14 février 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-21.940

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:SO00255

Titres et sommaires

TRAVAIL TEMPORAIRE - contrat de mission - succession de contrats de mission - requalification en contrat de travail à durée indéterminée - effets - indemnités - condamnation - condamnation de l'entreprise utilisatrice - appel en garantie dirigé contre l'entreprise de travail temporaire - fondement - exclusion - détermination

Si une entreprise utilisatrice ne peut invoquer, pour faire valoir auprès d'une entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l'égard du salarié par les articles L. 1251-8, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si un manquement peut être imputé à l'entreprise de travail temporaire dans l'établissement des contrats de mise à disposition

Texte de la décision

SOC.

CGA



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 février 2018




Rejet


M. X..., président



Arrêt n° 255 FS-P+B

Pourvoi n° D 16-21.940







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Supplay, dont le siège est [...],

contre l'arrêt rendu le 8 juin 2016 par la cour d'appel d'Amiens (5ème chambre sociale prud'hommes), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme Brigitte Z..., domiciliée [...],

2°/ à la société Flam'up, dont le siège est [...],

3°/ à Pôle emploi de Crépy-en-Valois, dont le siège est [...],

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 janvier 2018, où étaient présents : M. X..., président, M. Y..., conseiller rapporteur, Mme Goasguen, conseiller doyen, Mmes Aubert-Monpeyssen, Cavrois, conseillers, Mmes Ducloz, Sabotier, Ala, Prieur, conseillers référendaires, Mme A..., premier avocat général, Mme Lavigne, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Y..., conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grevy, avocat de la société Supplay, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société Flam'up, l'avis de Mme A..., premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 8 juin 2016), qu'entre le 1er octobre 2009 et le 11 janvier 2013, Mme Z..., salariée de la société Supplay, entreprise de travail temporaire, a effectué au sein de la société Flam'up vingt contrats de mission de manutentionnaire, fondés, pour la plupart, sur un motif lié à un accroissement temporaire de l'activité ; que la salariée ayant saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée, l'entreprise utilisatrice a appelé en garantie la société de travail temporaire ;

Attendu que l'entreprise de travail temporaire fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir l'entreprise utilisatrice, dans la limite de 50 %, des condamnations prononcées contre elle à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-respect du droit individuel à la formation, alors, selon le moyen :

1°/ que si l'entreprise de travail temporaire manque aux obligations qui lui sont propres lorsqu'elle conclut avec un même salarié sur le même poste de travail des contrats de mission successifs sans respecter le délai de carence, en violation des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail, l'entreprise utilisatrice ne peut, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, invoquer la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l'égard du salarié ; que dans la mesure où en l'espèce « la salariée ne form[ait] aucune demande à l'encontre de la société Supplay », la cour d'appel ne pouvait condamner la société Supplay, entreprise de travail temporaire, à garantir les conséquences de la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée pour la raison que l'entreprise de travail temporaire « n'a pas respecté les obligations de l'article L. 1251-36 du code du travail qui lui étaient propres » ou qu'elle « doit répondre d'un manquement à son obligation de conseil à l'égard de l'entreprise utilisatrice lorsqu'elle ne pouvait pas ignorer le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié » quand la société Flam'up, entreprise utilisatrice, n'avait pas qualité pour exciper un manquement de l'entreprise de travail temporaire à son obligation relative au délai de carence ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17, L. 1251-40 et L. 1251-42 du code du travail, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;

2°/ que l'entreprise utilisatrice ne peut, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, invoquer la méconnaissance par cette dernière d'un prétendu devoir de conseil sur le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié ; qu'en retenant néanmoins que l'entreprise de travail temporaire « doit répondre d' un manquement à son obligation de conseil à l'égard de l'entreprise utilisatrice lorsqu'elle ne pouvait pas ignorer le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié », quand l'entreprise de travail temporaire ne dispose d'aucun moyen de surveillance et de contrôle de l'usage qui est fait par l'entreprise utilisatrice des contrats de mission et qu'aucun manquement ne pouvait être imputé à l'entreprise de travail temporaire dans l'établissement des contrats de mission, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17, L. 1251-42 et L. 1251-43 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil ;

