17 mai 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-16.113

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:C300448

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - vente de la chose louée - droit de préemption du preneur à bail - domaine d'application - détermination - portée

Les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce relatives au droit de préemption du preneur à bail commercial ne s'appliquent pas en cas de vente judiciaire ni en cas de cession globale d'un immeuble dont le local pris à bail ne constitue qu'une partie

Texte de la décision

CIV.3

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 mai 2018




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 448 FS-P+B+I

Pourvoi n° R 17-16.113







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ M. Serge X...,

2°/ Mme Christine Y..., épouse X...,

tous deux domiciliés restaurant Lou Roucas, [...],

contre l'arrêt rendu le 14 février 2017 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre, section A), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme Anne Z..., domiciliée [...], prise en qualité de liquidateur amiable de la société Casanton,

2°/ à M. Jean-Guy A..., domicilié [...],

3°/ à M. Luis C... D..., domicilié [...],

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 5 avril 2018, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme Provost-Lopin , conseiller rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Brenot, M. Echappé, Mmes Andrich, Dagneaux, M. Barbieri, conseillers, Mmes Corbel, Meano, Collomp, M. Jariel, Mme Schmitt, conseillers référendaires, Mme Besse, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Provost-Lopin, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. et Mme X..., de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A... et de M. C... D... de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme Z..., ès qualités, l'avis de M. Sturlèse , avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 février 2017), que la société civile immobilière Casanton (la SCI), constituée entre MM. A... et C... et M. et Mme X..., est propriétaire d'un immeuble et d'un terrain donnés à bail, le premier à la société Jordane, à usage de restaurant, et le second aux sociétés Eurofaçades et Hidi Loc CD ; que le 20 avril 2017, après dissolution anticipée de la SCI, Mme Z..., en qualité de liquidateur amiable, a assigné les associés en autorisation de vente de l'ensemble immobilier aux enchères publiques ; qu'à titre reconventionnel, M. et Mme X... ont soutenu que la société Jordane, dont M. X... était le gérant, était fondée à revendiquer le bénéfice du droit de préemption ;

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il doit en informer le locataire, cette notification, qui doit indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée, valant offre de vente au profit du locataire ; que l'adjudication amiable est, contrairement à celle résultant d'une saisie immobilière, une modalité de la vente résultant d'un choix du propriétaire de sorte qu'elle entre dans le champ d'application de l'article L. 145-46-1 qui vise la vente ; qu'en décidant au contraire que ce texte ne s'appliquait pas à la « vente judiciaire », après avoir pourtant constaté que cette vente intervenait dans le cadre d'une « liquidation amiable », la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

2°/ que le droit de préemption doit être proposé lorsque le propriétaire « envisage de vendre » son bien » c'est-à-dire avant toute vente, fût-elle par licitation et non après celle-ci ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

3°/ que la licitation n'est pas le seul moyen pour fixer le prix des murs, celui-ci pouvant être évalué par expert ; qu'en énonçant dès lors que le prix de la vente ne peut être proposé au locataire commercial avant la mise en vente de l'immeuble aux enchères publiques puisqu'il ressort de la dernière enchère, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

4°/ que M. et Mme X... avaient expressément soutenu que la licitation d'un bien, occupé par un locataire commercial qui peut, à l'issue de la vente, faire valoir son droit de préemption, est de nature à dissuader le moindre acquéreur potentiel de sorte qu'était erroné l'argument tiré du fait que la licitation du bien permettra de fixer le prix des murs avant de le proposer à la préemption du locataire; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que le législateur a prévu un certain nombre d'exceptions au champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce parmi lesquelles l'hypothèse de la « cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux », soit le cas de la vente d'un immeuble comprenant à la fois un local commercial et d'autres locaux à usage extra-commercial ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats comme résultant tout à la fois des conclusions tant de Mme Z... et de M. et Mme X... que des constatations de l'arrêt que l'immeuble de la SCI était constitué de la parcelle [...] sur laquelle était édifié un restaurant exploité par la SARL Jordane et de la parcelle [...] vide de toute construction, seulement constituée d'un terrain ; qu'en l'absence de locaux extra-commerciaux à côté du local commercial dont M et Mme X... étaient locataires, l'exception n'avait pas vocation à s'appliquer de sorte que le preneur commercial devait bénéficier du droit de préemption ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

