16 janvier 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-22.557

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00048

Texte de la décision

SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 janvier 2019




Cassation partielle


M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 48 F-D

Pourvoi n° V 17-22.557









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Essi Turquoise, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

contre l'arrêt rendu le 28 mars 2017 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. Mahamadou Y..., domicilié [...] ,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 4 décembre 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, M. Maron, conseiller, Mme Jouanneau, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Essi Turquoise, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé par la société Essi Turquoise le 1er janvier 2014, M. Y... a été convoqué le 30 janvier 2014 à un entretien préalable qui s'est tenu le 11 février 2014 pour des faits des 4 et 13 janvier 2014, puis de nouveau convoqué le 11 février 2014 à un second entretien préalable fixé le 25 février 2014 pour des faits des 7 et 10 février 2014 ; qu'il a fait l'objet d'un avertissement prononcé le 17 février 2014 dans le cadre de la première procédure et d'un licenciement pour faute grave le 7 mars 2014 dans le cadre de la seconde procédure ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour avertissement infondé et préjudice moral, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement et de maintien du salaire sur la période de mise à pied conservatoire du 25 février au 7 mars 2014 avec congés payés et prime d'expérience afférents, alors, selon le moyen, que dans ses conclusions d'appel, la société Essi turquoise faisait valoir que les différentes fautes qui lui étaient reprochées avaient fait l'objet de deux procédures distinctes, que l'avertissement n'avait sanctionné que les faits dont elle avait connaissance à la date de la convocation pour l'entretien préalable, soit le 30 janvier 2014, afin qu'il ne puisse lui reprocher de ne pas l'avoir convoqué pour les faits survenus ultérieurement ; qu'en jugeant le licenciement de M. Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans répondre à ce moyen qui invoquait l'existence de deux procédures distinctes, la cour d'appel a méconnu les exigences posées à l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction ; que la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions dont elle était saisie et retenu que l'employeur avait connaissance de l'ensemble des faits reprochés au salarié dès le 11 février, date de l'entretien préalable, et avant la notification de l'avertissement du 17 février 2014, a pu en déduire qu'il avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus prononcer un licenciement le 7 mars 2014 pour sanctionner tout ou partie de ces faits ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments produits aux débats ;

Attendu que pour annuler l'avertissement du 17 février 2014 et condamner la société à payer au salarié des dommages-intérêts pour avertissement infondé et préjudice moral, l'arrêt retient qu'aucun élément n'établissait le retard allégué alors qu'il n'est pas contesté qu'un système de pointage est en service ;

Qu'en statuant ainsi, alors que pour démontrer le retard invoqué au soutien de l'avertissement délivré le 17 février 2014, l'employeur produisait la fiche de pointage du mois de janvier 2014, de laquelle il résultait que le salarié avait travaillé cinq heures, au lieu de six, le 13 janvier 2014, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule l'avertissement délivré le 17 février 2014, l'arrêt rendu le 28 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Essi Turquoise

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir annulé l'avertissement délivré le 17 février 2014 et condamné la société Essi Turquoise à payer à M. Y... la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour avertissement infondé et préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prises par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; cette sanction disciplinaire est soumise aux dispositions de l'article L. 1331-1 et suivants du code du travail ; il est imputé à faute à M. Mahamadou Y..., aux termes de cette sanction disciplinaire, un refus de ramasser des poubelles, un retard le 13 janvier 2014, d'avoir laissé ouverte une porte et de ne pas avoir vidé la poubelle d'un bureau ; force est de constater qu'aucun élément n'établit le refus de ramasser les poubelles, aucun élément probant n'établit le retard allégué alors qu'il n'est pas contesté qu'un système de pointage est en service ; il n'entre pas dans les attributions du salarié de s'assurer de la fermeture des portes ; enfin, il n'est pas établi le bureau dans lequel M. Mahamadou Y... se serait abstenu de vider une poubelle ; en conséquence, aucun des griefs ayant présidé à la délivrance de l'avertissement n'étant établi, la cour considère qu'il y a lieu d'annuler l'avertissement délivré le 17 février 2014 et d'indemniser M. Mahamadou Y... du préjudice subi à hauteur de 2 000 € » ;

ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; que pour démontrer le retard de M. Y... invoqué au soutien de son avertissement délivré le 17 février 2014, la société Essi turquoise produisait la fiche de pointage du mois de janvier 2014, de laquelle il résultait que le salarié avait travaillé 5 heures, au lieu de 6, le 13 janvier 2014 (production n° 6) ; qu'en énonçant, pour annuler l'avertissement litigieux, qu'aucun élément n'établissait « le retard allégué alors qu'il n'est pas contesté qu'un système de pointage est en service » (arrêt attaqué, p. 3) sans examiner la fiche de pointage produite, la cour d'appel a dénaturé par omission ce document en violation du principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments produits aux débats.



SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné la société Essi Turquoise à payer à M. Y... les sommes de 9 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 983 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 298 € à titre de congés payés sur préavis, 1 451 € à titre d'indemnité de licenciement, 1 215 € à titre de maintien de salaire sur la période de mise à pied conservatoire, 121 € de congés payés afférents et 24 € à titre de prime d'expérience afférente ainsi que la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'avoir ordonné le remboursement par la société Essi turquoise à l'organisme social des indemnités chômage payées à M. Y... ;

AUX MOTIFS QUE « l'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction ; ainsi, le pouvoir disciplinaire de l'employeur est épuisé par l'effet d'une sanction antérieure lorsqu'il est établi que l'employeur avait eu connaissance au moment de cette sanction antérieure de faits commis au moment où cette sanction était notifiée ; en l'espèce, les griefs ayant fondé le licenciement et relatifs à des faits survenus les 7 et 10 février 2014 sont tous antérieurs à l'avertissement délivré le 17 février 2014 et dont il n'est pas rapporté la preuve par la SA Essi turquoise qu'elle en ignorait l'existence lors de la délivrance de l'avertissement ; en effet, il ressort de la déclaration de main courante effectuée le 11 février 2014 à 13 heures 20 par Mme A..., responsable du site Senat que : «
Je gère trente employés. Hier, il y a eu un différend entre deux employés, M. Y... Mamadou et Mme B... Aïcha (
) Ce dernier (M. Y... Mamadou) a tenu les propos suivants : salope et il m'a menacé de mort en me disant, je vais vous tuer salope. Je ne souhaite pas déposer plainte à son encontre pour les faits. Toutefois, j'ai informé également ma société des faits et ma hiérarchie m'a demandé de me présenter en vos services aux fins de faire établir une main courante
» ; ainsi les faits des 7 et 10 février 2014 qui ont justifié le licenciement étaient donc connus de la société Essi turquoise, depuis le 11 février 2014 lorsqu'elle a notifié le 17 février 2014 un avertissement à M. Y... ; dès lors le licenciement du 7 mars 2014 est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré devra être infirmé en toutes ses dispositions » ;

ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Essi turquoise faisait valoir que les différentes fautes qui lui étaient reprochées avaient fait l'objet de deux procédures distinctes, que l'avertissement n'avait sanctionné que les faits dont elle avait connaissance à la date de la convocation pour l'entretien préalable, soit le 30 janvier 2014, afin qu'il ne puisse lui reprocher de ne pas l'avoir convoqué pour les faits survenus ultérieurement (conclusions d'appel, p. 5 in fine et 6) ; qu'en jugeant le licenciement de M. Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans répondre à ce moyen qui invoquait l'existence de deux procédures distinctes, la cour d'appel a méconnu les exigences posées à l'article 455 du code de procédure civile.

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