29 septembre 2020
Cour d'appel de Lyon
RG n° 18/05754

1ère chambre civile B

Texte de la décision

N° RG 18/05754 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L3WU









Décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 05 avril 2018



RG : 15/01580

ch n°1 cab 01 A









SA LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL



C/



[O]

[H]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 29 Septembre 2020







APPELANTE :



La Société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée par la SELARL SEIGLE BARRIE ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, toque : 855

Assistée de Me Christian BEER, avocat au barreau de PARIS, toque : E107









INTIMÉS :



M. [G] [O]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représenté par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938

Assisté de Me Elise MIALHE, avocat au barreau de PARIS





Mme [Y] [H] épouse [O]

née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocats au barreau de LYON, toque : 938

Assistée de Me Elise MIALHE, avocat au barreau de PARIS







******





Date de clôture de l'instruction : 21 Novembre 2019



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 31 Août 2020



Date de mise à disposition : 29 Septembre 2020



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Agnès CHAUVE, président

- Florence PAPIN, conseiller

- Laurence VALETTE, conseiller



assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier



A l'audience, Agnès CHAUVE a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Agnès CHAUVE, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE



La société ALTI IMMO a fait construire à [Localité 7] un immeuble à vocation de résidence de tourisme à destination locative dénommé Le Belvédère, après l'avoir vendu en l'état futur d'achèvement, par lots, sous le régime de la copropriété, dans le cadre d'un dispositif légal de défiscalisation.



Le 20 septembre 2006, M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] ont conclu avec la société ALTI IMMO, par l'intermédiaire de la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL un contrat de réservation portant sur un appartement type T3 et une place de parking dans la résidence Le Belvédère.



Par acte du 7 juillet 2007, ils ont conclu avec la société SODEREV TOUR RÉSIDENCES, futur exploitant de la résidence de tourisme, un bail commercial portant sur le logement meublé pour une durée de 9 ans prenant effet à la date de mise à disposition effective du bien immobilier moyennant un loyer annuel de 6 972 € HT payable trimestriellement.



Afin de financer cette acquisition immobilière, les époux [O] ont souscrit un prêt de 177 000 € auprès de la BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS.



La vente en l'état futur d'achèvement a été régularisée par acte authentique du 7 août 2007 moyennant un prix de 171 000 € HT soit 204 516 € TTC.



La société SODEREV TOUR RÉSIDENCES a été placée sous sauvegarde le 28 septembre 2012.



Le loyer du 3ème trimestre 2012 n'a pas été payé. Les époux [O] ont déclaré leur créance entre les mains du mandataire judiciaire.



Celui-ci a proposé à l'ensemble des investisseurs la signature d'un avenant au contrat de bail comportant un loyer commercial minoré ainsi qu'un dédommagement au titre du loyer du 3ème trimestre 2012 à hauteur de 25%.



Suivant avenant au bail du 16 mai 2013 à effet du 1er avril 2013, il a été convenu d'un loyer annuel de 4 052 € HT.



Invoquant ses pratiques commerciales trompeuses, M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] ont, par acte d'huissier du 6 janvier 2015, fait assigner la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL devant le tribunal de grande instance de LYON à l'effet d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice.



Par jugement du 5 avril 2018, le tribunal a :



- déclaré l'action recevable,



- condamné la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à payer à M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] la somme de 10 742,04 € en réparation de leur préjudice financier et la somme de 2 500 € en réparation de leur préjudice moral,

- débouté M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] du surplus de leurs demandes,



- condamné la SA LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à payer à M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.



La société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL a interjeté appel.




Au terme de conclusions notifiées le 29 avril 2019, elle demande à la cour de :



- réformer le jugement et 'constater' que l'action des intimés est prescrite depuis le 18 juin 2013,



- en tout état de cause, débouter M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,



- condamner M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] à lui verser la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec faculté de distraction au profit du CABINET SEIGLE BARRIE ET ASSOCIÉS.