6°/ que la cour d'appel a constaté que sur l'immeuble, propriété de la SCI avaient été consentis trois baux commerciaux, respectivement à la société Jordane, à la société Eurofacades et à la société Hidi Loc CD ; qu'ainsi, la cession globale de l'immeuble ne portait pas sur un local commercial et des locaux extra-commerciaux ; qu'en refusant de faire application du droit de préemption au profit du locataire commercial, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la vente aux enchères publiques de l'immeuble, constituant l'actif de la SCI en liquidation, était une vente judiciaire et relevé que la société Jordane n'était locataire que pour partie de l'ensemble immobilier mis en vente, le terrain ayant été donné à bail à d'autres sociétés, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a à bon droit déduit que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce n'étaient pas applicables et que la cession globale de l'immeuble ne pouvait donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par la société Jordane ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme X... et les condamne à payer à MM. A... et C... D... la somme globale de 3 000 euros et à Mme Z..., ès qualités, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les époux X... de leurs demandes tendant à voir dire et juger que la SARL Jordane bénéficie d'un droit de préemption, que Me Z... avait l'obligation de proposer à ce locataire le rachat du bien immobilier et que la demande de Me Z... présentée aux fins de se voir autorisée à vendre aux enchères publiques le bien immobilier est prématurée ;

AUX MOTIFS QUE la SCI CASANTON a été constituée en mars 2009 entre M. Luis C... D..., M. Jean-Guy D..., M. Serge X... et Mme Christine Y... épouse X... aux fins d'acquisition d'un immeuble sis1614 route nationale 7 à [...] (83520), son administration et son exploitation par bail, location ou autrement ; que cet immeuble, constitué des parcelles [...] lieudit [...] pour 1039 m² et AN 346 lieudit route Nationale 7 pour 1960 m² comprenant un immeuble à usage de restaurant et terrain attenant, a été acquis suivant acte des 7 et 16 juillet 2009 ; que le local commercial avec terrain attenant à usage de parking a été donné à bail commercial par la SCI à la Sarl JORDANE (ayant pour gérant M. X...) le 1er avril 2009 moyennant un loyer de 1.000 euros par mois ; que deux autres baux commerciaux ont également été consentis sur le terrain qualifié de terrain à bâtir pour une surface de 1500 m² à la Sarl EUROFACADES (ayant pour gérant M. Luis C... D...) et à la Sarl HIDI LOC CD (ayant pour gérant M. Jean-Guy A...) aux fins de construction d'un local à usage commercial ou artisanal ; (...) ; que l'article L 145-46-1 du code de commerce créé par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 , dite loi Pinel, a introduit un droit de préemption au bénéfice du locataire commercial en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal, à l'instar du droit de préemption bénéficiant au locataire de locaux à usage d'habitation ; que l'article 21 III de la loi prévoit que ce nouveau dispositif s'applique à toute cession intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi, intervenue le 18 juin 2014, de sorte que la présente vente, proposée par le liquidateur aux associés le 22 janvier 2015 et non encore intervenue à ce jour, doit donner lieu à l'application de ce nouveau texte, ce qui n'est pas discuté au demeurant par les parties ; que l'article L 145-46-1 prévoit que : « Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire » ; qu'en l'espèce, ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer dès lors que la vente de l'immeuble intervient dans le cadre de la liquidation amiable de la SCI CASANTON et qu'il ne s'agit pas d'une vente de gré à gré, mais d'une vente judiciaire, le président du tribunal de grande instance de Draguignan ayant donné mission à Me Anne Z... de réaliser l'actif de la SCI et Me Anne Z... estimant à juste titre que la vente aux enchères publiques est la plus adaptée, compte tenu de la mésentente entre les associés et de la nécessité de rechercher le meilleur prix ; qu'à la différence du droit de préemption prévu par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 applicable aux locaux à usage d'habitation, l'article L. 145-46-1 ne traite pas du cas des ventes judiciaires, ce dont il peut être déduit que le droit de préemption ne s'applique pas en la matière ; qu'au demeurant, ainsi que le soulignent les intimés, le prix de la vente, n'étant pas fixé puisque ressortant de la dernière enchère, ne peut être proposé au locataire commercial avant la mise en vente de l'immeuble aux enchères publiques ; qu'enfin, l'article L. 145-46-1 dispose qu'il « n'est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ; qu'il n'est pas non plus applicable à la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint » ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces que la Sarl JORDANE n'est pas locataire commerciale de la totalité de l'immeuble mis en vente puisque le terrain a été donné à bail commercial à la Sarl EUROFACADES et à la Sarl HIDI LOC CD pour une surface de 1500 m², de sorte que la cession globale de l'immeuble ne peut donner lieu à exercice d'un droit de préemption par la locataire d'une partie seulement de l'immeuble vendu globalement ; qu'il convient en conséquence de dire que l'opposition de M. et Mme X... à la mise en vente du bien immobilier constituant l'actif de la SCI CASANTON en liquidation n'est pas fondée et de confirmer le jugement en ce qu'il a autorisé Me Anne Z... à procéder à la mise en vente aux enchères publiques de ce bien dans les conditions fixées dans son dispositif ; que l'appel de M. et Mme X... sera donc rejeté et qu'ils seront condamnés aux dépens et au paiement des frais irrépétibles engagés par les intimés pour défendre devant la cour ;

