29 novembre 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-80.224

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:CR02894

Titres et sommaires

COUR D'ASSISES - questions - circonstances aggravantes - circonstance aggravante non mentionnée dans l'arrêt de renvoi - question spéciale résultant des débats - requalification des faits - cas - violences avec arme - circonstance aggravante de mort occasionnée (non)

Le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, défini par l'article 222-7 du code pénal, est une infraction distincte du délit de violences commises avec arme, défini par les articles 222-11 à 222-13 du code pénal, et non pas une circonstance aggravante de ce délit. En conséquence, méconnaît les dispositions de l'article 350 du code de procédure pénale le président de la cour d'assises qui pose une question spéciale afin de rechercher si les faits qualifiés dans la décision de renvoi de violences avec arme ne constituent pas en réalité le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner

Texte de la décision

N° B 17-80.224 FS-P+B

N° 2894

FAR
29 NOVEMBRE 2017


CASSATION


M. X... président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________







LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. Loïc Y..., contre l'arrêt de la cour d'assises de la Meurthe-et-Moselle, statuant sans jury, en date du 12 décembre 2016, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de violences aggravées, s'est prononcé sur la question spéciale de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 octobre 2017 où étaient présents : M. X..., président, M. Z..., conseiller rapporteur, M. Castel, Raybaud, Mme Drai, MM. Stephan, Guéry, conseillers de la chambre, M. Laurent, Béghin, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. A... ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller Z..., les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général A... ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que M. Y... a été renvoyé devant une cour d'assises pour y répondre des délits de violences commises avec arme sur les personnes d'Aymeric B... et de M. D... et de violences commises en réunion sur la personne de M. C..., infractions connexes au crime de meurtre sur la personne d'Aymeric B... reproché à deux co-accusés ; qu'après requalification partielle, la cour d'assises a déclaré M. Y... coupable du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort de M. B... sans intention de la donner, et des délits de violences aggravées envers MM. D... et C... ; qu'elle l'a condamné à la peine de neuf ans d'emprisonnement ; que, parmi les accusés reconnus coupables, seul M. Y... a interjeté appel ; que le ministère public a formé un appel incident ; que le président de la cour d'assises, faisant application de l'article 286-1 du code de procédure pénale, a décidé que la cour statuerait sans l'assistance des jurés au motif que cette juridiction était uniquement saisie, dans les termes de l'ordonnance de mise en accusation, des infractions délictuelles reprochées à M. Y... ; qu'au cours des débats, le président a indiqué qu'il envisageait de poser la question spéciale suivante : "les violences spécifiées à la question n° 1 et qualifiées à la question n° 2 ont-elle entraîné la mort de M. Aymeric B... sans intention de la donner ?" ; qu'à la suite de l'opposition formée par l'avocat de la défense, la cour, par arrêt incident, a décidé que "la question spéciale de mort occasionnée par les violences volontaires reprochées à M. Y... sur la personne de M. B..." serait posée ; qu'immédiatement après, la cour, par un arrêt distinct, s'est déclarée incompétente, en sa formation prévue par l'article 286-1 précité, pour statuer sur une qualification criminelle ; que l'accusé a formé un pourvoi contre "l'arrêt statuant sur la question spéciale de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" ;

En cet état :

Sur la recevabilité du pourvoi :

Attendu que l'arrêt sur le fond par lequel la cour, mettant fin à la procédure, s'est déclarée incompétente fait corps avec l'arrêt incident par lequel elle a décidé que serait posée une question spéciale sur la qualification juridique des faits ; que, dès lors, le pourvoi formé contre le seul arrêt incident, qui entraîne nécessairement la remise en cause de l'arrêt sur le fond, ne méconnaît pas les dispositions de l'article 316 du code de procédure pénale et doit être déclaré recevable ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-1 et 121-4, 222-7 du code pénal, 188, 286-1, 316, 350, 591 et 592 du code de procédure pénale :

"en ce que par un premier arrêt incident attaqué la cour d'assises a décidé de poser une question spéciale donnant une qualification criminelle aux faits dont elle était saisie ;

"aux motifs qu'il résulte de l'ensemble des débats et des constatations du médecin légiste, que, sans préjuger de l'imputabilité des contusions et des lésions constatées sur Aymeric B..., ni les origines causales du processus de la mort, des coups ont été portés sur ce dernier au cours d'une scène confuse mais unique et continue, impliquant M. Loïc Y..., et à l'issue de laquelle Aymeric B... a trouvé la mort ;

"1°) alors qu'en vertu de l'article 350 du code de procédure pénale, s'il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans l'arrêt de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales ; qu'il en résulte que la cour d'assises ne peut poser de questions spéciales, portant sur une circonstance aggravante qui a été écartée par le magistrat instructeur ; que cette décision comportant non-lieu partiel a en effet acquis autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, la cour d'assises d'appel, qui était saisie du délit connexe de violences avec arme, a décidé de poser une question spéciale sur la mort occasionnée par ces violences ; que le magistrat instructeur ayant expressément écarté le fait que M. Y... ait commis des violences ayant entraîné la mort, en relevant que la mort de la victime résultait de coups de couteau que n'avait pas pu porter l'accusé, qui n'était pas détenteur d'une telle arme au moment des faits, la cour d'assises, qui a posé une question spéciale sur la mort occasionnée, a méconnu les articles 188 et 350 du code de procédure pénale ;

