5 février 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-40.036

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00229

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - Licenciement économique collectif - Code du travail - Article L. 1235-16 - Liberté d'entreprendre - Principe de responsabilité - Droit de proportionnalité des sanctions et des peines - Principes d'égalité - Caractère sérieux - Défaut - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Texte de la décision

SOC.

COUR DE CASSATION



CF


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 5 février 2020




NON-LIEU A RENVOI


M. CATHALA, président



Arrêt n° 229 FS-P+B

Affaire n° K 19-40.036




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2020

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a transmis à la Cour de cassation, suite à l'arrêt rendu le 8 novembre 2019, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 19 novembre 2019, dans l'instance mettant en cause :

D'une part,

la société Tel and Com, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [...],

D'autre part,

Mme X... W..., domiciliée [...],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Maron, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Tel and Com, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Maron, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Richard, conseillers, Mmes Depelley, Duvallet, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Mme W... a été engagée le 24 novembre 2000 par la société Tel and Com. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable d'un point de vente. Invoquant des difficultés économiques, son employeur a élaboré un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

2. A la suite de la rupture de son contrat de travail consécutive à son adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes dirigées contre son ancien employeur.

3. Parallèlement, la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du 18 mai 2015 homologuant le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi a été annulée par le tribunal administratif, en raison du caractère insuffisant des mesures dudit plan ; cette décision a été confirmée par la cour administrative d'appel.

4. Le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel puis, jugeant au fond, a rejeté la requête de la société présentée devant cette cour. Considérant que l'administration n'avait pas tenu compte des moyens financiers d'une des sociétés du groupe pour apprécier la suffisance des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi, il a retenu que cette omission avait entaché d'illégalité la décision d'homologation.

5. Ensuite de cette décision, la salariée a formé des demandes contre son ancien employeur, dont l'une est fondée sur les dispositions de l'article L. 1235-16 du code du travail.

6. L'employeur a, par mémoire distinct et motivé, demandé à la cour d'appel de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l'article L. 1235-16 du code du travail aux droits et libertés reconnus par la Constitution.

7. Par arrêt du 8 novembre 2019, la cour d'appel a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

8. « La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 1235-16 du code du travail est-elle contraire :

- à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il expose l'employeur à l'obligation de réintégrer un salarié licencié au vu d'un PSE homologué et de supporter une charge financière alors qu'il n'a commis aucune faute,
- au principe de responsabilité, corollaire du principe constitutionnel de liberté visé par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il opère un transfert de la responsabilité pour faute de l'Administration en mettant à la charge de l'employeur non fautif une indemnité au profit des salariés licenciés,
- au droit de propriété, découlant des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il prévoit la condamnation forfaitaire de l'employeur alors qu'il n'a commis aucune faute,
- au principe de proportionnalité des sanctions et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il impose à l'employeur de verser au salarié qui n'est pas réintégré une indemnité minimum de six mois de salaire et ce, en dehors de toute faute de l'employeur et de tout préjudice du salarié,
- au principe d'égalité devant la loi, en ce qu'il soumet au même régime l'employeur qui a licencié le salarié après homologation du PSE et celui qui a licencié sans solliciter l'autorisation de l'Administration ou qui a passé outre à un refus d'homologation ? ».

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

9. La disposition dont la constitutionnalité est contestée est l'article L. 1235-16 du code du travail qui, dans sa rédaction applicable, issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, dispose :

« L'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »

10. La disposition contestée est applicable au litige, dès lors qu'elle est invoquée par la salariée au soutien de ses demandes.

11. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

12. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

13. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

14. En effet, en premier lieu, le texte contesté a pour objet d'assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration.

15. En deuxième lieu, il ne fait pas obstacle, sur le recours de l'employeur, à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant de l'illégalité de la décision d'homologation.

16. En troisième lieu, il n'institue pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

17. En dernier lieu, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi est inopérant puisque le licenciement d'un salarié intervenu en l'absence de toute décision relative à l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi ou alors qu'une décision négative a été rendue est nul et relève, en ce qui concerne les conséquences indemnitaires, des dispositions de l'article L. 1235-11 du code du travail, non de celles de l'article L. 1235-16 du même code.

18. Les dispositions contestées ne sont, dès lors, contraires ni à la liberté d'entreprendre, ni au principe de responsabilité, ni au droit de propriété, ni à l'exigence de proportionnalité des sanctions, ni encore au principe d'égalité.

19. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt.

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