29 septembre 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/17662

Pôle 1 - Chambre 1

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2020



(n° , 4 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/17662 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAVER



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/10132



APPELANT



LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de PARIS



[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par Mme Laure de CHOISEUL PRASLIN, avocat général, qui a conclu le 9 décembre 2019





INTIMEE



Mme [N] [L] épouse [Z] née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] (République socialiste soviétique d'Arménie)



[Adresse 2]

[Localité 1] / RUSSIE



représentée par Me Bertrand LAMPIDES de l'AARPI LAMPIDES & POTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0164





COMPOSITION DE LA COUR :



En application :



- de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19;

- de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

- de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;



   L'affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 23 juin 2020, le ministère public et l'avocat de l'intimée y ayant consenti expressément ou ne s'y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure;









La cour composée comme suit en a délibéré :



Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre

M. Jean LECAROZ, conseiller

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère





ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.







ARRÊT :



Vu le jugement rendu le 4 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris qui a rejeté le moyen constitué de la désuétude, jugé que Mme [N] [L], née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] (République socialiste soviétique d'Arménie) est française, débouté celle-ci de sa demande de délivrance de certificat de nationalité française sous astreinte, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens ;





Vu la déclaration d'appel en date du 12 octobre 2019 et les conclusions notifiées le 9 décembre 2019 par le ministère public qui demande à la cour de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, d'infirmer le jugement de première instance, de dire que Mme [N] [L] a perdu la nationalité française le 1er janvier 1987, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et de statuer sur les dépens ;



Vu les conclusions notifiées le 2 mars 2020 par Mme [N] [L] qui demande à la cour de confirmer dans son intégralité le jugement attaqué du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 septembre 2019, en conséquence, de dire qu'elle est française, étant née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] (République Socialiste Soviétique d'Arménie), de débouter le ministère public de l'ensemble de ses demandes, de condamner l'État à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens ;




SUR CE,



Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile par la production du récépissé du ministère de la Justice en date du 4 décembre 2019.



En application de l'article 30 du code civil, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité français



N'étant pas personnellement titulaire d'un certificat de nationalité française, il appartient à Mme [N] [L] de rapporter la preuve qu'elle réunit les conditions requises par la loi pour l'établissement de sa nationalité française.

Mme [N] [L], née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] (République Socialiste Soviétique d'Arménie), fait valoir qu'elle est française par filiation maternelle, sa mère, [K] [T], née le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 5], ayant acquis la nationalité française en raison de l'effet collectif attaché à la déclaration souscrite le 10 mai 1935 par son propre père, [F] [T] devant le juge de paix de Saint-Etienne.



Le ministère public lui oppose les dispositions de l'article 30-3 du code civil, aux termes desquelles : « Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera plus admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français ».



Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code civil en déterminant la date à laquelle la nationalité française a été perdue.



Le délai d'un demi-siècle de résidence à l'étranger s'apprécie au jour de l'introduction de l'action déclaratoire de nationalité française.



La présomption irréfragable de perte de la nationalité française par désuétude édictée par l'article 30-3 du code civil suppose que les conditions prévues par le texte précité soient réunies de manière cumulative.

L'application de l'article 30-3 du code civil est en conséquence, subordonnée à la réunion des conditions suivantes : l'absence de résidence en France pendant plus de 50 ans du parent français, l'absence de possession d'état non seulement de l'enfant lui-même mais également de son parent français, le demandeur devant en outre résider ou avoir résidé habituellement à l'étranger.



La résidence habituelle à l'étranger s'entend d'une résidence hors du territoire national.



L'article 30-3 du code civil interdit, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude. Edictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir.



La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a dit en conséquence, dans son arrêt rendu le 13 juin 2019 (pourvoi n°18-16.838, publié), que « la solution retenue par l'arrêt du 28 février 2018 (1ère Civ., pourvoi n° 17-14.239) doit, donc, être abandonnée ».



Il n'est pas contesté que l'intéressée n'a jamais résidé en France et qu'elle ne présente aucun élément de la possession d'état de Française. Il n'est également pas contesté que sa mère, [K] [T], née le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 5], a quitté la France à l'âge de 1 an en 1936 avec l'ensemble de sa famille pour être « rapatriées en Arménie », tel qu'en atteste le certificat de l'administration territoriale des archives nationales d'Arménie produit devant la cour. De même, il est constant que [K] [T] n'est jamais revenue vivre en France depuis cette date et est décédée en 1990 sur le territoire de la République Socialiste d'Arménie.



S'il résulte du jugement du tribunal de grande instance de Nancy du 19 janvier 2017 et de l'acte de naissance de [K] [T] que la famille [T], originaire d'[Localité 3], a fui l'Arménie pour se réfugier en France en 1915, lors du génocide perpétré contre les Arméniens de l'Empire ottoman d'avril 1915 à juillet 1916, [Localité 3] étant alors un centre de déportation et d'extermination, la preuve n'est pas rapportée que la famille [T] est repartie contre son gré lors de l'intégration du territoire de l'Arménie à la République socialiste soviétique d'Arménie. Partant, la privation de liberté de circulation invoquée par Mme [N] [L] pour pallier l'absence de résidence habituelle en France de [K] [T] ne permet pas de faire exception aux dispositions de l'article 30-3 du code civil, ce malgré l'échec de ses démarches administratives auprès de l'ambassade de France à Moscou pour être autorisée à séjourner en France.



Les conditions posées par les dispositions de l'article 30-3 du code civil étant réunies, il convient de constater la perte de la nationalité française de l'intimée dans les termes de l'article 23-6 du code civil.



[K] [T] a quitté le territoire de la République française en 1936, tel qu'il résulte de l'attestation d'archive apostillée concernant les 8 enfants [T] « rapatriés » de France vers l'Arménie produite par l'intimée. Comme le relève le ministère public, il convient de fixer ce départ au plus tard à la date du 31 décembre 1936, de sorte que Mme [N] [L] est réputée avoir perdu la nationalité française le 1er janvier 1987.



Le jugement est infirmé.



Mme [N] [L] qui succombe à l'instance est condamnée aux dépens. L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS,



Constate l'accomplissement des formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile,



Infirme le jugement,



Statuant à nouveau,



Dit que Mme [N] [L], née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] (République socialiste soviétique d'Arménie), est réputée avoir perdu la nationalité française le 1er janvier 1987,



Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,



Condamne Mme [N] [L] aux dépens,



Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.





LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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