12 novembre 2020
Cour d'appel de Versailles
RG n° 18/03658

6e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code NAC : 82E



6e chambre



ARRÊT N°384



CONTRADICTOIRE



DU 12 NOVEMBRE 2020



N° RG 18/03658

N° Portalis DBV3-V-B7C-SS7A



AFFAIRE :



SA ORANO CYCLE



C/



CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE DE [Localité 5]



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Juillet 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° RG : 18/03488





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



- Me Guillaume BOULAN



- Me Emmanuel MOREAU





Le : 13 novembre 2020

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SA ORANO CYCLE

N° SIRET : 305 207 169

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par : Me Marc BORTEN de l'ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R271; et Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES, constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147





APPELANTE

****************





CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE DE [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représenté par : Me Guillaume LETERTRE, plaidant, avocat au barreau de CHERBOURG, vestiaire : 70 ; et Me Guillaume BOULAN de la SCP C.R.T.D ET ASSOCIES, constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 713



INTIMÉE

****************





Composition de la cour :



L'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Septembre 2020, Madame Isabelle VENDRYES, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :



Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier lors des débats : Madame Elodie BOUCHET-BERT








FAITS, PROCÉDURE ET RAPPEL DES FAITS CONSTANTS DES PARTIES



Rappel des faits constants



La SA Orano Cycle est une société du groupe Orano, anciennement Areva, ayant pour activité la transformation de matières fossiles. Elle emploie environ 8 770 salariés et compte plusieurs établissements, dont celui de [Localité 5] qui est un centre de traitement de combustibles employant environ 3 170 salariés.



Un préavis de grève illimitée a été déposé par plusieurs organisations syndicales à effet au 3 décembre 2017 sur ce site. Ce mouvement de grève visait à contester la décision de la direction de procéder à la dénonciation d'un usage qui avait cours sur le site, consistant à permettre aux salariés travaillant en 5/8 de transformer en temps une partie de la prime compensatrice dite 'jour férié'. Ce mouvement de grève s'est poursuivi jusqu'au 18 janvier 2018, le site étant paralysé.



A l'issue de trois réunions de négociation qui se sont tenues les 8, 10 et 11 janvier 2018, un protocole de fin de conflit a été conclu entre la direction et les organisations syndicales prévoyant notamment la nomination paritaire d'un médiateur extérieur.



Invoquant un site totalement paralysé depuis plus d'un mois faisant suite à une période de maintenance de deux mois et avançant avoir ainsi évité de recourir au chômage technique impliquant la suspension du contrat de travail et du paiement de la rémunération, la direction a, à compter du 1er janvier 2018, imposé aux salariés non-grévistes de prendre des congés au cours des première et deuxième semaines de janvier 2018.



Le 21 mars 2018, le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre d'une demande tendant à la reconnaissance de l'illicéité de la mesure prise par la direction.



La décision contestée



Par jugement contradictoire rendu le 10 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a :



- dit illicite la fixation par la SA Orano Cycle de congés payés imposés sans le respect du délai de prévenance d'un mois,

- condamné la SA Orano Cycle à payer au syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société défenderesse aux dépens.



La procédure d'appel



La SA Orano Cycle a interjeté appel du jugement par déclaration n°18/03658 du 2 août 2018.



Prétentions de la SA Orano Cycle, appelante



Par conclusions adressées par voie électronique le 14 janvier 2020, la SA Orano Cycle conclut à l'infirmation totale du jugement attaqué et demande à la cour d'appel, statuant à nouveau, de':



- débouter le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague de l'ensemble de ses demandes,

- condamner le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Emmanuel Moreau, de la SCP Moreau & associés, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

en conséquence mais à titre subsidiaire et reconventionnel, ajoutant à la décision attaquée,

- dire et juger que le constat de l'illicéité alléguée de la mesure tendant à imposer des jours de congés sans respect du délai de prévenance prévu par l'article L. 3141-16 du code du travail est cantonné aux seuls jours imposés ayant impacté le compteur des congés payés légaux à l'exclusion de tout autre jour de congé d'origine conventionnel ou de repos, JRTT employeur,

- dire et juger que les conditions de la mise en chômage technique étaient réunies à la date à laquelle a été mise en 'uvre la mesure contestée tendant à imposer des jours de congés et qu'aucune rémunération n'étant due au titre des journées non-travaillées, les sommes le cas échéant perçues à ce titre par les salariés de l'établissement de [Localité 5], à défaut de correspondre à un droit à congé, pourront alors donner lieu à remboursement par application des articles 1302 et 1302-1 du code civil.



