11 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-23.651

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00341

Texte de la décision

SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mars 2020




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 341 F-D

Pourvoi n° E 18-23.651






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MARS 2020

La société Les Rapides du littoral, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° E 18-23.651 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (17e chambre B), dans le litige l'opposant à Mme U... I..., épouse Q..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Les Rapides du littoral, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme I..., après débats en l'audience publique du 5 février 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 septembre 2018), Mme I... a été engagée, en qualité de conducteur-receveur, par la société Rapides Côte d'Azur, le 1er juillet 2003. Son contrat de travail a été transféré à la société anonyme de droit monégasque Les rapides du littoral le 1er septembre 2003. La salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 16 octobre 2015. Revendiquant l'application de la loi française et de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes de nature salariale et indemnitaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre de rappels d'heures supplémentaires, d'indemnité de repos compensateur, de prime d'ancienneté, de prime de treizième mois, de droits à congés payés afférents ainsi que de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour licenciement irrégulier alors « que le juge ne doit pas dénaturer le sens clair et précis des écrits soumis à son examen ; qu'en l'espèce, pour juger que les dispositions impératives de la loi française étaient applicables au contrat de travail, la cour d'appel, après avoir rappelé que le choix par les parties de la loi monégasque ne pouvait avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 de l'article 6 § 1 de la Convention de Rome, a relevé qu'il n'était pas prétendu qu'une autre loi que la loi française serait applicable, à défaut du choix de la loi monégasque, et qu'il n'était pas discuté que les dispositions impératives de la loi française devaient s'appliquer au contrat de travail liant les parties ; qu'en statuant ainsi, quand la société Les Rapides du littoral faisait au contraire expressément valoir qu'à défaut du choix de la loi monégasque par les parties, la loi monégasque aurait été de toutes les façons applicable en application des critères posés par l'article 6 § 2 de la Convention de Rome puisqu'elle était à la fois la loi du pays où se trouvait l'établissement qui avait embauché le salarié et la loi du pays avec lequel le contrat de travail avait les liens les plus étroits, de sorte que les dispositions impératives de la loi française étaient en toute hypothèse inapplicables au contrat, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Les Rapides du littoral, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les écrits de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

3. Pour condamner la société à payer à la salariée diverses sommes à titre de rappels d'heures supplémentaires, d'indemnité de repos compensateur, de prime d'ancienneté, de prime de treizième mois, de droits à congés payés afférents, ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour licenciement irrégulier, l'arrêt retient qu'il n'est pas prétendu qu'une autre loi que la loi française serait applicable, à défaut de choix de la loi monégasque, et qu'il n'est pas discuté que les dispositions impératives de la loi française doivent s'appliquer au contrat de travail liant les parties.

4. En statuant ainsi, alors que, dans les conclusions de la société devant la cour d'appel, celle-ci faisait valoir que « la loi monégasque serait [...] la loi applicable conformément aux dispositions de l'article 6, § 2b [de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980] dès lors qu'il s'agit de la loi de l'établissement qui a embauché le salarié » et que, « en tout état de cause, le contrat de travail présente des liens plus étroits avec Monaco », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces conclusions.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société anonyme Les Rapides du littoral à payer à Mme I... les sommes de 8 700,84 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et de droits à congés payés afférents, de 7 895,47 euros à titre de rappel d'indemnités de repos compensateur et de droits à congés payés afférents, de 625,15 euros à titre de rappel de primes d'ancienneté et de droits à congés payés afférents, de 899,23 euros à titre de rappel de prime de treizième mois et de droits à congés payés afférents, de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et de 2 500 euros pour licenciement irrégulier, l'arrêt rendu le 27 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme I... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Les Rapides du littoral

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé que le contrat de travail était régi par les dispositions impératives de la loi française et d'AVOIR, en conséquence, condamné la société Les Rapides du littoral à payer à Mme I... diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires dont l'indemnité de congés payés, de rappel d'indemnités de repos compensateur dont l'indemnité de congés payés, de rappel de prime d'ancienneté dont l'indemnité de congés payés, de rappel de prime de 13ème mois dont l'indemnité de congés payés, de dommages et intérêts pour licenciement nul et d'une indemnité pour licenciement irrégulier ;