1°) ALORS QUE lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il doit en informer le locataire, cette notification, qui doit indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée, valant offre de vente au profit du locataire ; que l'adjudication amiable est, contrairement à celle résultant d'une saisie immobilière, une modalité de la vente résultant d'un choix du propriétaire de sorte qu'elle entre dans le champ d'application de l'article L. 145-46-1 qui vise la vente ; qu'en décidant au contraire que ce texte ne s'appliquait pas à la « vente judiciaire », après avoir pourtant constaté que cette vente intervenait dans le cadre d'une « liquidation amiable », la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE le droit de préemption doit être proposé lorsque le propriétaire « envisage de vendre » son bien » c'est-à-dire avant toute vente, fût-elle par licitation et non après celle-ci ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

3°) ALORS QUE la licitation n'est pas le seul moyen pour fixer le prix des murs, celui-ci pouvant être évalué par expert ; qu'en énonçant dès lors que le prix de la vente ne peut être proposé au locataire commercial avant la mise en vente de l'immeuble aux enchères publiques puisqu'il ressort de la dernière enchère, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

4°) ALORS QUE les époux X... avaient expressément soutenu que la licitation d'un bien, occupé par un locataire commercial qui peut, à l'issue de la vente, faire valoir son droit de préemption, est de nature à dissuader le moindre acquéreur potentiel de sorte qu'était erroné l'argument tiré du fait que la licitation du bien permettra de fixer le prix des murs avant de le proposer à la préemption du locataire (conclusions d'appel signifiées le 11 septembre 2015 p. 7) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE le législateur a prévu un certain nombre d'exceptions au champ d'application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce parmi lesquelles l'hypothèse de la « cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux », soit le cas de la vente d'un immeuble comprenant à la fois un local commercial (litigieux) et d'autres locaux à usage extra-commercial ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats comme résultant tout à la fois des conclusions tant de Me Z... et des époux X... que des constatations de l'arrêt que l'immeuble de la SCI était constitué de la parcelle [...] sur laquelle était édifié un restaurant exploité par la SARL Jordane et de la parcelle [...] vide de toute construction, seulement constituée d'un terrain ; qu'en l'absence de locaux extra-commerciaux à côté du local commercial dont les époux X... étaient locataires, l'exception n'avait pas vocation à s'appliquer de sorte que le preneur commercial devait bénéficier du droit de préemption ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 146-46-1 du code de commerce ;

6°) ALORS QU'ENFIN et, en toute hypothèse, la cour d'appel a constaté que sur l'immeuble, propriété de la SCI avaient été consentis trois baux commerciaux, respectivement à la SARL Jordane, à la SARL Eurofacades et à la SARL Hidi Loc CD ; qu'ainsi, la cession globale de l'immeuble ne portait pas sur un local commercial et des locaux extra-commerciaux ; qu'en refusant de faire application du droit de préemption au profit du locataire commercial, la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 146-46-1 du code de commerce.

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