28 mars 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-86.938

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:CR00827

Titres et sommaires

RETENTION DE SURETE ET SURVEILLANCE DE SURETE - juridiction régionale de la rétention de sûreté - mesure de rétention de sûreté - prononcé - condition

En application de l'article 706-53-15 du code de procédure pénale, la juridiction ne peut prononcer une mesure de rétention de sûreté qu'après avoir vérifié que la personne concernée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre ; elle doit spécialement motiver sa décision sur ce point. Méconnaît le texte précité la juridiction nationale de sûreté qui retient que la juridiction régionale n'avait pas à procéder à cette vérification dès lors que la question de la réalité de la prise en charge n'avait pas été soulevée par le condamné en première instance

Texte de la décision

N° Z 17-86.938 FS-P+B

N° 827


FAR
28 MARS 2018


CASSATION


M. SOULARD président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________








LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION sur le pourvoi formé par M. Djamal X..., contre la décision de la juridiction nationale de la rétention de sûreté, en date du 24 novembre 2017, qui a confirmé son placement en rétention de sûreté pour une durée d'un an ;

LA COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mars 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, M. Castel, Mme Drai, MM. Stephan, Guéry, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Carbonaro, M. Béghin, conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Moracchini ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU et les conclusions de Mme l'avocat général MORACCHINI ;

Vu le mémoire personnel produit ;

Attendu que M. Djamal X... a été condamné, le 5 avril 2000, par la cour d'assises du Doubs, à vingt ans de réclusion criminelle pour viols aggravés en récidive, actes de torture et de barbarie, violences volontaires aggravées, menaces, escroquerie, et vol aggravé ;

Que, par jugement du tribunal de l'application des peines de Nancy, du 26 août 2010, il a été placé sous surveillance judiciaire, pendant une durée de quatre ans, à compter de la fin de son incarcération liée à la peine précitée ;

Que, M. X... n'ayant pas respecté les obligations qui lui avaient été imposées dans le cadre de la surveillance judiciaire, toutes les réductions de peine liées à la peine prononcée le 5 avril 2000 lui ont été retirées, d'abord en partie, par jugement du juge de l'application des peines du 19 janvier 2012, puis à hauteur du reliquat, par un jugement du 22 janvier 2013, confirmé par un arrêt du 22 mars 2013 ; qu'il en est résulté sa réincarcération, jusqu'au 8 juin 2016 ;

Que, par décision du 31 mai 2016, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Nancy a placé M. X... sous le régime de la surveillance de sûreté pendant deux ans à compter de sa libération, le 8 juin 2016, en lui fixant plusieurs obligations, parmi lesquelles une injonction de soins ;

Que, le 13 janvier 2017, le juge de l'application des peines a saisi le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté, sur le fondement des articles 706-53-19 et R. 53-8-52 du code de procédure pénale, afin que M. X... soit provisoirement placé dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, en raison de sa violation des obligations qui lui étaient imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté, et de sa dangerosité, caractérisée par un risque élevé de récidive ;

Que, le 16 janvier 2017, M. X... a été condamné, pour des faits de menaces de mort commises à raison de l'ethnie, entre le 6 janvier et le 14 janvier 2017, à une peine d'un an d'emprisonnement, par le tribunal correctionnel de Verdun, qui a décerné mandat de dépôt à son encontre ;

Que, par ordonnance du 26 janvier 2017, le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté a déclaré sans objet sa saisine faite, le 13 janvier 2017, par le juge de l'application des peines, au motif que la surveillance de sûreté à laquelle M. X... était astreint était suspendue pendant son incarcération, liée à l'exécution de la peine prononcée le 16 janvier 2017 ;

Que, le 26 janvier 2017, le juge de l'application des peines a saisi la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté de Nancy, par application des dispositions de l'article R. 53-8-53 du code de procédure pénale, pour qu'elle donne un avis sur le placement de M. X... sous le régime de la rétention de sûreté ;

Que, la commission pluridisciplinaire ayant émis un avis favorable à l'unanimité au placement de M. X... sous ce régime, le procureur général près la cour d'appel de Nancy a saisi la juridiction régionale de la rétention de sûreté, laquelle, par décision du 28 septembre 2017, prise sur le fondement des articles 706-53-14 à 706-53-16 du code de procédure pénale, a placé M. X... sous le régime de la rétention de sûreté, pendant une durée d'un an, à compter de la fin de son incarcération liée à l'exécution de la peine prononcée le 16 janvier 2017 ;

