16 mai 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-13.395

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:C100520

Titres et sommaires

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - lutte contre la pauvreté et les exclusions - contrats de fourniture d'eau - non-paiement de factures - réduction du débit de l'eau fournie - possibilité (non)

Il résulte de l'article L. 115-3, alinéa 3, du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, qu'en cas de non-paiement de factures, seuls les fournisseurs d'électricité peuvent procéder à une réduction de puissance malgré la période hivernale, les distributeurs d'eau ne pouvant quant à eux réduire le débit de l'eau fournie, quelle que soit la période de l'année

Texte de la décision

CIV. 1

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mai 2018




Cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 520 F-P+B

Pourvoi n° M 17-13.395

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme X....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 février 2017.







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Martine X..., domiciliée [...],

contre le jugement rendu le 4 avril 2016 par la juridiction de proximité d'Alès dans le litige l'opposant à la Régie des eaux d'Alès (REAL), dont le siège est [...],

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 5 avril 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de Mme X..., de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de la Régie des eaux d'Alès, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 115-3, alinéa 3, du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en cas de non-paiement de factures, seuls les fournisseurs d'électricité peuvent procéder à une réduction de puissance malgré la période hivernale, les distributeurs d'eau ne pouvant quant à eux réduire le débit de l'eau fournie, quelle que soit la période de l'année ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que la régie des eaux de la ville d'Alès (la régie), qui gère le service d'alimentation en eau potable de cette commune, a réclamé le paiement de factures à Mme X..., qui avait souscrit un contrat d'approvisionnement en eau potable de sa résidence principale ; que celle-ci a saisi une juridiction de proximité afin de voir condamner la régie à l'indemniser du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la réduction volontaire du débit d'eau de son installation au cours du premier semestre de l'année 2015 ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, le jugement retient que, Mme X... ayant refusé de solliciter l'aide des services sociaux, la régie a pu procéder, en toute légalité, à la réduction litigieuse ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 avril 2016, entre les parties, par la juridiction de proximité d'Alès ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance d'Uzès ;

Condamne la Régie des eaux d'Alès aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la SCP Devolvé et Trichet, avocat aux Conseils, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir constaté que le lentillage, pratiqué par la REAL était intervenu postérieurement au rapport établi par le CCAS de la mairie d'Alès selon lequel Mme X... avait refusé de déposer un dossier afin d'obtenir une aide pour le paiement de sa facture d'assainissement d'eau et qu'en conséquence le lentillage pratiqué par la REAL était intervenu dans le respect des règles légales et d'avoir débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes,

Aux motifs que Mme X... était liée à la REAL par un contrat de fourniture d'eau potable ; que les factures que cette dernière adressait à ses clients tenaient compte de la consommation d'eau qu'elle relevait sur un compteur prévu à cet effet ; qu'en premier lieu, Mme X..., par convenance personnelle, n'avait plus payé lesdites factures, privilégiant le paiement de son loyer, étant observé qu'elle n'avait pour seule ressource que le RSA ; qu'à ce sujet, la juridiction ne pouvait que s'interroger sur sa motivation à ne plus payer, puisque, si elle arguait de sa dignité pour refuser l'aide sociale que lui proposait le CASS, elle acceptait tout de même l'aide du département au travers le RSA ; qu'en second lieu, il n'était pas contesté par la REAL un lentillage qui, pour elle, n'avait eu lieu que sur une période de deux jours ; que Mme X... soutenait que cette alimentation limitée en eau avait eu lieu sur une période plus longue ; qu'en application de l'article 1315 du code civil, il lui appartenait d'en rapporter la preuve ; qu'à cet effet, elle produisait trois attestations, une de sa mère qui indiquait avoir constaté la coupure d'eau au domicile de sa fille le 3 mars 2015, une de Mme Z... qui indiquait qu'il existait un lentillage début juin et une de M. A..., représentant du collectif d'action contre le chômage, qui indiquait avoir constaté un lentillage le 12 mai ; que ces attestations étaient combattues par la REAL qui produisait une attestation de son employé qui avait constaté la fermeture du robinet après compteur à la fin du mois de juin 2015 ; qu'il ressortait de l'ensemble de ces pièces que, si de bonne foi, Mme Z... et M. A... avaient pu constater à deux reprises que seul un filet d'eau coulait au domicile de Mme X..., aucun des deux n'indiquait avoir recherché la cause de ce faible débit ; qu'il aurait pour le moins fallu l'intervention d'un plombier ou même d'un huissier pour pouvoir constater que c'était bien un lentillage qui était à l'origine de ce faible débit d'eau ; que Mme X... ne rapportait donc pas la preuve suffisante que le lentillage avait duré sur une période de près de trois mois ; que néanmoins la REAL reconnaissait un lentillage de l'alimentation en eau de Mme X... les 12 et 13 mars 2015 ; qu'or, en application des alinéas 1 et 2 de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles applicable à compter du 17 avril 2013, « dans les conditions fixées par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l'insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques dans son logement. Qu'en cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie, d'eau ainsi que d'un service téléphonique restreint est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide. Le service téléphonique restreint comporte la possibilité, depuis un poste fixe, de recevoir des appels ainsi que de passer des communications locales et vers les numéros gratuits, et d'urgence » ; que la rédaction de ces deux premiers alinéas restait inchangée dans les versions applicables à compter d'août 2015 et décembre 2018 ; que cette règle était rappelée par l'annexe VI aux articles D. 2224-1, 2224-2 et 2224-3 du code des collectivités territoriales concernant le service public de l'assainissement qui fait directement référence à l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles ; qu'il était donc applicable à la prestation assurée par la REAL ; que si le lentillage était légalement interdit, la lecture attentive du texte de loi permettait également de constater que le législateur n'avait pas voulu que le service soit assuré dans n'importe quelles conditions, la bonne volonté du bénéficiaire étant prise en compte à travers sa saisine des services sociaux pour arriver à une solution quant au paiement des factures non contestées ; qu'ainsi, dans la mesure où, les services sociaux étaient saisis du dossier et rendaient une décision qui ne permettait pas de régler le litige de paiement entre le fournisseur et son client en difficulté financière, le prestataire retrouvait la faculté de délivrer un service partiel ; qu'or, en l'espèce, la REAL produisait aux débats le rapport de situation de Mme X... établi le 7 janvier 2015 par le Centre Communal d'Action Sociale de la mairie d'Alès et porté à sa connaissance au terme duquel il était expressément indiqué que Mme X... avait refusé de déposer un dossier tendant à la prise en charge du paiement de sa facture d'eau par les services sociaux ; que ce refus avait été confirmé à l'audience par l'intéressée qui avait argué de sa dignité sans autre justificatif ; qu'il était donc établi qu'à la date à laquelle le lentillage a été réalisé, quelque soit la date retenue, la condition suspensive était réalisée permettant à la REAL d'effectuer son lentillage en toute légalité,

