7 mars 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-18.279

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2018:CO00196

Texte de la décision

COMM.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 mars 2018




Cassation


Mme RIFFAULT-SILK, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 196 F-D

Pourvoi n° Z 16-18.279







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société H & M Hennes et Mauritz, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...]                                     ,

contre l'arrêt rendu le 11 mars 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Creactivity, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...]                           ,

2°/ à la société Surprise Group SRL, société de droit italien,
dont le siège est [...]                                           ,

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 16 janvier 2018, où étaient présents : Mme Z..., conseiller doyen faisant fonction de président, M. X..., conseiller rapporteur, Mme Orsini, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. X..., conseiller, les observations de Me Y..., avocat de la société H & M Hennes et Mauritz, de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Creactivity, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le premier moyen :

Vu le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Attendu qu'un modèle qui n'est pas protégé par un droit privatif peut être librement reproduit, sauf en cas de faute, notamment par création d'un risque de confusion ;

Attendu que, reprochant à la société H & M Hennes et Mauritz (la société H&M) de commercialiser un modèle de pendentif copiant celui qu'elle avait mis sur le marché, la société Creactivity l'a assignée en concurrence déloyale et parasitaire ; que la société Surprise Group, fournisseur des produits incriminés, est intervenue à l'instance ;

Attendu que pour dire que la société H & M a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Creactivity, l'arrêt retient que le pendentif incriminé reprend les caractéristiques de celui, en forme de cygne "origami", de la société Creactivity et qu'il en résulte un risque de confusion certain dans l'esprit de la clientèle ;

Qu'en se fondant exclusivement sur cette comparaison objective, sans préciser en quoi les circonstances concrètes de la cause caractérisaient une faute découlant de cette reproduction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Creactivity aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Y..., avocat aux Conseils, pour la société H & M Hennes et Mauritz

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 janvier 2014 sauf sur le montant des sommes allouées à la société Creactivity en réparation de ses préjudices et condamné la société H&M Hennes et Mauritz à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 25.000 € en réparation de son préjudice commercial et 50.000 € en réparation de l'atteinte portée à ses investissements et à son image ;

