3 octobre 2018
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-19.442

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2018:C101020

Titres et sommaires

MINEUR - Assistance éducative - Intervention du juge des enfants - Mesures d'assistance - Placement - Aide sociale à l'enfance - Conditions - Minorité - Evaluation - Examens radiologiques osseux - Portée des conclusions - Détermination

Il résulte de l'article 388 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, que des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, peuvent être réalisés sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur et le doute lui profite. C'est sans statuer au vu des seules conclusions de l'expertise ni méconnaître le principe selon lequel le doute, après l'examen radiologique, profite à l'intéressé qu'une cour d'appel, après avoir constaté que les documents d'identité produits n'étaient pas probants, au sens de l'article 47 du code civil, et que l'âge allégué n'était pas vraisemblable, puis relevé que l'expert avait conclu qu'il était possible d'affirmer, au-delà de tout doute raisonnable, que la jeune femme ayant sollicité son placement à l'aide sociale à l'enfance avait plus de 18 ans au moment de l'examen, en conclut qu'elle n'est pas mineure et ne relève donc pas de la protection de l'enfance en danger

AIDE SOCIALE - Aide sociale à l'enfance - Enfants confiés par le juge des enfants - Placement - Conditions - Minorité - Evaluation - Examens radiologiques osseux - Portée des conclusions - Détermination

MINEUR - Minorité - Evaluation - Examens radiologiques osseux - Conditions - Détermination - Portée des conclusions

Texte de la décision

CIV. 1

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2018




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 1020 FS-P+B+I

Pourvoi n° E 18-19.442


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme X....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 21 juin 2018.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme A... X..., domiciliée chez Mme Brigitte Y..., avocat à la cour, [...],

contre l'arrêt rendu le 13 avril 2018 par la cour d'appel de Nancy (chambre spéciale des mineurs), dans le litige l'opposant :

1°/ au procureur de la république près le tribunal de grande instance de Nancy, domicilié [...],

2°/ à l'aide sociale à l'enfance de Meurthe-et-Moselle, dont le siège est [...], représentant Mme A... X...,

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 octobre 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, MM. Hascher, Reynis, Mme Reygner, M. Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Auroy, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme X..., de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de l'aide sociale à l'enfance de Meurthe-et-Moselle, l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 13 avril 2018), que A... X... a saisi le juge des enfants le 19 janvier 2017 afin d'être confiée à l'aide sociale à l'enfance, se déclarant mineure pour être née le [...] à Kinshasa (République démocratique du Congo) et isolée sur le territoire français ;

Attendu qu'elle fait grief à l'arrêt de constater qu'elle n'est pas mineure et, en conséquence, d'ordonner la mainlevée de son placement à l'aide sociale à l'enfance et la clôture de la procédure d'assistance éducative alors, selon le moyen :

1°/ que A... X... contestait à l'appui de ses écritures, délaissées de ce chef, la régularité de l'expertise au regard du principe du contradictoire, et des articles 16 et 237 du code de procédure civile et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faisant valoir qu'elle n'avait jamais été mise en mesure de faire valoir ses observations, ni avant le dépôt du rapport d'expertise, ni d'ailleurs postérieurement, les examens auxquels l'expert avait procédés, n'étant pas joint à son rapport, qui seuls auraient permis d'en discuter utilement les conclusions ; que la cour d'appel qui n'a pas répondu à ce moyen, a, quel qu'en ait été le mérite, entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et l'a privé de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les conclusions des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si la personne concernée est mineure et le doute profite à l'intéressée ; qu'ayant constaté un doute sérieux sur le caractère vraisemblable de l'identité alléguée au regard des documents d'identité, pour ensuite retenir que la jeune fille était mineure sur la seule constatation que les conclusions de l'expert permettaient d'affirmer, au delà de tout doute raisonnable, qu'elle avait au moment de l'examen plus de 18 ans, la cour d'appel s'est déterminée en fonction des seules conclusions des examens radiologiques osseux pratiqués afin de déterminer l'âge de la requérante, et a méconnu l'article 388 du code civil ;

3°/ que dans la détermination de l'âge de celui qui se dit mineur, le doute doit profiter à l'intéressé ; que la cour d'appel qui constate que deux des examens pratiqués par l'expert n'excluent pas que l'intéressée ait moins de 18 ans, ne pouvait en conclure que A... X... n'était pas mineure, sans méconnaître l'article 388 du code civil ;

4°/ qu'à supposer que la cour d'appel ne se soit pas prononcée exclusivement au regard des conclusions du rapport d'expertise dans la mesure où elle aurait également fait état d'un doute sérieux au regard des documents d'identité présentés, la cour d'appel a retenu ce doute en défaveur de la personne concernée et a méconnu l'article 388 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 388 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, que des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, peuvent être réalisés sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé ; que les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur et que le doute lui profite ;

