20 octobre 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/08788

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08788 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5TLN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Février 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/04380





APPELANTS



Madame [R] [D]

Née le [Date naissance 4] 1935 à [Localité 10] - ETATS UNIS

[Adresse 8]

[Localité 2] ETATS UNIS



ET



Monsieur [Y] [I]

Né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 14] - ETATS UNIS

[Adresse 9]

[Localité 14] - ETATS UNIS



ET



Monsieur [J] [A] [I]

Né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 14] - ETATS UNIS

[Adresse 11]

[Localité 14] ETATS UNIS



Représentés par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Ayant pour avocat plaidant Me Claire JOLIBOIS de l'AARPI Ader Jolibois, avocat au barreau de PARIS, toque : T11





INTIMÉS



Monsieur [N] [W]

[Adresse 5]

[Localité 7]



Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric DUMONT du Cabinet Deprez Guignot & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque: P221



Madame [O] [C]

[Adresse 6]

[Localité 7]



Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Ayant pour avocat plaidant Me Anne-Sophie NARDON, avocat au barreau de PARIS, toque : TA860





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère



qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND





ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.






* * *



Le 12 mai 2005, Mme [R] [D] et Mme [H] [T], héritières du sculpteur [J] [T] décédé en 1976, ont assigné M. [N] [W] et Mme [O] [C], héritiers du galériste et marchand d'art [P] [W] décédé en 1981, en revendication de 14 'uvres.



Par arrêt du 26 novembre 2010, la cour d'appel de Paris a débouté les ayants droit d'[J] [T] de leur demande pour quatre oeuvres, constaté la précarité de la possession des ayants droit d'[P] [W] sur sept 'uvres dont un mobile suspendu intitulé "un verre et deux cuillères", condamné les ayants droit d'[P] [W] à les restituer et sursis à statuer sur la demande d'indemnisation de trois autres mobiles dans l'attente de la production des documents relatifs à leur vente.



Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation selon arrêt du 22 mars 2012.



Le 15 avril 2011, la restitution des 'uvres, dont le mobile « un verre et deux cuillères » créé en 1934, est intervenue en présence des conseils des parties, de M. [V], expert mandaté par les héritiers [T] et de Me [K] [M], huissier de justice.



Selon rapport daté du 15 avril 2011, M. [V] a réparti les dommages présentés par le mobile de petite dimension ( 95 sur 65 cm) en quatre catégories :

* dommages modérés : la cordelette et son crochet, faïence blanche,

* dommages moins modérés : la totalité des ficelles coupées ou dont les fibres sont défaites et altérées, verre bleu,

* dommages irréparables : faïence blanche, verre violet et verre rouge,

* perdu/disparu : faïence blanche.



Par arrêt du 14 janvier 2015, la cour d'appel de Paris a déclaré prescrite l'action en indemnisation pourtant sur l'une des oeuvres et indemnisé les ayants droit d'[B] [T] au titre des deux autres mobiles vendus.



Le 4 mars 2016, Mme [R] [D] ainsi que M. [Y] [I] et M. [J] [A] [I] venant aux droits de leur mère Mme [H] [T] ont assigné les ayants droit d'[P] [W] en indemnisation des préjudices résultant de la détérioration du mobile intitulé "un verre et deux cuillères", soutenant qu'[P] [W] en avait la garde en vertu d'un contrat de dépôt.



Par jugement du 1er février 2018, le tribunal de grande instance de Paris a sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- rejeté les fins de non-recevoir soulevées en défense,

- débouté Mme [D] et MM. [I] de leur demande en réparation d'un manquement aux obligations d'un contrat de dépôt,

- condamné in solidum Mme [D] et MM. [I] à payer à M. [W] et Mme [C] la somme de 10 000 € chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Mme [D] et MM. [I] aux entiers dépens.



Les ayants droit d'[J] [T] ont interjeté appel de la décision.



