9 juillet 2020
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/14602

Chambre 3-2

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2



ARRÊT AU FOND

DU 09 JUILLET 2020



N° 2020/145













Rôle N° RG 19/14602 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE4RG







[R] [P]





C/



[F] [C]













Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Bernard HAWADIER de la SELARL CABINET HAWADIER-RUGGIRELLO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN



Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 09 Septembre 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 2018 03140.





APPELANT



Maître [R] [P]

agissant es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS CDV

de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]



représenté par Me Bernard HAWADIER de la SELARL CABINET HAWADIER-RUGGIRELLO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN





INTIME



Monsieur [F] [C]

né le [Date naissance 1] 1949 à Algérie, demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE











*-*-*-*-*







COMPOSITION DE LA COUR





Mme Michèle LIS-SCHAAL, Présidente de chambre

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Conseiller

Mme Muriel VASSAIL, Conseiller rapporteur



qui en ont délibéré.



Statuant selon la procédure sans audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2020-595 du 20 mai 2020, sans opposition des parties, après avis adressé le 25 mai 2020 précisant que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2020.





ARRÊT



Contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2020,



Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






***











































































FAITS PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES



La société CDV a été constituée le 5 août 2004 à l'initiative de M. [F] [C] pour exercer une activité de distribution, de négoce et de transformation de tout produit se rapprochant directement de la viande et plus généralement pour le commerce de la viande.



Elle était dirigée par M. [C] qui était également actionnaire majoritaire de la société GP FINANCE.



En 2008, la société RIVA est entrée au capital de la société CDV.



La société CDV a obtenu son agrément vétérinaire le 9 décembre 2009 et son secteur géographique d'activité était le Sud-Est et le Sud-Ouest, principalement pour l'approvisionnement de magasins à l'enseigne LEADER PRICE, propriété de la société LAFI HARD originairement contrôlée par M. [C] puis cédée à la société LAFI HARD.



La société CDV exerçait son activité dans des locaux appartenant à la SCI FIRGORIFIQUE DE [Localité 3] [Localité 4] dont le dirigeant, M. [C], était le principal associé. Elle employait 31 salariés.



Par jugement rendu le 28 février 2011, le tribunal de commerce de FREJUS a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société CDV.



Par jugement rendu le 4 juillet 2011 par le tribunal de commerce de FREJUS, la société CDV a fait l'objet d'une liquidation judiciaire et M. [R] [P] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.





Par acte du 5 août 2013, M. [P] a fait citer M. [F] [C] devant le tribunal de commerce de FREJUS pour obtenir, au visa des articles L651-1 à L651-3 du code de commerce sa condamnation à supporter l'insuffisance d'actif de la société CDV.



Par jugement du 9 septembre 2019, le tribunal de commerce de FREJUS a :



-déclaré l'action recevable,

-débouté M. [P] ès qualités de l'ensemble de ses demandes,

-condamné M. [P] ès qualités aux dépens et à payer à M. [C] 1 500 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.



Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu que :



-le passif admis après vérification s'élève à 3 727 489, 40 euros,

-parmi les créances figure la créance en compte courant d'associé de la société GP FINANCE à hauteur de 2 535 770, 92 euros,

-l'augmentation des charges et des surfaces louées était nécessaire pour faire face aux nouvelles demandes du client LEADER PRICE,

-la rupture brutale des relation de la société CDV et de la société LEADER PRICE n'est pas contestée,

-au travers de la société GP FINANCE, M. [F] [C] a réalisé des apports en compte courant pour financer les pertes de la société CDV,

-le 12 mars 2019, M. [E] [C], PDG de la société GP FINANCE, a abandonné la créance en compte courant d'associé,

-M. [P] n'établit pas le lien de causalité entre les faits imputés à M. [F] [C] et l'insuffisance d'actif de la société CDV,

-les preuves permettant d'établir que M. [F] [C] a commis des fautes de gestion ne sont pas suffisantes.



M. [P] a fait appel de ce jugement le 17 septembre 2019. Il s'agit d'un appel total.



Dans ses dernières conclusions, déposées au RPVA le 7 avril 2020, M. [P] demande à la cour, au visa des articles L651-2 et R651-1 et suivants du code de commerce de réformer le jugement rendu le 9 septembre 2019 par le tribunal de commerce de FREJUS et de condamner M. [C] à lui payer ès qualités ;



-1 536 813, 32 euros au titre de l'insuffisance d'actif révélée par la liquidation judiciaire de la société CDV,

-les dépens et 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





Dans ses dernières écritures, communiquées par RPVA le 3 avril 2020, M. [C] demande à la cour, au visa de l'article L651-2 du code de commerce, de dire et juger un certain nombre de choses qui sont autant de moyens et de :



-confirmer le jugement rendu le 9 septembre 2019 par le tribunal de commerce de FREJUS,

-constater que l'insuffisance d'actif s'élève à 674 767, 16 euros,

-débouter M. [P] ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-condamner M. [P] ès qualités aux dépens et à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Dans ses dernières réquisitions, notifiées par RPVA le 9 juin 2020, le ministère public demande à la cour de réformer le jugement frappé d'appel et de condamner M. [C] à supporter une insuffisance d'actif qui ne saurait être inférieure à 700 000 euros.