AUX MOTIFS QUE la société Creactivity commercialise un bijou « cygne » inspiré de l'origami, ainsi représenté [suit la représentation du bijou] ; que si effectivement l'appelante ne peut s'approprier aucun monopole sur un pendentif en forme de cygne « origami », force est de constater, d'une part, que l'action est fondée sur la concurrence déloyale et, d'autre part, que le bijou qui est opposé dans le cadre du présent litige présente des caractéristiques propres tels sa matière métallique et ses lignes épurées, les ailes triangulaires déployées du cygne, son cou arrondi légèrement baissé et les proportions du corps en rondeur qui contraste avec les lignes géométriques, de sorte que contrairement à ce que soutient la société H&M, le choix de cette figure du cygne n'est pas le choix de la forme la plus banale en matière d'origami ; qu'il résulte d'ailleurs de l'examen des autres modèles de bijoux inspirés de l'art des pliages japonais, versés aux débats, qu'il existe de nombreux choix arbitraires pour reproduire des cygnes, des oiseaux ou encore des animaux, lesquels produisent des effets esthétiques différents de celui produit par le cygne de la société Creactivity ; qu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier en date du 6 août 2012 que la société H&M commercialise, sous la référence BE/R2 25561 6 4344 03 0150071001, un bijou composé d'une chaîne argentée à l'extrémité de laquelle se trouve un pendentif en forme de volatile également argenté, se présentant comme suit [suit la représentation du pendentif] ; qu'il résulte tant de ces constatations que de l'examen visuel des bijoux en cause, que l'ensemble des caractéristiques identifiant le cygne de la société Creactivity, ainsi que le même point d'attache, quoique légèrement plus petit, situé au même endroit, ont été repris sur le produit litigieux, de sorte qu'il existe un risque de confusion certain dans l'esprit de la clientèle, quand bien même la société H&M dispose-t-elle de magasins propres dès lors que la clientèle peut être commune aux deux parties en cause, ce d'autant qu'il n'est pas contesté que la société H&M établit régulièrement des partenariats avec des stylistes ou des designers ; qu'il en résulte que les actes de concurrence déloyale sont caractérisés à l'encontre de la société H&M qui est une professionnelle du secteur considéré, la bonne foi invoquée à la supposer établie, étant inopérante ; que cette dernière ne saurait soutenir, à l'instar de son fournisseur, que le bijou litigieux a été créé de façon indépendante par les designers de la société Surprise Groupe à partir d'un livre sur l'origami représentant la figure du cygne ; qu'en effet, outre le fait que les deux attestations produites à cet effet sont rédigées, mot à mot sur le même modèle, que les deux attestations du représentant de la société Surprise Group ne sont pas en totale adéquation puisque dans la première il est évoqué une inspiration de deux livres sur l'origami, et que le bijou aurait été créé en 2010 pour être commercialisé en 2012, le modèle litigieux ne correspond pas au pliage présenté dans le livre invoqué mais au contraire reproduit bien les caractéristiques esthétiques du cygne de la société Creactivity, les quelques différences relevées, qui ne sont que de détail, n'étant pas de nature à exclure le risque de confusion entre les produits, et les contraintes techniques et/ou esthétiques (sic) invoquées n'étant qu'alléguées et/ou inopérantes (arrêt attaqué p. 6 et p. 7 al. 1er) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE pour un consommateur d'attention moyenne, la ressemblance entre le cygne origami des parties est frappante, que ce soit par leur forme, leur taille, leur couleur pour le modèle argent, ou encore leur point d'attache de collier ; qu'il est de la responsabilité d'une enseigne qui distribue des produits sous sa marque de s'assurer que les produits mis en vente dans ses rayons ne l'amène pas à commettre des actes de concurrence déloyale envers des produits de la concurrence ; qu'il n'est pas contestable que la société Creactivity a investi pour faire connaître son bijou, et que même si le nombre de bijoux cygne vendus est relativement faible, elle dispose indéniablement d'une clientèle qui apprécie ses produits ; que des pièces du dossier (blogs sur internet, témoignages), il apparaît très clairement que le produit vendu par la société H&M à un prix inférieur à 5 €, celui de la société Creactivity étant vendu 130 €, a créé une confusion et un désarroi parmi les consommateurs concernés ; que des amateurs du bijou de la société Creactivity pourraient se rendre dans un magasin de la société H&M et qu'ayant une appétence pour ce type de bijou ils seront nécessairement amenés à examiner, au moins pour certains d'entre eux, celui de la société H&M et qu'indéniablement ils subiront un trouble au vu de la ressemblance des produits et de leur différence de prix, même s'il est notoire que la société H&M commercialise des produits bon marché ; que les clients de la société H&M nécessairement plus nombreux, attirés par le modèle cygne origami subiront également un trouble en voyant le modèle cygne origami de la société Creactivity, le trouvant exagérément cher pour un bijou similaire et ainsi dénigreront la société Creactivity ;que la société Creactivity en subira un trouble commercial ; que le tribunal dira qu'en créant une réelle confusion auprès du consommateur, d'attention moyenne, appréciant les origamis en forme de cygne, la société H&M s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et a engagé a responsabilité (jugement pp. 5-6) ;