Elle fait valoir :



- que le délai de prescription, s'agissant d'un manquement au devoir de mise en garde, a commencé à courir à compter du jour de la signature de l'acte authentique de vente de sorte que la prescription était acquise à la date de l'introduction de l'instance,



- que M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] n'ont pas contesté le rejet de leur déclaration de créance à la procédure collective de la société SODEREV TOUR,



- que M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] ne rapportent pas la preuve qu'ils n'auraient pas effectué l'acquisition s'ils avaient été informés du risque de déconfiture de l'exploitant,



- que les acquéreurs ont bénéficié d'avantages fiscaux, raison principale de ce type d'investissement, à savoir la récupération de la TVA et les déductions fiscales sur leurs revenus,



- que la conclusion d'un bail n'est qu'une des conditions permettant l'accès aux avantages fiscaux,



- que n'étant pas le vendeur, elle ne s'est pas engagée sur le montant du loyer, que les informations qu'elle a délivrées ont été intégralement fournies par le promoteur,



- que l'avenant à effet du 1er avril 2013 a garanti un loyer aux investisseurs et leur a permis de bénéficier des avantages fiscaux,



- que les conditions de la pratique commerciale trompeuse ne sont pas réunies, que la seule production de plaquettes publicitaires sans valeur contractuelle ne suffit pas à démontrer un manquement au devoir d'information et de conseil, qu'aucune information fausse ou mensongère n'a été délivrée aux acquéreurs, que le comportement économique du consommateur n'a pas été altéré, M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] ne rapportant pas la preuve que leur consentement ait été vicié ou contraint,



- que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information n'est qu'une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, qu'en l'espèce, M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] ne rapportent pas la preuve de la perte de chance dont ils se prévalent, ni d'un préjudice moral.



Au terme de conclusions notifiées le 30 juillet 2019, M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] demandent à la cour de :



- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leur demande d'indemnisation pour la période allant du 1er avril 2016 à la fin du bail commercial (31 décembre 2017) et en ce qu'il a limité l'indemnisation de leur préjudice moral à la somme de 2 500 €,



- confirmer le jugement pour le surplus,



- condamner en outre la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à leur payer :

' 'tous les trimestres' (sic) la somme HT représentant la différence entre le montant du bail initial et celui de l'avenant tenant compte des indices de révision sur la période allant du 1er avril 2016 à la fin du bail commercial (31 décembre 2017) soit la somme de 5 340 €,

' la somme de 5.000 € chacun en réparation de leur préjudice moral,



- débouter la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL de l'intégralité de ses demandes,



- condamner la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à leur payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec faculté de distraction au profit de Me LAFFLY.



Ils font valoir :



- que la prescription n'a commencé à courir qu'à compter de la réalisation du dommage soit fin septembre 2012 de sorte qu'aucune prescription n'est acquise à l'appelante,



- que la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL a omis de les informer sur les risques de l'opération, qu'elle leur a présenté les loyers comme garantis, qu'il s'agissait pour eux d'une caractéristique essentielle du produit acquis, qu'ils ont été induits en erreur par les termes des documents publicitaires, que dûment informés, ils auraient refusé de souscrire à une telle acquisition,



- que le fait que la société LPC ne soit pas partie au contrat de vente n'est pas de nature à l'exonérer de son obligation d'information et de conseil, s'agissant d'une professionnelle spécialisée dans l'investissement en immobilier locatif, qu'elle appartient en outre au groupe LAGRANGE GESTION dont le métier est commercialisateur et gestionnaire de résidences de tourismes, qu'elle a été leur unique interlocuteur,



- qu'ils ne disposaient pas d'autre choix que d'accepter de signer l'avenant au bail commercial compte tenu des dispositions du dispositif fiscal Demessine et du risque de perte des avantages fiscaux y attachés,