"2°) alors qu'en vertu de l'article 121-1 du code pénal, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner suppose que soit établi le lien de causalité entre les violences et le décès de la victime ; que, pour décider de poser une question spéciale sur la circonstance de la mort occasionnée par les violences pour lesquelles M. Y... a été mis en examen, la cour d'assises d'appel a estimé qu'indépendamment de la question de savoir si l'accusé avait personnellement donné des coups ayant entraîné la mort, il convenait de constater que ces coups avaient été portés au cours d'une scène unique à l'issue de laquelle la victime était décédée ; qu'en estimant que le crime de violences ayant occasionné la mort peut résulter du seul fait de porter des coups en même temps que d'autres personnes, même alors qu'il est établi que les coups mortels ont été portés par une autre personne, la cour d'assises d'appel a méconnu les articles 121-1 et 222-7 du code pénal ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 286-1, 316, 350, 591, 592 du code de procédure pénale :

"en ce que l'arrêt attaqué a décidé de poser une question spéciale sur la mort occasionnée par les violences de l'accusé, leur donnant une qualification criminelle, ayant amené la cour d'assises d'appel à constater, par un second arrêt incident, son incompétence pour connaître de l'appel interjeté par M. Y... ;

"aux motifs que si la cour d'assises d'appel est à l'origine saisie uniquement de deux délits connexes, et donc composée de trois juges professionnels conformément à l'article 286-1 du code de procédure pénale, elle se trouve, à l'issue des débats et du fait de la question spéciale sur la mort occasionnée par les violences avec arme reprochées à l'accusé sur la personne de Aymeric B..., interrogée pour l'une des infractions sur une éventuelle qualification criminelle de celle-ci ; que, dans ces conditions, la cour d'assises composée de trois magistrats professionnels, dont la compétence est limitée par l'article 286-1 du code de procédure pénale au jugement des délits connexes, apparaît incompétente pour statuer sur une éventuelle qualification criminelle ; qu'en conséquence, il convient de constater l'incompétence de la cour d'assises spécialement composée en application de l'article 286-1 du code de procédure pénale pour statuer sur l'éventuelle qualification criminelle d'une partie des faits reprochés à l'accusé M. Y... ;

"1°) alors que selon l'article 286-1 du code de procédure pénale, lorsque, par suite d'une disjonction des poursuites, d'un appel ou de toute autre cause, la cour d'assises ne se trouve saisie que du renvoi devant elle d'un ou plusieurs accusés, uniquement pour un délit connexe à un crime, elle statue sans l'assistance des jurés ; que le législateur n'ayant pas prévu la possibilité que la cour ainsi saisie envisage la requalification des faits en crime, en y ajoutant une circonstance aggravante, il en résulte qu'une telle requalification n'est pas permise, lorsque la cour d'assises est saisie du seul délit connexe; que la cour d'assises d'appel était saisie du seul délit connexe de violences aggravées par l'usage d'une arme pour lequel M. Y... a été mis en accusation ; qu'en décidant que serait posée une question spéciale sur la mort occasionnée par les violences, donnant une qualification criminelle aux faits dont elle était saisie, la cour d'assises a méconnu l'article 286-1 précité ;

"2°) alors que selon l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne doit bénéficier du droit d'accès effectif au juge ; qu'en s'estimant incompétente pour se prononcer sur l'appel interjeté par M. Y..., après avoir procédé à la requalification des faits délictuels en crime, qui ne s'imposait pas, la cour d'assises d'appel s'est déclarée incompétente, sans pouvoir renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir, le législateur n'ayant pas prévu la possibilité de saisir une cour d'assises composée d'un jury ; qu'en cet état, en ajoutant une circonstance aggravante aux faits dont elle était saisie, pour constater son incompétence, la cour d'assises d'appel a privé M. Y... du droit à recours effectif, en violation de l'article 6 précité ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 350 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, s'il résulte des débats devant la cour d'assises une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans la décision de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales ;

Attendu que, lors des débats, la cour d'assises, saisie à la suite d'un incident contentieux, a décidé que serait posée une question spéciale afin de rechercher si les faits qualifiés de violences commises avec usage d'une arme sur la personne d'Aymeric B... ne constituaient pas le crime de violences volontaires ayant entraîné la mort d'Aymeric B... sans intention de la donner ;

Mais attendu qu'en procédant ainsi, alors que le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, défini par l'article 222-7 du code pénal, est une infraction distincte du délit de violences commises avec arme, défini par les articles 222-11 à 222-13 du code pénal, dont elle était seule saisie, et non pas une circonstance aggravante de ce délit, la cour a méconnu le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé, de la cour d'assises de la Meurthe-et-Moselle, en date du 12 décembre 2016, et par voie de conséquence, l'arrêt du même jour par lequel la cour d'assises s'est déclarée incompétente ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises des Vosges, siégeant sans l'assistance des jurés, conformément à l'article 286-1 du code de procédure pénale, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises de la Meurthe-et-Moselle et sa mention en marge des arrêts annulés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf novembre deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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