7 juillet 2020
Cour d'appel de Lyon
RG n° 19/08418

6ème Chambre

Texte de la décision

N° RG 19/08418 -

N°Portalis DBVX-V-B7D-MXRJ









Décision du

Juge de l'exécution

de Bourg en Bresse

du 28 novembre 2019



RG : 19/01201







[M]



C/



SA FINATRANS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



6ème Chambre



ARRET DU 07 JUILLET 2020







APPELANT :



M. [V] [M]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 11]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représenté par Me Jérôme LETANG de la SELARL JEROME LETANG, avocat au barreau de LYON, toque : 772





INTIMEE :



SA FINATRANS

[Adresse 4]

[Localité 5]



Représentée par Me Sandrine TRIGON de la SELARL HESTEE AVOCAT, avocat au barreau D'AIN





******



Date de clôture de l'instruction : 14 avril 2020



Date de mise à disposition : 07 juillet 2020

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Dominique BOISSELET, président

- Catherine CLERC, conseiller

- Karen STELLA, conseiller



Vu l'état d'urgence sanitaire, la présente décision est rendue sans audience suite à l'accord des parties et en application de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale.



La décision est portée à la connaissance des parties par le greffe par tout moyen en application de l'article 10 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, tel que précisé par l'article 2.i de la circulaire du 26 mars 2020 CIV/02/20 - C3/DP/202030000319/FC.



Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées par tout moyen,



Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Camille MAAROUFI, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****



FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES





Par ordonnance de référé du 8 juin 1993, le président du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse a, notamment, condamné [V] [M] à payer à la société Finatrans les sommes de 369.087,51 frs et 1.000.000 frs majorées des intérêts au taux légal à compter de la demande.



Le créancier a engagé diverses voies pour le recouvrement de sa créance, dont une saisie des rémunérations de M. [M] en cours depuis 1995.



Par procès-verbal d'huissier de justice du 15 mars 2019, la société Finatrans a fait procéder à la saisie-attribution auprès de la Banque Populaire, agence d'[Localité 7], des sommes dont elle est tenue envers M. [M], pour un montant de 618.205,55 euros en principal, intérêts et frais en vertu de l'ordonnance de référé du 8 juin 1993.



Cette saisie-attribution a permis d'appréhender la somme de 18.000 euros et a été dénoncée à M. [M] le 18 mars 2019.



Par acte d'huissier de justice du 10 avril 2019, M. [M] a fait assigner la société Finatrans à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse pour voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution.



L'affaire, appelée à l'audience du 23 mai 2019, a été renvoyée à plusieurs reprises à la demande des parties et finalement débattue à l'audience du 3 octobre 2019.



M. [M], demandant en principal la mainlevée de la saisie-attribution, a sollicité à titre subsidiaire l'exonération de la majoration du taux d'intérêt légal.



Par jugement en date du 28 novembre 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse a :




débouté M. [M] de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 15 mars 2019 par la SCP Actes Constats Conseils, huissiers de justice associés à Lagnieu (Ain), entre les mains de la Banque Populaire, agence d'Ambérieu, à la demande de la société Finatrans,

exonéré M. [M] de la majoration de 5 points du taux de l'intérêt légal pratiqué sur les sommes dont il est redevable en vertu de l'ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse en date du 8 juin 2013 [1993] et et ce à compter du 18 novembre 1993,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné chaque partie à supporter la charge de ses propres dépens,

rappelé que le jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire,

et débouté les parties du surplus de leurs demandes.






M. [M] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 9 décembre 2019.



Par ordonnance du 13 décembre 2019, le président de la chambre, faisant application des dispositions des articles 905 du code de procédure civile et R.121-20 al.2 du code des procédures civiles d'exécution, a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 14 avril 2020 à 13h30. Cette audience n'ayant pu se tenir dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les conseils des parties ont fait connaître leur accord pour que l'affaire soit examinée par la Cour sans audience, conformément aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020.