- que les mentions des plaquettes publicitaires affirmant la sécurité de l'investissement et la garantie des loyers ainsi que l'absence d'information sur les risques encourus en cas de déconfiture du preneur ont été de nature à les convaincre de l'absence de tout risque et caractérisent des pratiques trompeuses au sens de l'article 7 de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005,



- que le montant des loyers étant 'l'une des composantes majeures de la cause essentielle et déterminante de la souscription du produit', leur préjudice n'est pas constitué d'une simple perte de chance mais du manque à gagner sur le montant garanti,



- que la déconfiture de la société SODEREV leur a occasionné un préjudice moral, les mettant en difficulté pour rembourser l'emprunt et les empêchant de réaliser d'autres projets personnels.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'étendue de la saisine



En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées dans le dispositif.



Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou 'dire et juger' et la cour n'a pas à y répondre.



Sur la recevabilité



Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.



S'agissant de l'action fondée sur l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, elle a pour point de départ la date de la manifestation du dommage.



C'est par une exacte analyse et de justes et pertinents motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a rejeté la fin de non recevoir de prescription.



Sur la responsabilité de la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL



En sa qualité d'agent immobilier ayant assuré la commercialisation de l'appartement acquis par les époux [O] dans le cadre d'un dispositif légal de défiscalisation, la société LAGRANGE PATRIMOINE IMMOBILIER était tenue d'informer les investisseurs sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, du placement qu'elle leur proposait ainsi que sur les risques qui lui étaient associés et qui pouvaient être le corollaire des avantages annoncés.



En l'espèce, la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL ne justifie pas avoir fourni aux investisseurs d'autres informations que celles qui ressortaient d'une plaquette publicitaire de la résidence 'Le Belvédère' vantant la sécurisation du placement par la qualité des professionnels intervenant à l'opération et par la perception de loyers garantis par un bail commercial de longue durée consenti à une société présentant des gages de sérieux de sorte qu'elle ne démontre pas avoir informé les époux [O] des risques de l'opération projetée en particulier du risque de non-perception des loyers auxquels ils se trouveraient exposés en cas de déconfiture du preneur à bail commercial.



C'est par conséquent à bon droit que le premier juge a retenu que la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL avait manqué à son obligation d'information et de conseil.



Sur le préjudice



C'est par une exacte analyse et de justes et pertinents motifs que le premier juge a retenu que le préjudice des époux [O] ne pouvait se résoudre en une perte de chance dès lors que la sécurité de l'opération avait été déterminante de leur consentement et que, s'ils avaient été informés des aléas, ils auraient refusé de souscrire à l'investissement.



Les époux [O] sont dès lors fondés à obtenir la réparation intégrale de leur préjudice.



Le premier juge a justement retenu que les époux [O] n'avaient pas la possibilité de refuser la baisse de loyers sauf à perdre les avantages fiscaux attachés à l'opération et que leur préjudice correspondait au montant de la perte de loyers subie.



Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux époux [O] une indemnité de 10 742,04 € au titre de la perte de loyers subie du 1er juillet 2012 au 31 mars 2016 et du coût de renégociation du prêt.



S'agissant de la perte subie pour la période du 1er avril 2016 au 31 décembre 2017, les époux [O] justifient que la perte de loyers s'est établie à 5 340 € de sorte qu'il convient également de faire droit à cette demande.



Le premier juge a fait une juste appréciation de l'indemnité réparant le préjudice moral de sorte que le jugement est confirmé sur ce point.





PAR CES MOTIFS



LA COUR,



Réforme le jugement en ce qu'il a débouté les époux [O] de leur demande au titre de la perte de loyers postérieure au 31 mars 2016 ;



Statuant à nouveau,



Condamne la SA LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à payer à M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] la somme de 5 340 € en réparation de leur préjudice financier pour la période d'avril 2016 à décembre 2017 ;



Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;



Condamne la société LAGRANGE PATRIMOINE CONSEIL à payer à M. [G] [O] et Mme [Y] [H] épouse [O] la somme de 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



La condamne aux dépens ;



Autorise Me LAFFLY à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.







LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

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