé l'arrêt, qui déclare prescrite la demande en répétition de l'indu d'un expéditeur formée dans le délai de prescription de droit commun mais au-delà du délai annal au motif que la preuve d'une fraude ayant placé cet expéditeur dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de la faire valoir en temps utile n'était pas rapportée

Texte de la décision

COMM.

CM

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 septembre 2017



Cassation partielle


Mme X..., président


Arrêt n° 1257 FS-P+B+I

Pourvoi n° Y 16-12.942




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Gefco, société anonyme, dont le siège est [...]                                          ,

contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2015 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société Natixis factor, société anonyme, dont le siège est [...]                                      ,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;


LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 11 juillet 2017, où étaient présents : Mme X..., président, Mme Y..., conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, M. Guérin, Mme Vallansan, M. Remeniéras, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, Fontaine, conseillers, Mmes Schmidt, Barbot, M. Blanc, conseillers référendaires, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Y..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Gefco, de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Natixis factor, l'avis de M. B... premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Transports Z...  (la société Z...) a remis à la société Natixis factor, en exécution d'un contrat d'affacturage, des factures relatives à des transports réalisés pour le compte de la société Gefco, commissionnaire de transport ; que soutenant avoir découvert, en février 2009, que des factures fictives avaient été établies par l'un de ses salariés avec la complicité du dirigeant du transporteur, la société Gefco a cessé ses paiements ; qu'assignée en paiement par la société Natixis factor, la société Gefco a, par conclusions du 1er octobre 2010, reconventionnellement demandé la restitution des sommes payées sur présentation des factures fictives et leur compensation avec les créances de la société Natixis factor ; que cette dernière a opposé la prescription de l'action sur le fondement de l'article L. 133-6 du code de commerce ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, quatrième et cinquième branches :

Attendu que la société Gefco fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes de restitution et de compensation alors, selon le moyen :

1°/ que l'action en répétition de l'indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi-contrats ; qu'en l'espèce, la société Gefco faisait valoir une créance de restitution suite au paiement indu de factures fictives ; qu'en faisant néanmoins application du délai de prescription d'un an de l'article L. 133-6 du code de commerce pour déclarer cette demande irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application et les articles 1235, 1376 et 2224 du code civil par refus d'application ;

2°/ que le juge ne peut soulever un moyen d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, en soulevant d'office le moyen pris de ce que la société Gefco n'apportait pas la preuve que la fraude qu'elle avait subie l'avait placée dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de le faire valoir en temps utile, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que la prescription libératoire extinctive n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exiger l'exécution de son obligation ; que la compensation est un mode d'extinction de deux dettes réciproques et ne consiste donc pas à demander l'exécution d'une obligation ; qu'en l'espèce, la société Gefco ne demandait pas l'exécution d'une obligation mais demandait l'extinction d'une partie de sa dette envers la société Natixis factor par compensation avec la créance qu'elle détenait sur cette même société ; qu'en déclarant cette demande de compensation irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé l'article 1289 du code civil, ensemble l'article 2219 du même code ;

Mais attendu, en premier lieu, que toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, en ce compris les demandes de répétition de l'indu et les demandes reconventionnelles de compensation, sont soumises à la prescription annale prévue à l'article L. 133-6 du code de commerce, sauf au cas de fraude ou d'infidélité ; que le moyen, pris en ses première et troisième branches, procède d'un postulat erroné ;

Et attendu, en second lieu, que saisie sur le fondement de l'article L. 133-6 du code de commerce, la cour d'appel, qui n'a pas relevé d'office un moyen de droit en procédant à la vérification des conditions d'application de ce texte, n'était pas tenue d'inviter les parties à présenter leurs observations ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu l'article L. 133-6 du code de commerce ;

Attendu que pour déclarer irrecevables, comme prescrites, les demandes de restitution et de compensation de la société Gefco, l'arrêt retient que celle-ci a été dans l'impossibilité de faire valoir ses droits jusqu'en février 2009 en raison de factures fictives établies grâce à une complicité entre le dirigeant de la société Z... et un de ses salariés mais que la tardiveté de la découverte de cette fraude est au moins partiellement due à l'absence ou l'inefficience de ses procédures de contrôles internes et que cette négligence a facilité la durée et l'ampleur de la fraude ; que l'arrêt en déduit que la preuve d'une fraude ayant placé la société Gefco dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de le faire valoir en temps utile n'est pas rapportée et que la demande est donc prescrite ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 133-6 du code de commerce n'impose pas la preuve de l'impossibilité d'agir dans le délai d'un an suivant la découverte de la fraude, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé ce texte ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables, comme prescrites, les demandes de restitution et de compensation de la société Gefco, l'arrêt rendu le 3 décembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Natixis factor aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Gefco la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Gefco

Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de restitution et de compensation présentées par la société Gefco et de l'AVOIR condamnée à payer à la société Natixis Factor les sommes de 10 000 € et 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de restitution dirigée par la société Gefco contre la société Natixis : Sur la recevabilité de la demande : Considérant que l'article L 133-6 du code de commerce dispose que les actions pour avaries, pertes et retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité, et que toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l'article 1269 du code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d'un an ; qu'il résulte de ce texte que sont aussi soumises à la prescription annale, sauf en cas de fraude ou d'infidélité, toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, la fraude ou l'infidélité pouvant faire échec à la prescription annale des actions auxquelles peuvent donner lieu le contrat de transport aussi bien que celles qui naissent de l'article 1269 du code de procédure civile ; que la démonstration par la société Gefco d'une fraude ou d'une infidélité commise par la société Z... peut faire échec à la prescription annale de sa demande reconventionnelle; Considérant toutefois qu'il résulte des propres écritures de la société Gefco que la fictivité des factures a été rendue possible par un concert entre M. Z..., dirigeant de la société Z..., et M. A..., salarié de la société Gefco, ayant permis l'établissement de faux documents dont la fausseté n'a été découverte qu'en février 2009 ; qu'il s'en déduit que si la société Gefco a été dans l'impossibilité de faire valoir ses droits jusqu'en février 2009, la tardiveté de la découverte de la fraude est au moins partiellement due à l'absence ou l'inefficience des procédures de contrôles internes au sein de la société Gefco qui ont facilité la durée de la fraude et son ampleur ; que l'établissement des factures fictives n'a été possible que grâce à la complicité du salarié de la société Gefco et à la négligence de cette dernière dans la mise en place et le fonctionnement des procédures de contrôle, étant précisé que chaque facture a été visée et approuvée par son service comptable ; que dans ces circonstances la preuve d'une fraude de la part de la société Z... ayant placé la société Gefco dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de le faire valoir en temps utile n'est pas apportée ; Considérant en conséquence que la demande de restitution de la société Gefco, opposée à juste titre au subrogé dès lors que le motif de la demande s'est révélé après la subrogation mais est antérieur à celle-ci , mais présentée devant le tribunal pour la première fois le 16 septembre 2011 ainsi que le soutient la société Natixis sans être contredite, représentant le montant des paiements de factures émises par la société Z... plus d'un an avant cette date, entre le 14 mai 2005 et le 27 janvier 2009, et payées sur cette même période (conclusions de la société Gefco page 8), est prescrite par application de l'article L 133-6 susvisé ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Gefco de sa demande de restitution et de sa demande de compensation qui seront plutôt déclarées irrecevables ».

1) ALORS QUE l'action en répétition de l'indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi-contrats ; qu'en l'espèce, la société Gefco faisait valoir une créance de restitution suite au paiement indu de factures fictives ; qu'en faisant néanmoins application du délai de prescription d'un an de l'article L.133-6 du code de commerce pour déclarer cette demande irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application et les articles 1235, 1376 et 2224 du code civil par refus d'application.

2) ALORS subsidiairement QUE la fraude ou l'infidélité font échec à la prescription annale de l'article L.133-6 du code de commerce ; qu'en l'espèce, après avoir indiqué que « la démonstration par la société Gefco d'une fraude ou d'une infidélité commise par la société Z... peut faire échec à la prescription annale de sa demande reconventionnelle », la cour d'appel a constaté que la société Gefco avait été victime d'une fraude consistant en l'établissement de fausses factures par le dirigeant de la société Z... et par un salarié de la société Gefco ; qu'en faisant néanmoins application du délai de prescription d'un an de l'article L.133-6 du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article susvisé.

3) ALORS subsidiairement QUE la fraude ou l'infidélité font échec à la prescription annale de l'article L.133-6 du code de commerce, même si la victime a commis des négligences ou des manquements ayant rendu la fraude possible ; qu'en l'espèce, pour faire application du délai de prescription d'un an de l'article L.133-6 du code de commerce, la cour d'appel a relevé que la fraude avait été rendu possible par la complicité du salarié de la société Gefco et par la négligence de cette dernière, ce dont elle a déduit que la société Gefco n'était pas dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de le faire valoir en temps utile ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à justifier l'application du délai de prescription d'un an, la cour d'appel a violé l'article L.133-6 du code de commerce.

4) ALORS subsidiairement QUE le juge ne peut soulever un moyen d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, en soulevant d'office le moyen pris de ce que la société Gefco n'apportait pas la preuve que la fraude qu'elle avait subie l'avait placée dans l'ignorance légitime et raisonnable de son droit et dans l'impossibilité de le faire valoir en temps utile, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

5) ALORS subsidiairement QUE la prescription libératoire extinctive n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exiger l'exécution de son obligation ; que la compensation est un mode d'extinction de deux dettes réciproques et ne consiste donc pas à demander l'exécution d'une obligation ; qu'en l'espèce, la société Gefco ne demandait pas l'exécution d'une obligation mais demandait l'extinction d'une partie de sa dette envers la société Natixis par compensation avec la créance qu'elle détenait sur cette même société ; qu'en déclarant cette demande de compensation irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé l'article 1289 du code civil, ensemble l'article 2219 du même code.

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