16 mai 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-26.399

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2018:SO00677

Texte de la décision

SOC.

CGA



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mai 2018




Cassation partielle


M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 677 F-D

Pourvoi n° A 16-26.399







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Elizabeth Y..., domiciliée [...] ,

contre l'arrêt rendu le 23 septembre 2016 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2, chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Toulouse, dont le siège est [...] ,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 27 mars 2018, où étaient présents : M. Chauvet , conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prache , conseiller référendaire rapporteur, M. Maron, conseiller, M. Weissmann , avocat général référendaire, Mme Jouanneau, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Prache , conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme Y..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Toulouse, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 1332-4 du code du travail,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... a été engagée à compter du 20 octobre 1996 par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse (ci-après la Caisse) en qualité d'agent administratif temporaire, puis, à compter du 2 mai 1997, en qualité de commerciale dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ; qu'elle exerçait en dernier lieu les fonctions d'agent d'accueil à temps partiel en sureffectif au sein de l'agence de Bruguières ; qu'elle a été licenciée pour faute grave par lettre du 5 mars 2013 ; qu'elle a contesté ce licenciement devant la juridiction prud'homale ;

Attendu que pour écarter le moyen tiré de la prescription des faits fautifs, dire que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse et la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il résulte des productions que l'auteur de la lettre du 9 février 2012, directeur d'agence, a établi ce document en faveur de la salariée en toute confidentialité sur un formulaire de lettre client destiné à un autre usage, sans en informer le service des ressources humaines du Crédit agricole, que les modalités clandestines d'établissement de cette lettre ne permettent pas de considérer que l'employeur était représenté dans cet acte par le directeur d'agence, auteur du document, lequel a excédé son pouvoir, que l'employeur, qui n'avait pas accès à la procédure judiciaire familiale dans laquelle le document a été produit, n'a eu connaissance de ce document qu'à la suite de la plainte du père de l'ex-compagnon de la salariée formalisée par écrit le 11 décembre 2012, que la procédure disciplinaire à l'encontre de l'intéressée a été engagée le 8 janvier 2013, dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le directeur d'agence, dont il n'était pas contesté qu'il était le supérieur hiérarchique de la salariée, avait eu connaissance des faits qui lui étaient imputés plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen emporte la cassation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, des chefs de l'arrêt critiqués par les deuxième et troisième moyens, relatifs au bien-fondé du licenciement et aux dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, licenciement vexatoire et harcèlement moral ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Toulouse à verser à Mme Y... les sommes de 1 789,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 178,98 euros au titre des congés payés y afférents, 3 529,88 euros à titre d'indemnité de licenciement, 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Toulouse aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué, après avoir écarté le moyen de prescription des faits fautifs invoqué par Mme Y..., d'avoir dit que le licenciement de Mme Y... était justifié par une cause réelle et sérieuse et de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Aux motifs que, sur la prescription, le délai de prescription ne court pas du jour où les faits ont été commis mais du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que la connaissance des faits s'entend de l'information exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés ; qu'en l'espèce, il résulte des productions que l'auteur de la lettre du 9 février 2012, directeur d'agence, a établi ce document en faveur de Mme Y... en toute confidentialité sur un formulaire de lettre client destiné à un autre usage, sans en informer le service des ressources humaines du crédit agricole ; que les modalités clandestines d'établissement de cette lettre ne permettent pas de considérer que l'employeur était représenté dans cet acte par le directeur d'agence, auteur du document, lequel a excédé son pouvoir ; qu'ainsi, l'employeur, lequel n'avait pas accès à la procédure judiciaire familiale dans laquelle le document a été produit, n'a eu connaissance de ce document qu'à la suite de la plainte de M. B... formalisée par écrit le 11 décembre 2012 ; que la procédure disciplinaire à l'encontre de Mme Y... a été engagée le 8 janvier 2013, dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail ; que le moyen tiré de la prescription doit être rejeté ;