Dans leurs dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2020, Mme [D] et MM. [I] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les fins de non-recevoir que les ayants droit de [W] ont opposées,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de mise hors de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles pour procédure abusive,

- constater qu'il résulte des précédentes décisions de justice intervenues dans cette affaire, que les 'uvres, en ce inclus le mobile « un verre et deux cuillères » ont été remises soit dans le cadre d'un dépôt, certaines aux fins d'être proposées à la vente, soit dans le cadre d'un prêt, raison pour laquelle la détention des héritiers d'[P] [W] a été jugée précaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [D] et MM. [I] de leur demande tendant à voir dire et juger la responsabilité des ayants droit d'[Z] [W] engagée pour leur avoir restitué le mobile dans un état endommagé,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [D] et MM. [I] de leur demande en réparation de violation des obligations d'un contrat de dépôt,

statuant à nouveau,

- juger que la responsabilité des ayants droit d'[P] [W] est engagée pour leur avoir restitué le 15 avril 2011, le mobile dans un état endommagé,

- à titre subsidiaire, et pour le cas où la cour estimerait que l''uvre litigieuse a fait l'objet d'un prêt, de juger que la responsabilité des ayants droit d'[P] [W] est engagée pour avoir restitué le mobile dans un état endommagé,

- condamner en conséquence les ayants droit d'[P] [W] à leur payer solidairement et à titre de dommages et intérêts :

- la somme de 11 000 000 € au titre de l'indemnisation du préjudice matériel résultant de la détérioration de l''uvre,

- la somme de 2 000 000 € au titre de la réparation du préjudice moral résultant de la détérioration de cette 'uvre,

- juger que ces sommes porteront intérêts à compter du jour de la restitution,

- débouter les ayants droit d'[P] [W] de toutes leurs demandes,

- infirmer le jugement quant aux condamnations prononcées in solidum à leur encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- condamner solidairement les ayants droit d'[P] [W] à leur payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Nadia Bouzidi Fabre, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 juillet 2020, M. [N] [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir qu'il a soulevées ainsi que sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les ayants droit d'[J] [T] de leurs demandes en réparation de violation des obligations d'un contrat de dépôt,

en conséquence,

- juger l'action des ayants droit d'[J] [T] prescrite,

- juger les ayants droit d'[J] [T] irrecevables en leur action à raison de l'autorité de la chose jugée des arrêts de la cour d'appel de Paris des 26 novembre 2010 et 14 janvier 2015,

- juger les ayants droit d'[J] [T] irrecevables a soutenir le contraire de ce qu'ils soutenaient en première instance sur un prétendu contrat de prêt,

à titre subsidiaire,

- juger que les ayants droit d'[J] [T] n'établissent pas l'existence d'un contrat de dépôt-vente, et à titre subsidiaire d'un contrat de prêt, conclu entre [J] [T] et [P] [W] et en conséquence entre les ayants droit d'[J] [T] et les ayants droit d'[P] [W],

- débouter les ayants droit d'[J] [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

en toute hypothèse,

- les condamner au paiement de la somme de 50 000 € au titre de la procédure abusive,

- les condamner au paiement de la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles.



Dans ses dernières écritures signifiées le 23 juillet 2020, Mme [O] [C] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées de l'autorité de la chose jugée, de la prescription et du non-cumul des responsabilités, rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et omis de statuer sur sa demande de mise hors de cause,

- déclarer les ayants droit d'[J] [T] irrecevables en leur action à raison de la prescription,

- déclarer les ayants droit d'[J] [T] irrecevables en leur action à raison de l'autorité de la chose jugée,

- déclarer les ayants droit d'[J] [T] irrecevables en leurs demandes pour violation du principe de non-cumul des responsabilités,

- prononcer sa mise hors de cause, l''uvre litigieuse ne faisant pas partie de son lot successoral,

- condamner solidairement les ayants droit d'[J] [T] à lui verser une somme de 50 000 € pour abus du droit d'agir,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

- débouter les ayants droit d'[J] [T] de leurs entières demandes, fins et conclusions,

- subsidiairement, les déclarer défaillants à établir leur préjudice,

- débouter les ayants droit d'[J] [T] de leurs demandes de dommages et intérêts,

- à titre infiniment subsidiaire, fixer à 7 620 € le montant des dommages et intérêts dus par les ayants droit d'[P] [W] en réparation des préjudices prétendument subis par les ayants droit d'[J] [T],

- en tout état de cause, condamner in solidum les ayants droit d'[J] [T] à lui verser chacun une somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 septembre 2020.






SUR CE, LA COUR



Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action



Le tribunal a déclaré l'action non prescrite au motif que le point de départ de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil a couru à compter du 15 avril 2011, jour où les ayants droit d'[J] [T] ont eu connaissance de la détérioration du mobile et que les dispositions de l'article 2232 du code civil n'avaient pas vocation à s'appliquer.