En ses dernières conclusions du 3 avril 2020, [V] [M] demande à la Cour ce qui suit :



réformant le jugement entrepris en première instance,

vu les articles 503 et 654 du code de procédure civile, L.111-3 et L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution, L.211-4 et L.211-51 du code des procédures civiles d'exécution, R.211-10 à R.211-13 et R.211-16 du code des procédures civiles d'exécution, 2313 et 2314 anciens du code civil,







- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par la société Finatrans au préjudice de M. [M] le 15 mars 2019 ;

rejetant l'appel-incident formé par la société Finatrans,

- débouter la société Finatrans de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,

- condamner la société Finatrans à payer à M. [M] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel au profit de la SELARL Jérôme Létang ' Maître Jérôme Létang, avocat, sur son affirmation de droit.





Par dernières conclusions du 6 février 2020, la SA Finatrans demande à la Cour ce qui suit, au visa des articles 654 et suivants du code de procédure civile, 2313 et suivants du code civil, L.111-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution :


juger que la signification de l'ordonnance du 8 juin 1993 est régulière,

juger que les circonstances de l'espèce ne justifient pas que M. [M] soit exonéré de la majoration de 5 points du taux d'intérêt légal puis le 18 novembre 1993,

juger que M. [M] ne remplit pas les conditions pour être déchargé de ses obligations de caution,

juger que le juge de l'exécution ne peut pas statuer sur le bien fondé du titre exécutoire,

en conséquence,

confirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse le 28 novembre 2019, sauf en ce qu'il a exonéré M. [M] de la majoration de 5 points du taux d'intérêt légal depuis le 18 novembre 1993,

ce faisant, statuant à nouveau sur ce point,

débouter M. [M] de sa demande d'exonération de la majoration de 5 points du taux d'intérêt légal depuis le 18 novembre 1993,

au surplus,

condamner M. [M] à verser à la société Finatrans la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [M] aux entiers dépens.




Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la signification de l'ordonnance de référé du 8 juin 1993



L'ordonnance de référé, rendue par décision contradictoire, mentionne comme adresse de M. [M] la [Adresse 13] à [Localité 9]. L'huissier de justice a signifié la décision le 17 septembre 1993 à l'adresse du [Adresse 6] où il a trouvé [S] [N], nièce par alliance de M. [M], qui a accepté de recevoir l'acte.



M. [M] soutient que Mme [N] a omis de lui remettre cet acte et qu'il était en réalité domicilié au [Adresse 10] à [Localité 8]. Il communique une attestation de la régie Gasc Immobilier selon laquelle il a loué une maison à cette adresse du 3 septembre 1993 au 3 septembre 1999. Il en déduit que la signification de l'ordonnance de référé est irrégulière et qu'en conséquence il y a lieu d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, l'ordonnance de référé étant sans force exécutoire.



Le juge de l'exécution a considéré que la justification de la location de la maison au [Adresse 10] à [Localité 8] ne suffisait pas à démontrer que cette adresse correspondait au domicile effectif de M. [M] au jour de la signification de l'ordonnance de référé.



En appel, M. [M] verse aux débats différentes attestations confirmant qu'il était effectivement domicilié dans ces lieux à partir du 3 septembre 1993.



Cela étant, M. [M] rappelle que l'article 655 du nouveau code de procédure civile en vigueur à la date de l'acte faisait obligation à l'huissier de justice, si la signification à personne s'avérait impossible, de délivrer l'acte à domicile ou, à défaut de domicile connu, à la résidence de l'officier ministériel.



Chargé de signifier une décision mentionnant l'adresse de la [Adresse 13] à [Localité 8], un membre de la SCP Pierre et Alain Cordonnier, huissiers de justice, s'est régulièrement rendu le 20 juillet 1993 à cette adresse où il a constaté qu'elle ne correspondait plus au domicile de M. [M], des voisins lui indiquant qu'il demeurait désormais [Adresse 6] à [Localité 12].