3°/ qu'à tout le moins, en retenant que l'entreprise de travail temporaire ne pouvait ignorer le risque d'irrégularité pour la raison qu'elle ne pouvait ignorer que les missions confiées à la salariée pendant plus de trois ans sur un poste de manutentionnaire pouvaient avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente, quand l'entreprise de travail temporaire ne dispose d'aucun moyen de surveillance et de contrôle de l'usage qui est fait par l'entreprise utilisatrice des contrats de mission, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17, L. 1251-42 et L. 1251-43 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil ;

Mais attendu que si l'entreprise utilisatrice ne peut invoquer, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l'égard du salarié par les articles L. 1251-8, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si un manquement peut être imputé à l'entreprise de travail temporaire dans l'établissement des contrats de mise à disposition ;

Et attendu qu'ayant constaté que les missions confiées à la salariée pendant plus de trois ans sur un poste de manutentionnaire ne permettaient pas d'écarter l'application du délai de carence, la cour d'appel a exactement décidé, sans encourir les griefs du moyen, que l'entreprise de travail temporaire n'ayant pas respecté les obligations de l'article L. 1251-36 du code du travail relatives au respect du délai de carence, qui lui étaient propres, avait ainsi engagé sa responsabilité contractuelle dans ses rapports avec l'entreprise utilisatrice ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Supplay aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Supplay à payer à la société Flam'up la somme de 1 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grevy, avocat aux Conseils, pour la société Supplay

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Supplay à relever et garantir la société Flam'up dans la limite de 50 % des condamnations prononcées contre elle au profit de Mme Z... à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents, de dommages-intérêts pour non-respect du droit individuel à la formation ainsi qu'au dépens de première instance et d'appel ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE si la salariée ne forme aucune demande à l'encontre de la société Supplay, la société Flam'up forme un appel en garantie à l'encontre de la société Supplay aux motifs que celle-ci n'a pas respecté son devoir de conseil, a proposé systématiquement pendant plusieurs années Mme Z... au mépris des règles légales sans prévenir la société Flam'up du contenu de celles-ci ; que la société Supplay indique avoir respecté les obligations imposées par les articles L. 1251-16, L. 1251-17 et L. 1251-42 du code du travail ; que sur ce, aux termes de l'article L. 1251-42 du code du travail lorsqu'une entreprise de travail temporaire met un salarié à la disposition d'une entreprise utilisatrice, ces entreprises concluent par écrit un contrat de mise à disposition, au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant la mise à disposition ; qu'en application de l'article L. 1251-43 le contrat de mise à disposition établi pour chaque salarié comporte certaines mentions obligatoires et notamment le motif pour lequel il est fait appel au salarié temporaire, le terme de la mission et les caractéristiques particulières du poste à pourvoir ; qu'il résulte de l'article L. 1251-36 du code du travail qu'à l'expiration du contrat de mission, il ne peut être recouru pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée, ni à un contrat de mission, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission, renouvellement inclus ; que si la conclusion du contrat de mise à disposition suppose la communication d'un certain nombre d'informations détenues par la seule entreprise utilisatrice et qui ne peuvent pas engager la responsabilité de l'entreprise de travail temporaire, cette dernière doit répondre d'un manquement à son obligation de conseil à l'égard de l'entreprise utilisatrice lorsqu'elle ne pouvait pas ignorer le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié ; qu'en l'espèce la société Supplay ne pouvait pas ignorer que les missions confiées à Mme Z... pendant plus de 2 ans, sur un poste de cariste manutentionnaire, pouvaient avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise utilisatrice et ne permettaient pas d'écarter le délai de carence dans les termes de l'article L. 1251-37 du code du travail ; que l'entreprise de travail temporaire n'a pas respecté les obligations de l'article L. 1251-36 du code du travail qui lui étaient propres ; que l'entreprise de travail temporaire ayant, en connaissance de cause, permis la succession des contrats de mission illicites au profit de l'entreprise utilisatrice, devra supporter avec cette dernière les conséquences financières de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée mise à la charge de l'entreprise utilisatrice par application de l'article L. 1251-41 du code du travail ; qu'au vu de ces éléments, il convient de condamner la société Supplay à relever et garantir la société Flam'up dans la limite de 50 % des condamnations prononcées contre elle au profit de Mme Z..., condamnations résultant de la requalification en contrat à durée indéterminée et de la rupture illégitime qui en résulte, à l'exception des condamnations prononcées au titre des rappels de salaires et de l'indemnité de requalification qui ne peuvent être mises qu'à la charge de l'entreprise utilisatrice et du remboursement Pôle emploi qui constitue une sanction spécifique qui pèse sur l'employeur fautif ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE la société Supplay est une entreprise dont l'activité exclusive est de mettre à la disposition provisoire d'utilisateurs, en fonction d'une qualification convenue, des salariés qu'elle embauche et rémunère à cet effet conformément à l'article L. 1251-2 du code du travail ; que par conséquent, la société Supplay doit connaître la législation applicable en matière de recours aux missions temporaires ; que la société Supplay affirme que c'est la société Flam'up, prise en la personne de son représentant légal, qui exigeait la mise à disposition de Mme Z... Brigitte dans le cadre des missions temporaires sans pour autant apporter un élément de preuve en ce sens ; que l'inobservation des règles légales en matière de recours à un travailleur temporaire a entraîné la requalification des contrats de travail temporaires en contrat à durée indéterminée avec toutes les conséquences afférentes à une requalification, aux torts exclusifs de la société Flam'up, prise en la personne de son représentant légal, en qualité d'entreprise utilisatrice ; que par conséquent, il convient dans une bonne équité de la répartition des obligations légales de condamner la société Supplay à garantir les sommes dont est condamnée la société Flam'up, prise en la personne de son représentant légal, au titre de la requalification du contrat de travail et de la rupture du contrat de travail, sauf pour les sommes afférentes aux accessoires du salaire tels que les primes de résultat et de présence ; que c'est pourquoi, le Conseil dit que la société Supplay devra garantir la société Flam'up, prise en la personne de son représentant légal, de toutes les condamnations mises à sa charge au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail de Mme Z... Brigitte ;