M. [N] [W] soutient que :

- le point de départ d'une action en réparation du préjudice est la date du fait dommageable et si ce point de départ peut être reporté à la date à laquelle le titulaire du droit en a eu connaissance, le délai de prescription ne peut être porté au-delà d'un délai butoir de 20 ans à compter du fait dommageable tel que prévu par l'article 2232 du code civil, ce que le tribunal a omis de prendre en compte,

- le fait générateur de la détérioration du mobile et sa date exacte sont inconnus mais se situent entre les années 1940 et 1984 ; l''uvre est dans l'état dans lequel elle se trouvait au jour de sa remise aux ayants droit d'[J] [T] puisque les consorts [W] n'ont pas déballé l''uvre après son retour de Zurich en 1984 ; le fait générateur constitué de la détérioration du mobile est intervenu au plus tard en 1984 de sorte que l'action intentée en 2016 est prescrite,

- même en retenant le délai en vigueur avant la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription, l'action aurait dû être engagée au plus tard le 19 juin 2013.



Mme [C] ajoute que :

- les ayants droit d'[J] [T] ont eu connaissance de l'état de l''uvre dès 1995 et au plus tard en 1997 à l'occasion de la préparation et rédaction de leur catalogue raisonné; l''uvre n'a pas été dissimulée puisqu'elle s'est vu attribuer un numéro au catalogue raisonné,

- le délai butoir de 20 ans a commencé à courir à compter du jour de la naissance du droit à réparation, soit à compter du jour où l''uvre a été endommagée, c'est à dire entre 1981, date de sa dernière exposition et le 31 janvier 1984, date de sa remise entre les mains de Me [L] administrateur judiciaire et exécuteur testamentaire de la succession [W],



Mme [D] et MM. [I] répondent que :

- le point de départ du délai quinquennal de prescription prévu à l'article 2224 du code civil est le jour de la restitution de l'oeuvre puisqu'ils n'ont pu avoir connaissance de la dégradation de l''uvre que le jour de sa restitution soit le 15 avril 2011,

- Mme [C] ne prouve pas que le dommage était déjà réalisé en 1995, point de départ qu'elle souhaite voir retenu et la localisation de l''uvre leur a été dissimulée de sorte qu'il ne leur était pas possible de constater le dommage,

- les disposions de l'article 2232 du code civil ne sont pas applicables dans la mesure où la date du fait dommageable donnant naissance au droit n'est pas connue puisque le fait que l'oeuvre n'ait pas été déballée du 31 janvier 1984 jusqu'au 15 avril 2011 n'est pas prouvé, l'huissier de justice ayant constaté que l'emballage était partiellement décollé et que le fait que les dégradations soient intervenues à l'occasion de la manipulation de l'oeuvre sous emballage ne peut être exclu.



Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.



L'article 2232 du même code dispose que :



Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Le premier alinéa n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Il ne s'applique pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.



L'instauration de ce délai butoir de vingt ans vise à limiter le point de départ glissant de la prescription prévu à l'article 2224 du code civil, cet article instituant un report du point de départ du délai en raison de considérations subjectives.



En l'espèce, le point de départ du délai quinquennal est le jour où les ayants droit d'[J] [T] ont eu connaissance ou auraient du avoir connaissance du dommage.

Mme [C] soutient qu'ils en ont eu connaissance avant le 15 avril 2011, jour de la restitution du mobile au motif qu'ils ont établi leur catalogue raisonné entre 1995 et 1997. Toutefois, elle ne justifie ni des dates alléguées, sa pièce n° 28 justifiant seulement de la référence du mobile au catalogue sans précision de date, ni surtout du fait que le mobile ait été vu par les héritiers d'[J] [T] membres de la fondation [T], le mobile pouvant être suffisamment connu d'eux par les descriptions effectuées dans les catalogues établis à la faveur des nombreuses expositions où l'oeuvre a été présentée et photographiée par la [Adresse 13], étant précisé que la procédure d'authentification des oeuvres s'effectuait à la [Adresse 13] gérée par [F] [W] ou à la [Adresse 12] ancien directeur puis repreneur de la galerie fondée par [P] [W] sans quel'identité des examinateurs des oeuvres soit précisée.

Dès lors, le point de départ de ce délai doit être fixé au 11 avril 2011.



Cependant, M. [W] soutient à bon droit que le délai de prescription ne peut être porté au-delà d'un délai butoir de 20 ans à compter du fait dommageable constituant la naissance du droit à indemnisation et il appartient aux héritiers d'[P] [W] de rapporter la preuve de la date du dommage.