ALORS QUE le principe de la liberté du commerce et de l'industrie implique qu'un produit qui n'est protégé par aucun droit privatif peut être librement reproduit ; qu'il n'en va autrement que lorsque l'auteur de la copie se rend coupable d'une faute par création d'un risque de confusion, faute qu'il appartient au juge d'apprécier au regard de l'ensemble des facteurs soumis au débat, parmi lesquels la notoriété de l'objet copié ; que pour décider que la société H&M Hennes et Mauritz avait commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Creactivity, la cour d'appel s'est bornée à retenir que le pendentif de la société H&M reprenait les caractéristiques du pendentif en forme de cygne « origami » de la société Creactivity, d'où la cour d'appel a conclu qu'il existait un risque de confusion certain dans l'esprit de la clientèle ; qu'en se bornant à une telle comparaison objective des caractéristiques des produits en présence pour conclure à l'existence d'une faute par création d'un risque de confusion, au lieu de s'attacher aux circonstances concrètes de la cause, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que, contrairement à ce que prétendait la société Creactivity, son modèle aurait été revêtu d'une notoriété particulière propre à démontrer que la copie de ses caractéristiques aurait présenté un caractère fautif et aurait été propre à compenser l'absence de dépôt, et qui n'a pas recherché si, comme le faisait valoir la société H&M, les précautions prises par cette société qui, n'étant pas le fabricant des bijoux, avait fait appel à un fournisseur réputé et spécialisé dans le domaine de la bijouterie, n'étaient pas exclusives de toute faute de sa part dans la création d'un risque de confusion, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 janvier 2014 sauf sur le montant des sommes allouées à la société Creactivity en réparation de son préjudice et condamné la société H&M Hennes et Mauritz à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 25.000 € en réparation de son préjudice commercial et 50.000 € en réparation de l'atteinte portée à ses investissements et à son image ;

AUX MOTIFS QUE la société Creactivity justifie de l'importance de ses investissements promotionnels relatifs aux bijoux en cause, qui figurent parmi les fleurons de sa collection, par la production de nombreux articles de presse et d'extraits de sites internet français et étrangers, blogs, page facebook et justificatifs de participation à des concours et salons ; que la société H&M qui ne justifie quant à elle d'aucun élément de nature à établir ses propres efforts de création et de promotion des bijoux incriminés, a ainsi manifesté sa volonté délibérée de se placer dans le sillage de la société intimée pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par ses bijoux ; qu'il s'ensuit que cette dernière est bien fondée à invoquer des actes de parasitisme commis à son encontre par la société H&M (arrêt attaqué, p. 7 al. 2 et 3) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il n'est pas contestable que la société Creactivity a investi pour faire connaître son bijou et que même si le nombre de bijoux cygne vendus est relativement faible, elle dispose indéniablement d'une clientèle qui apprécie ses produits (jugement p. 5, 5ème attendu) ;

ALORS, d'une part, QUE le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de sa notoriété et de ses investissements ; que la cour d'appel, pour décider que la société Creactivity était bien fondée à reprocher à la société H&M Hennes et Mauritz des actes de parasitisme, s'est bornée à retenir que la société Creactivity justifiait de l'importance de ses investissements promotionnels relatifs au bijou en cause et à énoncer que la société H&M avait manifesté la volonté délibérée de se placer dans son sillage pour bénéficier du « succès rencontré auprès de la clientèle par ses bijoux » ; qu'en statuant de la sorte sans constater que la société Creactivity aurait consacré des investissements à la réalisation de son pendentif et que celui-ci, dont le nombre de ventes était relativement faible et se cantonnait au cercle d'une clientèle qui appréciait ses produits, aurait été revêtu d'une particulière notoriété, investissements et notoriété dont la société H&M aurait indûment profité, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

ALORS, d'autre part, QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige tels qu'ils sont définis par les conclusions des parties ; que dans ses conclusions signifiées le 8 janvier 2016 (p. 21 al. 4), la société H&M Hennes et Mauritz justifiait des investissements de création de son propre pendentif par la production des attestations des designers de son fournisseur, la société Surprise Group (productions 14 et 15) ; que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les termes du litige tels qu'ils étaient définis par ces conclusions, énoncer que cette société ne justifiait quant à elle d'aucun élément de nature à établir des efforts de création et de promotion de ses propres bijoux, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile.

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