1) ALORS QUE si l'entreprise de travail temporaire manque aux obligations qui lui sont propres lorsqu'elle conclut avec un même salarié sur le même poste de travail des contrats de mission successifs sans respecter le délai de carence, en violation des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail, l'entreprise utilisatrice ne peut, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, invoquer la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l'égard du salarié ; que dans la mesure où en l'espèce « la salariée ne form[ait] aucune demande à l'encontre de la société Supplay » (arrêt attaqué, p. 8), la cour d'appel ne pouvait condamner la société Supplay, entreprise de travail temporaire, à garantir les conséquences de la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée pour la raison que l'entreprise de travail temporaire « n'a pas respecté les obligations de l'article L. 1251-36 du code du travail qui lui étaient propres » ou qu'elle « doit répondre d'un manquement à son obligation de conseil à l'égard de l'entreprise utilisatrice lorsqu'elle ne pouvait pas ignorer le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié » quand la société Flam'up, entreprise utilisatrice, n'avait pas qualité pour exciper un manquement de l'entreprise de travail temporaire à son obligation relative au délai de carence ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17, L. 1251-40 et L. 1251-42 du code du travail, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE l'entreprise utilisatrice ne peut, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, invoquer la méconnaissance par cette dernière d'un prétendu devoir de conseil sur le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié ; qu'en retenant néanmoins que l'entreprise de travail temporaire « doit répondre d' un manquement à son obligation de conseil à l'égard de l'entreprise utilisatrice lorsqu'elle ne pouvait pas ignorer le risque d'irrégularité affectant la mise à disposition d'un salarié » (arrêt attaqué, p. 8), quand l'entreprise de travail temporaire ne dispose d'aucun moyen de surveillance et de contrôle de l'usage qui est fait par l'entreprise utilisatrice des contrats de mission et qu'aucun manquement ne pouvait être imputé à l'entreprise de travail temporaire dans l'établissement des contrats de mission, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17 L. 1251-42 et L. 1251-43 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil.

3) ALORS QUE, à tout le moins, en retenant que l'entreprise de travail temporaire ne pouvait ignorer le risque d'irrégularité pour la raison qu'elle ne pouvait ignorer que les missions confiées à la salariée pendant plus de trois ans sur un poste de manutentionnaire pouvaient avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente, quand l'entreprise de travail temporaire ne dispose d'aucun moyen de surveillance et de contrôle de l'usage qui est fait par l'entreprise utilisatrice des contrats de mission, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-16, L. 1251-17 L. 1251-42 et L. 1251-43 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil.

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