AUX MOTIFS QUE la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, applicable au contrat de travail signé entre les parties, précise en son article 3 intitulé « Liberté de choix » que « 1 – Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat
» ; que l'offre d'emploi émise par la société anonyme monégasque Les rapides du Littoral, le 29 août 2003, la demande d'autorisation et l'autorisation d'embauchage signée de la salariée émanant du service de l'emploi de la Principauté de Monaco ainsi que le permis de travail monégasque prévoient qu'elle est embauchée par la société anonyme monégasque Les rapides du Littoral domiciliée à Monaco, en qualité d'ouvrier conducteur receveur pour un salaire de base mensuel de 1.288 euros pour une durée de travail hebdomadaire de 39 heures soit 169 heures de travail qui est la durée du travail en vigueur à Monaco, que la Caisse de retraite est l'AMRR, qui est une caisse monégasque, et que la salariée a été immatriculée à la Caisse de Compensation des Services Sociaux monégasque ; qu'il est constant que les lignes de bus exploitées par la SA Les rapides du littoral desservent des villes côtières entre Nice et Menton, via des arrêts sur Monaco ; que les plans de ligne n° 100, 101, 102, 110, 112 relient les communes de Nice, Menton, Beausoleil, Eze, Roquebrune, via Monaco avec plusieurs arrêts à Monaco (pièces 4-1 à 9) ; qu'au surplus, il ressort du planning produit en pièce 24 que la prise de service et la fin de service pouvaient s'effectuer au dépôt de Monaco ; qu'il est donc démontré que le salarié accomplissait son travail tant sur Monaco que sur le territoire français ; qu'il résulte ainsi, de façon certaine, des circonstances entourant la conclusion du contrat de travail et de celles de son application que les parties ont tacitement entendu se soumettre à la loi monégasque, peu important que la société anonyme monégasque Les rapides du littoral ait décidé de faire une application de la convention collective française des transports routiers et des activités auxiliaires du transport à défaut de toute autre convention collective applicable sur le territoire monégasque ; qu'il convient donc de juger que le contrat de travail liant Mme I... à la société Les rapides du littoral était régi par la loi monégasque choisie par les parties ; que ce choix peut ne concerner qu'une partie du contrat, en vertu de l'article 3.1 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui précise que « par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat » ; que s'agissant de la rupture du contrat du contrat de travail, au cas de Mme I..., il ne résulte pas de la lettre de licenciement que l'employeur ait fait application de la loi française en lieu et place de la loi monégasque ; que cependant, aux termes de l'article 6.1 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, « dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article » ; qu'il n'est pas prétendu qu'une autre loi que la loi française serait applicable, à défaut du choix de la loi monégasque, et il n'est pas discuté que les dispositions impératives de la loi française doivent s'appliquer au contrat de travail liant les parties ;

1°) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer le sens clair et précis des écrits soumis à son examen ; qu'en l'espèce, pour juger que les dispositions impératives de la loi française étaient applicables au contrat de travail, la cour d'appel, après avoir rappelé que le choix par les parties de la loi monégasque ne pouvait avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 de l'article 6 §1 de la Convention de Rome, a relevé qu'il n'était pas prétendu qu'une autre loi que la loi française serait applicable, à défaut du choix de la loi monégasque, et qu'il n'était pas discuté que les dispositions impératives de la loi française devaient s'appliquer au contrat de travail liant les parties ; qu'en statuant ainsi, quand la société Les Rapides du Littoral faisait au contraire expressément valoir qu'à défaut du choix de la loi monégasque par les parties, la loi monégasque aurait été de toutes les façons applicable en application des critères posés par l'article 6 §2 de la Convention de Rome puisqu'elle était à la fois la loi du pays où se trouvait l'établissement qui avait embauché le salarié et la loi du pays avec lequel le contrat de travail avait les liens les plus étroits (conclusions pp. 19-30), de sorte que les dispositions impératives de la loi française étaient en toute hypothèse inapplicables au contrat, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Les Rapides du Littoral, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les écrits de la cause ;

2°) ALORS, en toute hypothèse, QU'il résulte de l'article 6 §1 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 que le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 de cet article ; qu'il appartient donc au juge, au besoin d'office, de rechercher quelle aurait été la loi applicable à défaut de choix des parties ; qu'en l'espèce, pour juger que les dispositions impératives de la loi française étaient applicables au contrat de travail, la cour d'appel a relevé qu'il n'était pas prétendu qu'une autre loi que la loi française était applicable, à défaut du choix de la loi monégasque, et qu'il n'était pas discuté que les dispositions impératives de la loi française devaient s'appliquer au contrat de travail liant les parties ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de rechercher, au besoin d'office, quelle aurait été la loi applicable à défaut de choix des parties, la cour d'appel a violé les articles 3 et 6 de la Convention de Rome.

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