Le 28 octobre 2019, en application de l'article 905-1 du code de procédure civile, les parties ont été avisées par RPVA de la fixation du dossier à l'audience de plaidoiries du 13 mai 2020.



Le 25 mai 2020, les parties ont été avisées de l'application de l'article 8 de l'ordonnance 304-2020 du 25 mars 2020 modifiée et n'ont pas fait connaître leur opposition dans le délai de 15 jours.



Le même jour, elles ont été avisées de la clôture de la procédure en date du 15 juin 2020.



Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens de fait et de droit.




MOTIFS DE LA DECISION



Sur la clôture de la procédure



IL convient de clôturer la procédure en date du 15 juin 2020 ainsi que cela a été indiqué aux parties le 25 mai 2020.



Sur les mérites de l'appel



Ainsi que le rappelle l'article L651-2 du code de commerce, les tribunal de commerce peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d'une faute de gestion qui a contribué à cette insuffisance d'actif.



Pour que l'action initiée par M. [P] ès qualités puisse prospérer il faut donc que soient établis :



-une insuffisance d'actif,

-une ou plusieurs fautes de gestion imputables à M. [C],

-un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.



Sur l'insuffisance d'actif



Reprochant à M. [P] de ne pas avoir déduit le passif contesté et/ou rejeté, M. [C] soutient que l'insuffisance d'actif s'élève à 674 767, 16 euros et qu'en tout état de cause elle ne peut être supérieure à 1 071 603, 70 euros.



L'actif réalisé de la société CDV n'est pas discuté, il est de 392 586 euros.





Contrairement à ce que prétend M. [C], il s'évince des pièces 17 et 18 soumises à la cour par M. [P] que le passif définitif de la société CDV est de 1 929 399, 32 euros après déduction :



-des créances abandonnées par la société GP FINANCE,

-de toutes les créances contestées et rejetées.



Il en résulte que l'insuffisance d'actif de la société CDV s'établit à la somme de 1 536 813, 32 euros revendiquée par M. [P].



Sur l'existence de fautes de gestion imputables à M. [C]



M. [P] ès qualités fait grief au premier juge de n'avoir pas retenu de faute de gestion à l'encontre de M. [C] et d'avoir écarté tout lien de causalité entre la gestion de l'intéressé et l'insuffisance d'actif de la société CDV.



Il lui reproche :



-l'absence de restructuration financière de la société depuis sa constitution malgré l'importance de son besoin structurel,

-l'augmentation anormale des charges salariales et du loyer au cours des années 2009 et 2010,

-l'engagement de la société dans une activité commerciale de distribution avec un client principal sans garantir la pérennité des relations commerciales.



Sur l'absence de restructuration financière de la société



M.[P] affirme qu'il se déduit de la comptabilité de la société CDV que :



-depuis l'origine les capitaux propres sont toujours restés négatifs et n'ont cessé de se dégrader,

-la structure du bilan présentait un déséquilibre manifesté par un fonds de roulement net global négatif de plus de 800 000 euros.



Il ne conteste pas les apports en compte courant réalisés par M. [C] mais observe que ces apports ne sauraient pallier le défaut de restructuration financière de la société que les bilans imposaient.



M.[C] observe que les résultats d'exploitation de la société n'étaient pas négatifs depuis l'origine précisant que seul celui de la première année (2006 ) l'a été et que ceux des exercices 2007 et 2008 étaient positifs, ce qui a permis à la société CDV d'enregistrer des bénéfices.



Il explique les pertes de sa sociétés, apparues en 2009 et 2010, par le développement de son activité et la rupture brutale des relations commerciales avec la société LAFI HARD DISCOUNT qui était sa seule cliente.



Il n'est pas remis en cause que les bilans des années 2007 et 2008 de la société CDV enregistraient des résultats d'exploitations positifs et des bénéfices et qu'à compter de l'année 2009 elle s'est engagée dans un processus tendant à accroitre son activité.



Par ailleurs, il n'est pas non plus contesté, comme l'a noté le premier juge, que M. [C] a régulièrement fait des apports en compte courant d'associé pour financer les pertes de la société CDV qui étaient en grande partie induites par des investissements destinés à adapter la capacité de production de l'entreprise aux demandes nouvelles de sa cliente unique.



