18 juin 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-85.298

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:CR01203

Titres et sommaires

PRESSE - Responsabilité pénale - Auteur - Article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Site internet édité à l'étranger

La responsabilité en cascade prévue par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ne s'applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France. Il appartient en conséquence au juge de rechercher si le prévenu d'une infraction de presse, résultant de propos, qu'un ou plusieurs critères rattachent au territoire de la République, mis en ligne sur un site internet édité à l'étranger, a personnellement participé à la diffusion en France desdits propos

Texte de la décision

N° N 18-85.298 FS-P+B+I

N° 1203


SM12
18 JUIN 2019


REJET


M. SOULARD président,



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

REJET sur les pourvois formés par l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), l'association Ligue française des droits de l'homme et du citoyen (LDH), parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 9 mai 2018, qui, après relaxe de M. C... X... du chef de provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et non mise à disposition d'information identifiant l'éditeur d'un service de communication au public en ligne, a prononcé sur les intérêts civils .

La COUR statue après débats en l'audience publique du 21 mai 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, M. Parlos, Mme Ménotti, M. Maziau, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Caby ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA et de Me Laurent GOLDMAN, la société civile professionnelle LE GRIEL, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1) Il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure ce qui suit.

2) À la suite de la mise en ligne, les 18 et 19 juillet 2016, sur le site internet accessible à l'adresse www.ripostelaique.com, fourni par l'association de droit suisse Riposte laïque, de deux textes intitulés "Pour éviter le génocide des Français, il faut expulser les musulmans" et "Attentat à la hache dans un train allemand : musulmans dehors", signés d'un nommé D... J..., le procureur de la République a fait citer M. X... des chefs susvisés, en raison de certains passages de ces deux textes, devant le tribunal correctionnel.

3) Après avoir rejeté une exception d'incompétence tirée de l'absence de critères de rattachement des propos au territoire français, les juges du premier degré ont renvoyé le prévenu des fins de la poursuite.

4) Le ministère public, ainsi que la LICRA et la LDH, qui s'étaient constituées partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens :

Sur les moyens uniques :

Enoncé des moyens :

5) Le moyen unique de cassation proposé par Me Laurent Goldman pour la LICRA est pris de la violation des articles 23, alinéa 1, 24, alinéa 7, et 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, 1240 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale.

6) Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a renvoyé M. X... des fins de la poursuite, alors que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'après avoir relevé que M. X... était titulaire du compte Paypal dont les coordonnées figuraient sur le site www.rispostelaique.com, que l'adresse courriel de contact de ce site renvoyait à l'adresse [...] et que les prélèvements étaient opérés sur un compte ouvert à son nom dans une agence bancaire de la commune où il résidait, la cour d'appel, qui n'a par ailleurs identifié aucun autre directeur de publication de ce site, s'est contredite en retenant qu'il n'était pas établi que le prévenu était ce directeur de publication ou ait participé personnellement à la gestion du site".

7) Le moyen unique de cassation proposé par la SCP Bouzidi-Bouhanna pour la LDH est pris de la violation des articles 23, alinéa 1, 24, alinéa 7, et 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale.

8) Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a confirmé le jugement ayant renvoyé M. X... des fins de la poursuite et rejeté les demandes de la partie civile, alors que M. X... était le titulaire du compte PayPal dont les coordonnées figuraient sur le site www.ripostelaique.com à la date du 8 septembre 2015, que l'adresse de contact [...] renvoyait à M. X..., selon l'opérateur Orange, cette adresse étant une adresse secondaire et l'adresse principale étant [...], et les prélèvements étant opérés sur un compte ouvert à son nom à la CRCAM de Paris et d'Ile de France, dans une agence de [...], commune où il résidait, de tels éléments caractérisant la gestion de fait du site ; qu'en retenant que les premiers juges ont considéré que même si plusieurs indices, "notamment, le fait que l'adresse de contact indiquée sur le site soit une adresse secondaire de M. X..., que les changements de présidence de l'association Riposte laïque Suisse se succèdent à un rythme effréné ou que ses présidents successifs soient, fréquemment, domiciliés dans des Etats où la mise en oeuvre de procédures de coopération judiciaire est à la fois lourde et souvent vouée à l'échec peut légitimement jeter un doute sur l'effectivité des fonctions de directeur de publication des présidents de Riposte laïque Suisse, il n'en demeure pas moins qu'en l'état actuel des investigations, il n'est pas démontré que M. X... soit, de fait, sinon de droit, le directeur de publication du site www.ripostelaique.com et, partant, puisse être considéré comme auteur, au sens de la loi du 29 juillet 1881, des propos incriminés", que pour la période visée à la présente prévention, à savoir du 18 juillet 2016 au 21 novembre 2016, il n'est nullement établi, avec la certitude nécessaire au prononcé d'une condamnation pénale, que M. X... serait encore le directeur de publication ou le responsable, en droit ou en fait, de ce site, ni qu'il serait le dirigeant de droit ou de fait de l'association suisse, qui édite le site situé à l'étranger sans prendre en considération l'utilisation du compte PayPal de M. X..., que l'adresse de contact [...] renvoyait à M. X..., cette adresse étant une adresse secondaire et l'adresse principale étant [...], et les prélèvements opérés sur un compte ouvert à son nom à la CRCAM de Paris et d'Ile de France la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés".

Réponse aux moyens :

9) Les moyens sont réunis

10) L'arrêt énonce notamment, par motifs propres et adoptés, qu'il est établi que l'association de droit français Riposte laïque, que M. X... avait présidée, ayant d'ailleurs été condamné à ce titre en qualité de directeur de la publication du site litigieux, a postérieurement transféré, le 20 octobre 2012, la publication dudit site à l'association Riposte laïque suisse. Le président de cette dernière association a confirmé la date des publications et le nom de l'auteur, mais a refusé de fournir plus d'informations. Un précédent président de cette même association suisse, M. T... P..., avait confirmé à deux reprises lors d'enquêtes antérieures être, à ce titre, le directeur de publication du site concerné et a été condamné en cette qualité pour des propos qui y avaient été publiés.

11) Les juges ajoutent que l'adresse électronique de contact du site était une adresse secondaire de celle de M. X..., et que les prélèvements correspondants étant effectués sur un compte au nom de celui-ci, qui était également titulaire du compte Paypal utilisé par le site. Si une perquisition a permis de trouver chez M. X... les mots de passe et codes d'accès au site, plusieurs autres personnes ont attesté en disposer également pour publier leurs textes, les mettre à jour, les illustrer ou les corriger.

12) Ils en déduisent qu'au moment des faits dont ils sont saisis, il n'est nullement établi, avec la certitude nécessaire au prononcé d'une condamnation pénale, que le prévenu serait encore le directeur de publication ou le responsable, en droit ou en fait, de ce site, ni qu'il serait le dirigeant de droit ou de fait de l'association suisse, qui édite le site depuis l'étranger, pas davantage que n'est démontrée sa participation personnelle à la gestion du site ni une quelconque participation à la mise en ligne ou à la rédaction des propos incriminés.

13) L'arrêt confirme en conséquence le jugement en ce qu'il a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et débouté les parties civiles de leurs demandes.

14) C'est à tort que les juges ont cru devoir examiner si le prévenu était le directeur de la publication du site internet.

15) En effet, de même que la responsabilité en cascade prévue par l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne s'applique que lorsque le journal est imprimé et publié en France (Crim., 25 octobre 2005, pourvoi n° 04-82.400, Bull. crim. 2005, n° 266, rejet), la responsabilité en cascade prévue par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ne s'applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France.

16) Abstraction faite de ce motif, erroné mais surabondant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses constatations qu'il n'est pas démontré que le prévenu a personnellement participé à la diffusion en France, sur un site internet édité à l'étranger, des propos litigieux, dont il n'est plus contesté qu'ils étaient destinés au public français.

17) Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.

18) Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 1 000 euros la somme que l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) devra payer à M.X... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 1 000 euros la somme que l'association Ligue française des droits de l'homme et du citoyen (LDH) devra payer à M. X... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit juin deux mille dix-neuf ;



En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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