Alors, d'une part, que selon l'article L. 113-5, alinéa 3, du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction en vigueur du 19 août 2015 au 9 octobre 2016 applicable à la cause, du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l'année suivante, les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles ; que cette interdiction s'applique aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année ; que ce texte prohibe de manière générale et absolue tout lentillage d'une installation de distribution d'eau au détriment des personnes ou familles en cas d'impayé ; qu'en l'espèce, en retenant que cette interdiction légale de coupure d'eau n'avait pas de caractère général et absolu mais ne bénéficiait qu'au consommateur en situation d'impayé qui avait effectué les démarches nécessaires auprès des services sociaux pour obtenir le règlement de sa situation, la juridiction de proximité a violé ce texte en y ajoutant une condition qu'il ne contient pas,

Alors, d'autre part, que selon l'article L. 113-5 alinéa 2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction en vigueur du 19 août 2015 au 9 octobre 2016 applicable à la cause, en cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie, d'eau ainsi que d'un service téléphonique restreint est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide ; qu'il est ainsi fait interdiction au distributeur d'eau de suspendre ses services pendant la durée de l'instruction d'une demande d'aide financière qui aurait été effectuée par le consommateur auprès des services sociaux ; qu'en retenant que ces dispositions autorisaient le distributeur d'eau à fournir un service partiel en cas de réponse négative à une demande d'aide, la juridiction de proximité a violé ce texte par fausse application,

Alors, en tout état de cause, que l'absence de demande d'aide ne se confond pas avec le rejet d'une telle demande ; qu'en l'espèce, en se bornant à constater que Mme X... n'avait pas sollicité l'aide de la collectivité pour le règlement de sa facture impayée, pour en déduire que le lentillage avait été légalement pratiqué, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de ce même texte,

Alors, à titre très subsidiaire, que le refus d'une demande d'aide est de nature à justifier une restriction de service de la part d'un distributeur d'eau que s'il est établi qu'à la date de cette restriction, ce dernier avait été effectivement informé de ce refus, partant de l'impossibilité de recouvrer sa facture impayée ; qu'en l'espèce, en se contentant de retenir que selon un rapport du centre d'action sociale du 7 janvier 2015, Mme X... avait refusé de déposer un dossier tendant à la prise en charge du paiement de sa facture d'eau par les services sociaux, sans énoncer le moindre motif de nature à établir que la REAL avait effectivement connaissance de ce refus opposé par Mme X... au centre d'action sociale lorsqu'elle a procédé au lentillage de son installation, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard du même texte,

Alors, en tout état de cause, que lorsqu'un consommateur n'a pas procédé au paiement de sa facture, le distributeur d'eau l'avise par courrier du délai et des conditions, définis par décret, dans lesquels la fourniture peut être réduite ou suspendue ou faire l'objet d'une résiliation de contrat à défaut de règlement ; qu'en l'espèce, en se contentant de constater que le comportement de Mme X..., qui s'était abstenue de solliciter de la collectivité une aide au règlement de sa facture d'eau impayée, suffisait à justifier le lentillage de son installation par la REAL, sans constater que cette dernière avait satisfait à son obligation d'information préalable, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-5 alinéa 4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable à la cause,

Alors, enfin, que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la juridiction de proximité a retenu, d'une part, que le lentillage était « légalement interdit » (jugement p. 5, al. 5) et, d'autre part, que le lentillage litigieux était intervenu « en toute légalité » (jugement p. 5, al. 9) ; qu'elle s'est ainsi déterminée par des motifs contradictoires et a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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