Attendu que la cour d'appel a relevé, en premier lieu, que les divers documents d'identité figurant au dossier contenaient, outre des erreurs, de nombreuses contradictions, certains des actes produits correspondant à l'identité d'une jeune majeure, née le [...] à Kinshasa et ayant sollicité un visa d'entrée en France en 2016 pour y poursuivre des études supérieures, les autres correspondant à l'identité d'une mineure ; qu'elle a ajouté que l'identité alléguée paraissait peu vraisemblable puisqu'il en résultait que la mère de A... X... serait née le [...] et lui aurait donc donné naissance à l'âge de 52 ans ; que de ces constatations et énonciations, elle a souverainement déduit que les documents produits n'étaient pas probants au sens de l'article 47 du code civil et que l'âge allégué n'était pas vraisemblable ;

Qu'elle a retenu, en deuxième lieu, que l'expertise était régulière dès lors que les conditions prévues à l'article 388 du code civil avaient été respectées, que A... X... disposait des conseils de son avocat, que l'expert précisait qu'elle parlait et comprenait parfaitement le français et qu'il avait donc été possible de lui expliquer la mission et de recueillir son consentement, dans le respect des règles de déontologie qui régissent l'exercice de sa profession, la loi n'imposant pas que le consentement prenne une forme écrite ;

Qu'elle a constaté, en troisième lieu, que l'expert désigné avait conclu qu'il était possible d'affirmer, au-delà de tout doute raisonnable, que la jeune femme avait plus de 18 ans au moment de l'examen, en novembre 2017, et que l'âge allégué, de 17 ans, n'était pas compatible avec les conclusions médico-légales ;

Que dès lors, c'est sans statuer au vu des seules conclusions de l'expertise ni méconnaître le principe selon lequel le doute sur la majorité ou la minorité, après l'examen radiologique, profite à l'intéressé, que la cour d'appel a, par une décision motivée, constaté que la jeune femme n'était pas mineure ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme A... X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que la jeune fille disant s'appeler A. X... n'est pas mineure et d'avoir en conséquence ordonné la mainlevée de son placement à l'aide sociale de l'enfance de Meurthe-et-Moselle et la clôture de la procédure d'assistance éducative ;