Alors que 1°) aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que la connaissance du fait reproché par le supérieur hiérarchique direct est nécessaire mais suffisante pour faire courir le délai de prescription, peu important la date à laquelle le supérieur hiérarchique en a lui-même informé sa propre hiérarchie ; que la cour a retenu que c'est M. C..., directeur de l'agence et supérieur hiérarchique de Mme Y..., qui, le 9 février 2012, lui avait délivré une attestation dont elle s'était servie dans le cadre d'un contentieux d'ordre privé l'opposant au père de ses enfants ; qu'en relevant, pour considérer que la procédure de licenciement engagée le 8 janvier 2013 n'était pas prescrite, que le directeur d'agence avait établi ce document sans en avertir le service des ressources humaines et que les modalités clandestines de son établissement par rapport à sa propre hiérarchie ne permettaient pas de considérer que l'employeur était représenté dans cet acte, quand la simple connaissance du fait reproché par le supérieur hiérarchique direct suffisait à constituer le point de départ du délai de prescription, la cour d'appel a violé l'article L.1332-4 du code du travail.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de Mme Y... est justifié par une cause réelle et sérieuse et de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Aux motifs que, la matérialité des faits n'est pas contestée, seule la portée est discutée par les parties ; qu'il résulte des écritures et des productions que Mme Y... s'est adressée à M. C..., son directeur d'agence, et non au service des ressources humaines du crédit agricole, aux fins d'obtenir un document qui sera ensuite produit en justice dans la procédure familiale ; que les termes de ce document signé par le directeur de l'agence de Bruguières du crédit agricole indiquent qu'il n'a pas d'autre poste à proposer à Mme Y... que le poste actuel (sous-entendu à temps partiel) ; qu'or, Mme Y... ne pouvait ignorer que le temps partiel avait été accordé à sa demande et qu'une demande de modification de poste auprès du service des ressources humaines de la banque pouvait modifier son statut rapidement vers un temps plein ; que le document litigieux a été utilisé dans le cadre d'une procédure judiciaire familiale et a été un des éléments principaux permettant d'obtenir en appel une réformation et l'allocation d'une pension alimentaire à son profit, la juridiction retenant notamment dans ses motifs que le temps partiel de Mme Y... n'avait pas le caractère de convenance personnelle ; qu'il y a donc bien demande d'établissement d'un document tendancieux, ambigu et donc mensonger, à l'en-tête de l'employeur, suivie de son utilisation délibérée dans une procédure judiciaire, ce pour obtenir une décision favorable à Mme Y... ; que ces agissements ne relèvent pas de la définition des conflits d'intérêts visés dans le règlement intérieur car le document litigieux ne concernait pas une opération financière de la banque, ni des relations client ; que ce comportement doit être rattaché à la violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail par Mme Y... et caractérise une faute à l'égard de l'employeur ; qu'en l'absence de tout incident disciplinaire antérieur et compte tenu d'un contexte très particulier, lié à une séparation familiale très difficile avec plusieurs enfants dont un gravement handicapé, il y a lieu de retenir que la faute commise ne revêt pas le caractère de faute grave mais seulement de cause réelle et sérieuse ; que Mme Y... est donc bien fondée à obtenir paiement du préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement ;

Alors 1°) que, le salarié à temps partiel ne peut se voir accorder un temps plein que si un emploi est disponible ; qu'en retenant que la lettre énonçant qu'aucun de poste n'était disponible était mensongère puisque Mme Y... ne pouvait ignorer que le temps partiel avait été accordé à sa demande et qu'une demande auprès du service des ressources humaines de la banque pouvait modifier son statut rapidement vers un temps plein, quand le passage d'un temps partiel à un temps plein est conditionné à la disponibilité d'un poste, ce qui n'était pas le cas, l'intéressée ayant au contraire indiqué qu'elle était en sureffectif (conclusions, p. 8, in fine, p. 9 § 1), la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 3123-8 du code du travail ;