M. [W] fait valoir que l'oeuvre n'a pas été exposée après 1981, qu'elle leur a été restituée en 1984 et qu'elle n'a pas été sortie de l'emballage ayant servi à son transport de Zurich en France jusqu'au jour de sa restitution aux héritiers [T], les adhésifs de la société Mobël transports ayant effectué ce transport étaient toujours sur l'emballage.

Les photographies annexées au procès verbal de constat établi le jour de la restitution du 15 avril 2011 ( pièce n°18) qu'il invoque à ce titre présentent un emballage blanc portant l'intitulé BAC 7860 sans aucune trace d'adhésif Mobël Transports, les seuls bouts de scotchs portant cette marque se trouvant sur l'une des deux planches sorties de cet emballage sur lesquelles étaient fixés au moyen d'adhésif transparent les pièces du mobile.

De même, dans son constat du 15 avril 2011, l'huissier de justice mentionne qu'un emballage sur la planche en carton est en partie décollé et ne contient rien, ce qui peut laisser entendre que le colis avait déjà été ouvert.

Les ayants droit d'[P] [W] échouent donc à rapporter la preuve d'une datation du dommage avant la restitution du mobile aux ayants droit d'[J] [T].

En conséquence, le point de départ du délai butoir ne peut être fixé à une date antérieure au 11 avril 2011.



En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action.

Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée



Le jugement entrepris a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée au motif que la demande en réparation du préjudice découlant de la détérioration de l''uvre est une demande distincte, différente par sa cause et son objet des précédents litiges relatifs à la propriété des oeuvres ayant opposé les parties.



M. [N] [W] soutient que :

- la demande se heurte à l'autorité de la chose jugée puisqu'il existe une identité des parties et une identité de cause, la jurisprudence ayant fait évoluer la notion de cause à la lumière de la règle de la concentration des moyens comme constituant le contexte factuel et juridique sur lequel a reposé la demande initiale quelles que soient les qualifications juridiques et faits précis invoqués,

- dans les deux actions, les consorts [W] allèguent l'existence d'un contrat de dépôt pour mettre en cause la responsabilité des consorts [W] au titre de l''uvre « un verre et deux cuillères » et la cour d'appel a déjà statué sur l'inexistence d'un contrat de dépôt ; dans le premier procès, c'est la non-restitution de l''uvre qui fondait la responsabilité des consorts [W], tandis que dans ce litige c'est sa restitution endommagée mais il ne s'agit pas d'un fait nouveau intervenu après le premier procès puisqu'après la restitution du mobile, les consorts [T] avaient, la procédure était toujours en cours, la possibilité de solliciter des dommages et intérêts comme ils l'ont fait pour les oeuvres vendues,

- il existe une identité d'objet puisque l'objet s'entend de la finalité poursuivie par celui qui formule des prétentions, que les héritiers [T] cherchent à obtenir le paiement d'une somme d'argent correspondant à la valeur estimée par eux de cette 'uvre et que leur action précédente tendait à la restitution d'oeuvres mais contenait également des prétentions indemnitaires,

- la cour dans son arrêt du 14 janvier 2015 a jugé que la demande d'indemnisation se rattachait directement à la demande de restitution des oeuvres.



Mme [C] fait valoir que :

- la première assignation des ayants droit d'[J] [T] en 2005 était fondée sur le contrat de dépôt et l'obligation du dépositaire de restituer des 'uvres dont « un verre et deux cuillères » , dans les arrêts des 26 mars 2010 et 14 janvier 2015 et les ayants droit d'[J] [T] ont assigné les consorts [W] une deuxième fois, sur le fondement du contrat de dépôt et les obligations du dépositaire,

- la deuxième action se heurte à l'autorité de la chose jugée car les héritiers [T] se sont abstenus de soulever le moyen tiré de la mauvaise exécution de l'obligation de restitution du dépositaire, en négligeant de soulever la révélation d'un fait nouveau, alors même que l'état de l''uvre leur était connu depuis la restitution du 15 avril 2011, date à laquelle la première instance était toujours en cours.