Aux motifs que l'évaluation initiale relevait une jeune fille qui pleurait beaucoup, qui était vêtue de manière inadaptée à la saison et avec très peu de rechange ; que son récit était jugé dans l'ensemble cohérent et crédible et, malgré sa corpulence, elle avait le comportement d'une jeune personne pendant l'entretien ; que, cependant, il ressort des éléments du dossier que de multiples pièces ont été produites par l'appelante – ou tout autre personne de son entourage – pour obtenir un visa initial d'entrée afin de poursuivre des études supérieures, à savoir un acte de naissance, des bulletins scolaires pour les années 2013, 2014 et 2015, des relevés de notes et attestation de réussite d'examen d'Etat en 2015, un acte de naissance établi en juin 2008 sur la base d'un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 8 mai 2008 et enfin un passeport comportant sa photo et une signature qui paraît bien être la sienne puisque très similaire à celle figurant sur la notification du jugement du juge des enfants effectuée le 5 avril 2017 ; qu'il est dès lors difficile d'estimer que les pièces produites pour attester d'une autre identité qui fait apparaître la jeune fille comme mineure mais qui sont strictement du même ordre soient plus authentiques que celles produites pour obtenir le visa d'entrée et passer les contrôles frontaliers, à savoir une carte d'élève, des relevés de notes de juillet 2015 pour l'année 2014/2015 et de février 2017 pour l'année 2015/2016 partiellement suivie seulement, une attestation d'études incomplètes du 25/04/16, une convocation à la police en mai 2016 ; que l'appelante produit également un jugement supplétif d'acte de naissance dont la requête aurait été présentée par le père de A... le 4 novembre 2016 pour être examinée le 7 novembre 2016 alors que d'après les déclarations de l'intéressée ses parents très pauvres, habitent un village très reculé et que sa famille à Kinshasa fait l'objet de persécutions policières et politiques ; qu'il ressort du jugement que le père aurait comparu et qu'il se dit domicilié [...] ; qu'il s'agit manifestement un acte obtenu après une fausse déclaration puisque l'adresse donnée correspond à celle des « voisins » qui aurait recueilli la mineure d'après son récit migratoire ; qu'une erreur sur la date de naissance figurant dans l'acte de naissance manuscrit établi le 25 novembre 2016 et générant une contradiction entre les pièces produites, un jugement rectificatif est obtenu et produit à l'audience devant la Cour : la rapidité déconcertante d'établissement des actes interroge puisque la requête en rectification est adressée le 11 mai 2017 et le jugement rectificatif rendu le 12 mai 2017 ; que ces pièces ont été complétées par un acte de naissance et une copie d'acte de naissance établis le 20 juin 2017 ; que le conseil de A. X... soutient que les éléments d'identité versés aux débats par sa cliente ne peuvent être écartés des débats et doivent faire foi en application de l'article 47 du code civil puisqu'ils n'ont pas été soumis à un examen aux fins de dépister une fraude documentaire ; que, néanmoins la Cour rappelle que l'article 47 du code civil – lu dans son intégralité – dispose notamment que l'acte de l'état civil fait foi sauf si des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; qu'en l'espèce, outre les réserves d'obtention ci-dessus relevées, un doute sérieux existe sur le caractère vraisemblable de l'identité alléguée puisqu'il y est déclaré que la mère de A. X... serait Malvina D... X... née le [...] qui aurait donc donné naissance à sa fille à l'âge de 52 ans ; que l'ensemble de ces considérations a conduit la Cour à ordonner avant dire droit une expertise médicale qui a été réalisée dans le strict respect des obligations fixées par l'article 388 du code civil et alors que la mineure disposait des conseils de son avocat ; que le rapport du Dr Z... en date du 9 novembre 2017 souligne tout d'abord en préambule que la mineure parle et comprend parfaitement le français et qu'il a donc été possible de lui expliquer la mission de l'expert et de recueillir son consentement ; que ce consentement a été recueilli par l'expert dans le respect des règles de déontologie qui régissent l'exercice de sa profession et le texte de la loi n'impose nullement, contrairement à ce qui a été soutenu par le conseil de A. X..., qu'il prenne une forme écrite ; que l'expertise doit donc être regardée comme régulière et retenue dans les débats ; que le Dr Z... expose que la radiographie du poignet et de la main gauche correspond suivant l'atlas de Greulich et Pyle à la planche de 18 ans sachant que la littérature indique qu'un individu dont les épiphyses du poignet et de la main sont entièrement fusionnées peut exceptionnellement mais possiblement avoir 16 ans ; que le Dr Z... indique ensuite que l'examen du panoramique dentaire correspond à un stade H selon Demirjian et que selon le protocole de Mincer, en se basant sur la 3e molaire de la mandibule la personne examinée a 92,2 % de chance d'avoir plus de 18 ans, l'âge minimum possible étant selon une étude sur les populations africaines de 17,3 ans ; qu'il examine enfin le scanner de la partie interne des clavicules : compte tenu du fait que les clavicules sont quasiment mais non totalement fusionnées, il s'agit d'un stade 3C de Kellinghaus qui correspond à un âge moyen de 22,5 ans=/- 1,8 an soit un minimum possible de 19,5 ans et un maximum de 26,2 ans ; que, en conclusion, l'expert estime qu'il est possible d'affirmer, au-delà de tout doute raisonnable, que la jeune femme examinée en novembre 2017 avait au moment de l'examen plus de 18 ans et que l'âge allégué de 17 ans n'était pas compatible avec les conclusions médico-légales ; que la Cour estime en conséquence que la jeune fille disant s'appeler A. X... née le [...] à Kinshasa (République Démocratique du Congo) et entrée sur le territoire français sous l'identité de A... E... née le [...] à Kinshasa (République Démocratique du Congo) n'est pas mineure ;

Alors, de première part, que mademoiselle A... X... contestait à l'appui de ses écritures, délaissées de ce chef, la régularité de l'expertise au regard du principe du contradictoire, et des articles 16 et 237 du code de procédure civile et de l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faisant valoir qu'elle n'avait jamais été mise en mesure de faire valoir ses observations, ni avant le dépôt du rapport d'expertise, ni d'ailleurs postérieurement, les examens auxquels l'expert avait procédés, n'étant pas joint à son rapport, qui seuls auraient permis d'en discuter utilement les conclusions ; que la cour d'appel qui n'a pas répondu à ce moyen, a, quel qu'en ait été le mérite, entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et l'a privé de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors, de deuxième part, que les conclusions des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si la personne concernée est mineure et le doute profite à l'intéressée ; qu'ayant constaté un doute sérieux sur le caractère vraisemblable de l'identité alléguée au regard des documents d'identité, pour ensuite retenir que la jeune fille était mineure sur la seule constatation que les conclusions de l'expert permettaient d'affirmer, au-delà de tout doute raisonnable, qu'elle avait au moment de l'examen plus de 18 ans, la cour d'appel s'est déterminée en fonction des seules conclusions des examens radiologiques osseux pratiqués afin de déterminer l'âge de la requérante, et a méconnu l'article 388 du code civil

Alors, de troisième part que dans la détermination de l'âge de celui qui se dit mineur, le doute doit profiter à l'intéressé ; que la cour d'appel qui constate que deux des examens pratiqués par l'expert n'excluent pas que l'intéressée ait moins de 18 ans, ne pouvait en conclure que mademoiselle A... X... n'était pas mineure, sans méconnaître l'article 388 du code civil ;

Alors de troisième part qu'à supposer que la cour ne se soit pas prononcée exclusivement au regard des conclusions du rapport d'expertise dans la mesure où elle aurait également fait état d'un doute sérieux au regard des documents d'identité présentés, la cour d'appel a retenu ce doute en défaveur de la personne concernée et a méconnu l'article 388 du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.