Bien que les communes de [Localité 8] et [Localité 12] soient voisines, cette adresse était alors située hors de l'arrondissement de compétence de l'huissier de justice ; celui-ci a donc transmis le dossier à l'étude de la SCP [V] Duvert et Michèle-Catherine [T], huissiers de justice à [Localité 12].



Vainement, M. [M] fait grief de l'imprécision quant à l'identité des voisins, aucune disposition légale ou réglementaire n'obligeant l'huissier de justice à mentionner les noms des personnes rencontrées, dont il n'a d'ailleurs pas qualité pour vérifier les identités.



Surtout, M. [M] reste taisant sur son adresse réelle à cette date et rien ne démontre que le renseignement donné au premier huissier de justice était erroné puisque M. [M] n'a loué la maison de L'Hôpital qu'à compter du 3 septembre 1993. Lorsque l'huissier de justice de la SCP Duvert-[T] s'est présenté le 17 septembre 1993 au [Adresse 6] à [Localité 12], il a rencontré sur place Mme [N] qui ne l'a pas informé de la nouvelle adresse de M. [M]. Dans ces conditions, l'huissier de justice a bien remis l'acte à la dernière adresse connue du destinataire.



Au surplus, la défense de M. [M] relève de la mauvaise foi dès lors qu'il a reçu notification le 21 septembre 1993 en étude de la SCP Duvert-[T] d'un procès-verbal de saisie-vente établi à l'adresse de [Localité 12]. Cette saisie étant basée sur l'ordonnance de référé, on imagine mal que M. [M] n'ait pas réclamé cette décision si elle n'avait pas déjà été portée à sa connaissance. Son affirmation selon laquelle Mme [N] ne lui a pas remis la décision est dépourvue de crédibilité.



Qui plus est, M. [M] était représenté devant le juge des référés par un avocat qui n'a pas dû manquer d'informer son client de la décision rendue.



La société Finatrans fait donc valoir avec pertinence que la prétendue irrégularité de la signification de l'ordonnance de référé n'a pas fait grief à M. [M].



En définitive, il est constant que la société Finatrans, que M. [M] ne prétend pas avoir informée de ses changements d'adresse, a fait signifier l'ordonnance de référé à la dernière adresse connue de l'huissier de justice et le fait que le débiteur ne demeurait plus à cette adresse au jour de l'acte n'invalide pas cette signification.



Sur la créance de la société Finatrans



L'ordonnance de référé du 8 juin 1993 est fondée sur un engagement de caution solidaire pris par M. [M] pour le financement d'un contrat de crédit-bail conclu par la société JP Dara avec la société Finatrans. La société JP Dara, dont il était le gérant, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 17 mai 1993 du tribunal de grande instance de Belley.



M. [M] soutient que la créance est éteinte du fait que la société Finatrans ne justifie pas avoir déclaré sa créance entre les mains du liquidateur de la société JP Dara, débiteur cautionné.



Le juge de l'exécution a dit qu'il ne lui appartenait pas de modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. M. [M] critique cette motivation en faisant valoir que le juge de l'exécution doit prendre en compte les faits postérieurs à la délivrance de la décision, dès lors qu'ils auraient modifié le montant de la dette. Se prévalant des dispositions de l'article 2313 ancien du code civil qui autorisent la caution à se prévaloir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et sont inhérentes à la dette, M. [M] soutient que sa dette est éteinte comme celle du débiteur principal à défaut de déclaration de la créance à la procédure collective en vertu de l'article L.621-46 ancien du code de commerce. L'ordonnance de référé du 8 juin 1993 a été rendue avant l'expiration du délai de 2 mois dont bénéficiait le créancier pour déclarer sa créance. Le défaut de déclaration de celle-ci est bien un fait postérieur à la décision qui fonde les poursuites.