Que M. X... a relevé appel de cette décision ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 385, 512, 706-53-13 à 706-53-22 et R. 53-8-40 à R. 53-8-54 du code de procédure pénale :

Attendu que, devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté, M. X... a fait déposer des conclusions soutenant, pour la première fois, que la juridiction régionale de la rétention de sûreté avait été irrégulièrement saisie ; que, faisant application de l'article 385 du code de procédure pénale, la juridiction nationale relève que le requérant est irrecevable à soulever pour la première fois en appel l'irrégularité de la saisine de la juridiction du premier degré, faute de l'avoir fait en première instance, où il avait comparu ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la juridiction nationale de la rétention de sûreté a fait l'exacte application des articles 385 et 512 du code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 706-53-21 du code de procédure pénale, ensemble incompétence de la juridiction régionale de la rétention de sûreté :

Attendu que, contrairement à ce que soutient le demandeur, la juridiction régionale de la rétention de sûreté n'a pas confirmé la reprise de la mesure de surveillance de sûreté prononcée contre lui le 31 mai 2016, et suspendue par son incarcération, mais a pris, sans excéder les limites de la saisine, une mesure distincte, en le plaçant sous la régime de la rétention de sûreté à compter de sa libération ;

D'où il suit que le moyen manque en fait ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-53-13, 706-53-14, 706-53-15, 706-53-19 et R. 53-8-52 du code de procédure pénale, ensemble excès de pouvoir, non réponse à conclusions, violation du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère :

Attendu que, si la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 interdit qu'une personne soit placée sous le régime de la rétention de sûreté à raison de faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi qui a institué cette mesure et a été promulguée le 25 février 2008, il résulte de la même décision que les dispositions de cette loi relatives à la surveillance de sûreté s'appliquent aux faits commis avant son entrée en vigueur ; qu'il s'en déduit que la rétention de sûreté peut être appliquée, conformément aux articles 723-37 et 706-53-19 du code de procédure pénale, à une personne, même condamnée avant l'entrée en vigueur de cette loi, qui méconnaît, après l'entrée en vigueur de cette loi, les obligations qui lui sont imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté ;

Qu'il suit de là que M. X... a valablement pu être placé sous le régime de la rétention de sûreté, par application de l'article 706-53-15 du code de procédure pénale, l'incarcération du requérant en exécution du jugement prononcé contre lui par le tribunal correctionnel de Verdun, le 16 janvier 2017, permettant de recourir à la procédure prévue par cet article et rendant inutile son placement préalable dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, prévu par l'article 706-53-19 du même code ;

D'où il suit que le moyen est infondé ;

Mais sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 706-53-15, alinéas 3 et 4, du code de procédure pénale, ensemble insuffisance de motivation et violation de la loi :

Vu l'article 706-53-15, alinéas 3 et 4, du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon l'alinéa 3 de ce texte, la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne peut prononcer une mesure de rétention de sûreté qu'après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge médicale, sociale, et psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre ; que, selon l'alinéa 4, la décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée sur ce point ;

Attendu que la décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne comprend aucun motif sur la nature de la prise en charge, médicale, sociale et psychologique dont a pu bénéficier M. X... au cours de l'exécution de sa peine ; que, devant la juridiction nationale de la rétention de sûreté, il a conclu à l'insuffisance de la motivation de la juridiction régionale sur ce point ; que, pour écarter son argumentation et confirmer la décision contestée, la juridiction nationale de la rétention de sûreté énonce que : "la question de la réalité de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité de M. X... durant le temps de sa réclusion criminelle n'ayant pas été soulevée en première instance ni lors du placement sous surveillance judiciaire ou sous surveillance de sûreté, la juridiction régionale n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui serait revenue à remettre en question les décisions précédentes de placement en milieu libre prises au terme de débats contradictoires" ;

Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, qui ne satisfont pas aux exigences des dispositions susvisées, la juridiction nationale de la rétention de sûreté a méconnu le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, la décision susvisée de la juridiction nationale de la rétention de sûreté, en date du 24 novembre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la même juridiction, autrement composée ;



ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la juridiction nationale de la rétention de sûreté, et sa mention en marge ou à la suite de la décision annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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