Prétentions du syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague, intimé



Par conclusions adressées par voie électronique le 18 janvier 2019, le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Énergie Nucléaire de La Hague conclut à la confirmation du jugement attaqué et demande à la cour d'appel de :



- dire et juger que même en présence de circonstances pouvant être considérées comme exceptionnelles, la fixation imposée des congés payés sans respect du délai de prévenance instauré par les dispositions de l'article L. 3141-16 du code du travail est illégale,

- condamner la SA Orano Cycle au paiement d'une somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens de l'instance,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.



Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions respectives, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



Par ordonnance rendue le 22 janvier 2020, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 17 mars 2020, l'affaire faisant l'objet d'un renvoi à l'audience du 29 septembre 2020.






MOTIFS DE L'ARRÊT



Sur les congés imposés par l'employeur



Les parties conviennent que la SA Orano Cycle a imposé à certains de ses salariés de prendre des congés sans respect du délai de prévenance d'un mois. Il est fait état à titre d'exemple du courrier adressé à un salarié, pages 2 et 3 des conclusions du syndicat, en ces termes':



«'Monsieur,

Les perturbations engendrées par le mouvement social désorganisent fortement l'activité de l'établissement depuis plusieurs semaines.

En dépit des efforts mis en 'uvre pour redémarrer l'ensemble de l'usine, nous avons été contraints de mettre progressivement à l'arrêt une partie des ateliers.

Depuis le 1er janvier 2018, des prises de congés ont été imposées au personnel non requis de ces ateliers, faute de tâches en nombre suffisant.

Compte tenu de l'activité réduite du fait de l'arrêt prolongé et des répercussions économiques importantes pour le site, nous serons conduits à étendre cette mesure à une plus large catégorie de personnel.

A compter du 8 janvier 2018, nous sommes conduits à vous imposer la prise de congés suivants:

du 12/01/2018 au 13/01/2018 soit 1 jour.

La Direction regrette les conséquences disproportionnées de ce mouvement de grève qui a des répercussions économiques importantes pour le site et le groupe entraînant des retards conséquents vis-à-vis de nos programmes clients.

La Direction souhaite maintenir le dialogue avec les représentants des organisations syndicales.

L'enjeu prioritaire demeure la reprise des activités de production dans les meilleurs délais.

Veuillez agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.

La directions des ressources humaines.'»



Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le délai que doit respecter l'employeur s'il entend modifier l'ordre et les dates de départ en congé ne figure plus dans les dispositions d'ordre public. Les partenaires sociaux sont donc libres de négocier ce délai, au niveau de l'entreprise ou de l'établissement ou, à défaut, au niveau de la branche.



Il n'est toutefois établi ni invoqué en l'espèce aucun accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche qui aurait, en application des dispositions de l'article L. 3141-15 du code du travail, fixé les délais que doit respecter l'employeur s'il entend modifier l'ordre et les dates des départs .



Il est certes produit par le syndicat un extrait de l'accord d'entreprise relatif aux congés, absences et jours fériés (sa pièce 10), l'employeur ne produisant de son côté aucun document mais cet extrait du dispositif conventionnel indique sans aucune autre distinction ni précision en son article 4. 4.1.2': «'Chaque année au 1er janvier de l'année en cours, les salariés bénéficient d'un droit à un congé annuel de 25 jours ouvrés pour une année complète d'activité'».



A défaut d'accord, les dispositions supplétives prévoient que l'employeur ne peut pas, sauf circonstances exceptionnelles, modifier l'ordre et les dates de départ.



L'article L. 3141-16 du code du travail dispose'en effet : «'A défaut de stipulation dans la convention ou l'accord conclus en application de l'article L. 3141-15, l'employeur :

1° Définit après avis, le cas échéant, du comité social et économique :

a) La période de prise des congés ;

b) L'ordre des départs, en tenant compte des critères suivants :

- la situation de famille des bénéficiaires, notamment les possibilités de congé, dans le secteur privé ou la fonction publique, du conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ainsi que la présence au sein du foyer d'un enfant ou d'un adulte handicapé ou d'une personne âgée en perte d'autonomie ;

- la durée de leurs services chez l'employeur ;

- leur activité chez un ou plusieurs autres employeurs ;

2° Ne peut, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, modifier l'ordre et les dates de départ moins d'un mois avant la date de départ prévue'».