Dans ces conditions, il y a effectivement lieu de considérer qu'il n'a pas commis de faute en s'abstenant de procéder à la restructuration financière de la société.



Cette solution s'impose d'autant que M. [P] ne démontre ni n'explique en quoi la faiblesse du fonds de roulement de l'entreprise a eu pour conséquence d'augmenter ses dettes fiscales et sociales.



Sur l'augmentation anormale des charges salariales et de loyers au cours des années 2009 et 2010



Il est établi qu'au cours des années 2009 et 2010 la masse salariale et le loyer de la société CDV ont été augmentés de manière considérable.



M.[C] explique ces augmentations par les demandes nouvelles qui lui étaient présentées par la société LAFI HARD DISCOUNT qui lui réclamait, outre des produits carnés pour ses 19 magasins LEADER PRICE, des volailles et des produits traiteur.



La procédure en rupture brutale des relations commerciales qui a opposé les parties et la société LAFI HARD DISCOUNT devant la cour d'appel de PARIS témoigne de la réalité de ces relations commerciales et des demandes de la société LAFI HARD DISCOUNT.



Il n'est ni allégué ni établi que le secteur de la distribution de viande, de volailles et de produits de traiteurs dans les enseignes discount ait été en particulière difficulté au moment des accords pris entre la société CDV et la société LAFI HARD DISCOUNT, ce dont il se déduit que la cour ne peut pas reprocher à M. [C] d'avoir manqué de prudence en acceptant d'étendre l'activité et la capacité de production de la société CDV.



Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a estimé que M. [C], qui a légitimement pu croire en l'expansion de sa société, n'avait pas commis de faute en augmentant la masse salariale et en louant des locaux plus grands, ces salariés et ces locaux supplémentaires étant indispensables au développement de son activité.



Sur l'engagement de la société dans une activité commerciale de distribution avec un client principal sans garantir la pérennité des relations commerciales



Aux termes de ses écritures, la cour croit comprendre que M. [P] reproche d'abord à M. [C] d'avoir provoqué la rupture des relations commerciales avec la société LAFI HARD DISCOUNT en ne lui assurant pas un service de qualité.



Cela ne résulte d'aucun des éléments qu'il verse aux débats.



Par ailleurs, dans son arrêt du 9 mai 2018 aujourd'hui définitif, la cour d'appel de PARIS a retenu que la société LAFI HARD DISCOUNT avait brutalement rompu ses relations commerciales avec la société CDV avec un préavis de 5 mois qui ne lui a pas permis de se réorganiser.



Toutefois, il est exact que M. [C] a manqué de vigilance en engageant la société CDV dans une activité reposant sur un seul client sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales.



Dès lors, la faute que M. [P] ès qualités lui impute est constituée.



M.[C] ne cesse de le répéter dans ses écritures, la déconfiture de la société CDV est liée à la rupture brutale des relations commerciales que lui a imposée la société LAFI HARD DISCOUNT. Il ne peut donc prétendre, comme il semble le soutenir, que cette situation est sans relation avec l'insuffisance d'actif enregistrée par la société CDV.



Considérant la faute retenue, les éléments comptables versés aux débats, les efforts financiers consentis par l'intéressé pour soutenir la société CDV par l'entremise de la société GP FINANCE et le risque inhérent à toute entreprise commerciale et/ou industrielle, la cour dispose d'éléments suffisants pour imputer l'insuffisance d'actif de la société CDV à M. [C] à hauteur de 300 000 euros.



Le jugement rendu le 9 septembre 2019 par le tribunal de commerce de FREJUS sera donc infirmé en toutes ses dispositions.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Le jugement querellé sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et M. [C] sera condamné aux dépens de première instance et à ceux de la procédure d'appel.



Il se trouve, ainsi, infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.



Au vu des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser supporter à M. [P] ès qualités l'intégralité des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.



M.[C] sera condamné à lui payer 6 000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, en application de l'article 8 de l'ordonnance 304-2020 du 25 mars 2020 modifiée et par arrêt contradictoire ;



Ordonne la clôture de la procédure en date du 15 juin 2020 ;



Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 septembre 2019 par le tribunal de commerce de FREJUS ;



Statuant à nouveau et y ajoutant :



Condamne M. [F] [C] à payer à M. [P] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CDV la somme de 300 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de cette société ;



Déclare M. [C] infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;



Condamne M. [C] à payer à M. [P] ès qualités 6 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne M. [C] aux dépens de première instance et d'appel.





LA GREFFIERE,LA PRESIDENTE,

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