Le moyen ainsi soutenu par M. [M] procède d'une analyse erronée de la compétence du juge de l'exécution pour apprécier les causes d'extinction de la créance postérieures à la décision valant titre de créance.



A supposer que la créance à l'encontre du débiteur principal soit éteinte à défaut de déclaration à la procédure collective de la société JP Dara, ce qui n'est pas expressément reconnu par la société Finatrans qui, compte tenu de l'ancienneté de cette procédure, n'est pas en mesure de justifier de cette déclaration, il appartenait à M. [M] de le faire valoir dans le cadre d'un appel contre l'ordonnance de référé ou d'une instance devant le juge du fond. Le juge de l'exécution ne saurait remettre en cause le dispositif de cette décision définitive.





Au surplus, il appartient au débiteur, qui s'en prévaut, de justifier de l'extinction de la créance et on ne saurait, sans inverser la charge de la preuve, imposer à la société Finatrans de justifier de sa déclaration de créance entre les mains du liquidateur de la société JP Dara ou de l'obtention d'un relevé de forclusion.



Sur la suppression de la majoration des intérêts légaux



Il résulte de l'article L.313-3 du code monétaire et financier qu'en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de 5 points à l'expiration d'un délai de 2 mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire. Le juge de l'exécution peut, en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.



La société Finatrans critique l'exonération totale de la majoration des intérêts légaux accordée par le premier juge aux motifs que la saisie-attribution, en permettant d'appréhender 18.000 euros, démontre que M. [M] fait des économies sur le dos de son créancier et que, par ailleurs, il a fait choix de se constituer un patrimoine immobilier en réglant les échéances d'un prêt immobilier souscrit avec son épouse.



Cependant, la saisie des rémunérations, longtemps pratiquée pour un faible montant mensuel de 320 euros, a été portée à la somme de 1.156,15 euros par mois en 2019 et, par jugement du 30 décembre 2019, le tribunal d'instance de Belley a débouté M. [M] d'une demande visant à réduire le prélèvement mensuel à 100 euros. Il en résulte que les économies réalisées par M. [M] sont à rapporter au faible montant initial de la saisie des rémunérations et seront pour le moins réduites dans le futur.



Sur ce, il s'avère en effet que la dette, d'un montant initial de 208.716,05 euros (1.369.087,51 frs), s'élevait à plus du triple en 2019 (618.205,55 euros), soit un montant d'intérêts de 429.797,96 euros représentant plus du double du principal. Dans ces conditions, même en tenant compte de l'augmentation de la saisie des rémunérations, M. [M] ne serait jamais en mesure d'apurer la dette de son vivant par l'effet des intérêts majorés.



C'est par une motivation pertinente et conforme à l'esprit de la loi, qui vise à empêcher l'aggravation infinie d'une dette que le débiteur n'est pas en mesure de régler à bref délai dans son intégralité, que le juge de l'exécution a dit que la majoration de 5 points est de nature à obérer la situation de M. [M] dans l'apurement de sa dette à l'égard de la société Finatrans.



Etant observé que la société Finatrans n'a pas soulevé la prescription de l'action du débiteur pour les intérêts échus depuis plus de 5 ans avant sa demande et que la Cour, en vertu de l'article 2247 du code civil, ne saurait suppléer d'office le moyen résultant de cette prescription.



Le jugement attaqué mérite confirmation.



Sur les demandes accessoires



M. [M], débiteur et partie perdante en principal, doit supporter de la procédure. Les dépens d'appel sont donc mis à sa charge, les dépens de première instance restant à la charge des parties qui les ont exposés à défaut d'appel incident de la société Finatrans sur ce point.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS :



La Cour,



Confirme le jugement prononcé le 28 novembre 2019 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse en toutes ses dispositions, sauf à préciser que l'ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Bourg en Bresse est en date du 8 juin 1993 et non 2013 ;



Condamne [V] [M] aux dépens d'appel.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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