Au regard de ces dispositions, la distinction revendiquée par l'entreprise entre les congés dits principaux d'origine légale correspondant à quatre semaines de congés payés et les congés au-delà, d'origine conventionnelle, n'a pas vocation à s'appliquer, le texte ne distinguant pas.



L'argumentation de la société à ce titre, qui soutient que si aucune règle n'impose le respect d'un délai de prévenance pour les congés supplémentaires, ceux-ci ne sont pas soumis au délai, doit être écartée, le texte ayant une portée générale, quelle que soit l'origine des congés.



Dès lors, l'employeur doit justifier de circonstances exceptionnelles pour procéder à une modification des dates de congés moins d'un mois avant la date prévue.



Le mouvement de grève tel qu'il est décrit par les parties, même faisant suite à une période de maintenance du site pendant deux mois, celle-ci relevant de l'activité habituelle de l'entreprise où une telle intervention est courante, ne constitue pas une circonstance de nature exceptionnelle au sens de l'article L. 3141-16 du code du travail autorisant l'employeur à imposer une brusque mise en congés des salariés.



Il se déduit de ces considérations que le dispositif mis en place par la SAS Orano Cycle, consistant à imposer aux salariés de prendre des congés sans respecter le délai de prévenance, est illicite.



Le jugement entrepris sera dès lors confirmé sur cette demande.



Sur le recours au chômage partiel



La SAS Orano Cycle fait ici valoir que ce n'est qu'après avoir épuisé l'ensemble des mesures supplétives et à seule fin d'éviter une mesure de chômage technique qui se serait avérée particulièrement pénalisante et préjudiciable pour la collectivité des salariés, avec une suspension du contrat de travail et de la rémunération, qu'elle a décidé, après un mois de grève et de paralysie de l'usine de [Localité 5] d'imposer des jours de congés aux salariés.



Elle demande précisément à la cour de'dire et juger que les conditions de la mise en chômage technique étaient réunies à la date à laquelle a été mise en 'uvre la mesure contestée tendant à imposer des jours de congés et qu'aucune rémunération n'étant due au titre des journées non-travaillées, les sommes le cas échéant perçues à ce titre par les salariés de l'établissement de [Localité 5], à défaut de correspondre à un droit à congé, pourront alors donner lieu à remboursement par application des articles 1302 et 1302-1 du code civil.



Le syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Energie Nucléaire de La Hague s'oppose à la demande de l'employeur. Il fait valoir que la société ne démontre pas qu'elle était dans des conditions permettant de bénéficier soit du chômage partiel indemnisable, soit du chômage technique non indemnisable.



Sur ce,



Il résulte des circonstances de la cause, telles qu'elles ont été rappelées précédemment, que l'employeur a pris l'initiative de recourir aux congés forcés excluant ainsi le recours au chômage partiel ou technique, de sorte qu'il ne saurait demander le remboursement de sommes versées de son seul fait.



La SAS Orano Cycle sera donc déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.





Sur l'exécution provisoire sollicitée en cause d'appel



L'arrêt étant rendu en dernier ressort sans que ne soit ouverte des voies de recours suspensives d'exécution, il n'y a pas lieu à exécution provisoire.





Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure



La SA Orano Cycle, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.



Elle sera en outre condamnée à payer au syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Energie Nucléaire de La Hague une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000'euros.



La SA Orano Cycle sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.





PAR CES MOTIFS





La COUR d'appel, statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort':



CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 10 juillet 2018 et y ajoutant,



CONDAMNE la SA Orano Cycle à payer au syndicat Confédération Générale du travail Force Ouvrière de l'Energie Nucléaire de La Hague une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,



DÉBOUTE la SA Orano Cycle de sa demande présentée sur le même fondement,



CONDAMNE la SA Orano Cycle au paiement des entiers dépens.



Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Elodie Bouchet-Bert à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.