Mme [D] et MM. [I] rétorquent que :

- les conditions de l'autorité de la chose jugée ne sont pas remplies puisque l'action intentée par les ayants droits de [T] le 12 mai 2005 était une action en revendication pourtant sur la propriété des 'uvres alors que la demande présente est relative à la réparation du préjudice découlant de la détérioration de l''uvre dénommée « un verre et deux cuillères» constatée lors de sa restitution,

- il s'agit d'une autre demande, différente par sa cause et son objet,

- par l'arrêt du 26 novembre 2010, la cour d'appel de Paris a définitivement tranché le litige relatif à la propriété de l''uvre et la réouverture des débats a été limitée au sort de trois 'uvres, dont l''uvre litigieuse ne faisait pas partie.



L'action intentée en 2005 n'était pas une action en revendication de la propriété des oeuvres mais une action en restitution fondée sur l'existence d'un contrat de dépôt.

Par arrêt du 26 novembre 2010, la cour d'appel a condamné les ayants droit d'[P] [W] à restituer sept 'uvres dont le mobile intitulé "un verre et deux cuillères" et sursis à statuer sur la demande d'indemnisation de trois autres mobiles dans l'attente de la production des documents relatifs à leur vente.

Elle a ordonné une réouverture des débats et renvoyé l'affaire à la mise en état puis vidé sa saisine par arrêt du 14 janvier 2015.



L'action engagée en 2016 est une action en indemnisation fondée sur un manquement aux obligations du contrat de dépôt ou de prêt.



Les deux actions avaient le même objet puisque la première action contenait une demande indemnitaire fondée sur le contrat de dépôt et que la cour d'appel a, dans son arrêt du 14 janvier 2015, jugé que la demande d'indemnisation n'était pas une demande nouvelle dès lors qu'elle se rattachait directement à la demande de restitution des oeuvres en ce qu'elle n'en était que le complément.



De même, s'agissant de la cause, il résulte du principe de la concentration des moyens que la nouvelle demande qui invoque un fondement juridique que le demandeur s'est abstenu de soulever en temps utile se heurte à l'autorité de la chose jugée précédemment jugée relativement à la même contestation.



Les ayants droit d'[J] [T] se sont abstenus de soulever, lors de la première instance, le moyen tiré de la mauvaise exécution de l'obligation de restitution du dépositaire, en négligeant de soulever la révélation d'un fait nouveau survenu lors de la restitution du mobile, alors même que la réouverture des débats emporte révocation de l'ordonnance de clôture lorsque l'affaire est renvoyée à la mise en état et qu'ils ont fait état de la restitution du 15 avril 2011 dans leurs conclusions en réouverture des débats du 23 juin 2011, date à laquelle la première instance était toujours en cours.



Dès lors, la présente demande se heurte à l'autorité de la chose jugée et sera déclarée irrecevable, en infirmation du jugement.



Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive



M. [W] soutient que l'action a été intentée près de cinq ans après la restitution du mobile dans le but de profiter de la hausse exponentielle de la valeur des oeuvres d'[J] [T] et de lui nuire alors qu'il est âgé de 90 ans.



Mme [C] prétend que l'action introduite s'inscrit dans une stratégie de nuisance et d'étouffement manifeste des héritiers d'[Z] [W] qui supportent depuis 15 ans de multiples procédures et que les héritiers [T] ont attendu la veille du délai de prescription à compter de la restitution pour agir.



Mme [D] et MM. [I] répondent que ces derniers sont mal venus de leur reprocher de longues années de procédure alors qu'ils ont été contraints d'agir en justice pour obtenir la restitution des oeuvres leur appartenant et qu'ils n'ont fait qu'user de leur droit d'agir en justice.



Les demandes de dommages et intérêts seront rejetées, faute de démonstration d'un comportement fautif et a fortiori d'une intention de nuire de la part des ayants droit d'[J] [T], étant rappelé de surcroît que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Les dépens d'appel doivent incomber à Mme [D] et MM. [I], parties perdantes.

Ils seront également condamnés in solidum à payer à M. [W] et Mme [C] la somme de 15 000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.









PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action,

- condamné in solidum Mme [D] et MM. [I] à payer à M. [W] et Mme [C] la somme de 10 000 € chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Mme [D] et MM. [I] aux entiers dépens,



Infirme le jugement en ses autres dispositions,



Déclare irrecevable la demande de Mme [R] [D], M. [Y] [I] et M.[J] [A] [I],



Condamne Mme [R] [D], M. [Y] [I] et M. [J] [A] [I] in solidum aux dépens,



Dit que chacun des avocats en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,



Condamne in solidum Mme [R] [D], M. [Y] [I] et M. [J] [A] [I] à payer à M. [N] [W] et Mme [O] [C] la somme de 15 000€ chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.







LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

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