Alors 2°) que, qu'en se bornant à relever, pour dire le licenciement de Mme Y... fondé sur une cause réelle et sérieuse, que l'attestation signée de M. C..., directeur de la caisse régionale de crédit agricole de l'agence de Bruguières, indiquant qu'il n'a pas d'autre poste à lui proposer, était un document mensonger, sans répondre au moyen selon lequel elle était en sureffectif (conclusions, p. 9 § 1) et sans préciser quelle pièce aurait pu établir le contraire, la cour d'appel a privé son arrêt de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors 3°) que, le fait pour un salarié de demander à son employeur d'établir une attestation en sa faveur afin de pouvoir l'utiliser en justice dans un contentieux judiciaire ne mettant pas en cause les intérêts de ce dernier n'est pas constitutif d'une faute ; qu'en l'espèce, la cour a expressément retenu que la demande d'attestation à M. C... et son utilisation par Mme Y... dans le cadre d'un contentieux l'ayant opposé à son ancien concubin, M. Éric B..., en vue d'obtenir une décision favorable, « ne relèvent pas de la définition des conflits d'intérêts visés dans le règlement intérieur car le document litigieux ne concernait pas une opération financière de la banque ni des relations client » ; qu'en considérant néanmoins, pour dire le licenciement de Mme Y... fondé sur une cause réelle et sérieuse, que son comportement pouvait être rattaché à la violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail par la salariée et caractérisait une faute, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 du code du travail.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'Avoir débouté Mme Y... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et harcèlement moral ;

Aux motifs que, sur la demande formée au titre d'un préjudice distinct, Mme Y... invoque un harcèlement moral et un licenciement vexatoire imputables à l'employeur ces deux faits lui causant un préjudice distinct de la perte de son emploi ; que la salariée fait état de pressions de l'employeur l'obligeant à s'accuser d'avoir rédigé le document litigieux ; que toutefois en dehors de son mail adressé à l'employeur, Mme Y... ne produit aucun justificatif de ce que l'un de ses supérieurs hiérarchiques aurait formulé cette demande ou effectué des pressions à son égard ; que ce fait n'est pas établi ; que la salariée invoque en outre les demandes réitérées de l'employeur de décembre 2012 à février 2013 d'avoir à justifier de façon détaillée de sa situation familiale et plus particulièrement des soins prodigués à son enfant handicapé ; que Mme Y... invoque également des propos choquants et dégradants ; que cependant, les productions ne font apparaître aucun propos choquant ou dégradant tenu par l'employeur ; que ce fait n'est pas établi ; que les demandes réitérées d'explications sur la situation personnelle et familiale ne sont pas contestées ; qu'il résulte des productions que l'employeur a, dans un premier temps, procédé à une enquête, puis a engagé la procédure disciplinaire qui se déroule en deux phases, entretien préalable et audition par le conseil de discipline ; que la production d'un document à l'en tête de l'employeur dans la procédure judiciaire familiale laissant supposer que le temps partiel était subi et qu'il ne pouvait être modifié est à l'origine des vérifications détaillées de l'employeur ; que les informations tendancieuses produites en justice par Mme Y... justifient que l'employeur procède à des vérifications approfondies sur la matérialité de sa situation personnelle et familiale ; que compte tenu de ces éléments, le licenciement n'a pas de caractère vexatoire ; que la demande fondée sur le harcèlement moral repose sur les mêmes faits ; qu'il peut être considéré dans un premier temps que la multiplication des demandes de justification de la situation personnelle et familiale, prises dans leur ensemble, peuvent laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral ; que toutefois, dans un deuxième temps, il y a lieu de retenir que ces vérifications approfondies et les questions posées par l'employeur apparaissent justifiées par la nature de la faute commise en lien avec la vie familiale de la salariée ainsi que les nécessités de l'enquête et de la procédure disciplinaire ; que les éléments médicaux produits par Mme Y... ne peuvent substituer la preuve de l'existence de faits relevant du harcèlement moral ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de retenir la qualification de harcèlement moral ; que Mme Y... sera donc déboutée de ce chef de demande et le jugement réformé ;

Alors que, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure du chef de dispositif ayant dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse entrainera celle du chef de dispositif ayant débouté Mme Y... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et harcèlement moral dès lors que c'est en considération d'informations tendancieuses produites en justice par la salariée, constitutives prétendument de faute grave, que la cour a considéré que la Caisse était justifiée à procéder à des vérifications approfondies sur la matérialité de sa situation personnelle ou familiale et à poser des questions pour les nécessités de l'enquête et de la procédure disciplinaire.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.