19 novembre 2020
Cour d'appel de Pau
RG n° 18/03612

2ème CH - Section 1

Texte de la décision

MPA/ND



Numéro 20/3273





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 19/11/2020







Dossier : N° RG 18/03612 - N° Portalis DBVV-V-B7C-HCSL





Nature affaire :



Demande en paiement des loyers et charges et/ou tendant à la résiliation du bail et/ou à l'expulsion















Affaire :



[Z] [I] veuve [K]





C/



SARL TXOMIN































Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 19 Novembre 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.







* * * * *







APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 19 Octobre 2020, devant :



Madame Marie-Paule ALZEARI, magistrat chargé du rapport,



assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,





Marie-Paule ALZEARI, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :



Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller







qui en ont délibéré conformément à la loi.













dans l'affaire opposant :









APPELANTE :



Madame [Z] [I] veuve [K]

née le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 7] (POLOGNE)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Olivia MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU

Assisté de Me Jean-Michel BALOUP, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE :



SARL TXOMIN

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentée par Me Christophe CAUSSADE, avocat au barreau de BAYONNE





















































sur appel de la décision

en date du 17 SEPTEMBRE 2018

rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE




FAITS,PROCEDURE,PRETENTIONS DES PARTIES



Par acte notarié du 7 avril 2010, succédant à deux autres actes notariés des 7 mars 2008 et 4 avril 2006, a été signé entre M. [Y] [K] et la SARL TXOMIN qui exerce une activité de glacier, un bail prenant fin le 1er mai 2015.



[Y] [K] est décédé le [Date décès 1] 2013.

Sa veuve Mme [Z] [I], venant aux droits de Monsieur [K] a demandé à la SARL TXOMIN de quitter les lieux le 29 mai et le 2 octobre 2015.

Par lettre recommandée du 8 octobre 2015, la SARL TXOMIN a répondu qu'elle se maintiendrait dans les lieux en vertu de son titre d'occupation pérenne.



Par acte d'huissier du 15 mars 2016, Mme [Z] [I] a fait assigner la SARL TXOMIN devant le tribunal de grande instance de Bayonne aux fins d'obtenir son expulsion du local commercial sous astreinte et de voir fixer à la somme de 8000€ par mois le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle.



Par jugement en date du 17 septembre 2018 auquel il est expressément référé pour les faits de la cause et la procédure antérieure, le tribunal de grande instance de Bayonne a :



- Déclaré recevable la demande de la SARL TXOMIN en requalification du bail du 7 avril 2010,



- Dit que la SARL TXOMIN bénéficie d'un bail commercial lequel a été établi le 7 avril 2010,



- Débouté en conséquence Mme [Z] [I] de sa demande d'expulsion de la SARL TXOMIN et de sa demande d'indemnité d'occupation à compter du 1er mai 2015,



- Dit que le refus de renouvellement du bail avec offre d'indemnité d'éviction de Mme [Z] [I] est valable et que le bail a pris fin le 31 décembre 2015,



- Débouté en conséquence la SARL TXOMIN de sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé,



- Débouté la SARL TXOMIN de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,



- Avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise,



- Sursis à statuer sur les demandes relatives à la fixation et au paiement des indemnités d'occupation et d'éviction de Mme [Z] [I] et de la SARL TXOMIN.



Par déclaration du 16 novembre 2018, Mme [Z] [I] a relevé appel à l'encontre du jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande de la SARL TXOMIN en requalification du bail du 7 avril 2010, dit que la SARL TXOMIN bénéficie d'un bail commercial lequel a été établi le 7 avril 2010 et débouté Mme [Z] [I] de ses demandes.



Par dernières conclusions du 14 juin 2019, Mme [Z] [I] prétend à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription soulevée, admis la SARL TXOMIN en sa demande de nullité de l'acte du 7 avril 2010 et en réputant non écrite la renonciation au statut des baux commerciaux du locataire dans l'acte notarié du 7 avril 2010.





Elle demande qu'il soit dit et jugé que la SARL TXOMIN était prescrite en sa demande de lui voir reconnaître le bénéfice d'un bail commercial, que la SARL TXOMIN, par ses conclusions devant le tribunal, ne pouvait demander le prononcé de la nullité de l'acte du 7 avril 2010, qu'en l'absence de droit à une indemnité d'éviction, la SARL TXOMIN ne bénéficie pas de la propriété commerciale.

Elle sollicite son expulsion sous astreinte définitive de 1500 € par jour de retard ainsi que la fixation d'une indemnité d'occupation mensuelle de 8000 € à compter du 2 mai 2015.

Elle réclame le paiement de la somme de 12 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Selon dernières écritures du 21 janvier 2020, la SARL TXOMIN prétend à la confirmation du jugement entrepris.

Elle demande qu'il soit jugé qu'elle est bien fondée à opposer au bailleur l'existence d'un bail commercial et de solliciter que soit déclarée nulle et de nul effet ou réputée non écrite la clause de renonciation au statut, que la prescription biennale ne peut s'appliquer en l'espèce et que si la prescription invoquée par le bailleur est confirmée par la cour, cette prescription se retourne contre lui en sa qualité de véritable demandeur en requalification, qu'elle est titulaire d'un véritable bail commercial, que l'acte délivré à l'initiative du bailleur dans le prolongement de la demande de renouvellement du bail a mis fin au bail commercial à compter du 31 décembre 2015, qu'elle peut donc prétendre au versement d'une indemnité d'éviction évaluée par l'expert judiciaire à la somme de 532 000 € et que dans l'attente, l'indemnité d'occupation mensuelle soit fixée à la somme de 4682,68 euros après application d'un abattement pour précarité de 20 %.

Elle réclame le paiement de la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture est en date du 11 février 2020.




MOTIFS,



Au soutien de son appel, Mme [Z] [I] explique que la prescription biennale est applicable à la requalification de la convention en bail commercial à compter de la date de conclusion du contrat. Elle précise qu'en application de l'article 2224 du Code civil, le délai de prescription court du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer.

En réponse à l'intimée, elle estime que cette dernière est bien demanderesse à la requalification du contrat au regard de ses conclusions du mois de juillet 2016.



En application de l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par 2 ans.

Il en résulte que toutes les actions exercées en vertu des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce se prescrivent par 2 ans .



Néanmoins, la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, et qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription biennale.



En l'espèce, il convient de constater que l'action en requalification découle de l'existence de baux dérogatoires conclus en application de cet article.

Ainsi le bail dérogatoire signé entre les parties le 7 mars 2008 indique expressément que le propriétaire loue en application des dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce les locaux dont la désignation suit.

Il en résulte que la demande en requalification du bail peut être examinée.

Le jugement est donc confirmé sur ce point.



Sur la qualification du bail et la validité de la clause de renonciation au bénéfice des baux commerciaux, la SARL TXOMIN invoque les dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce aux termes duquel sont réputées non écrites, qu'elle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement.

Elle estime que dans la mesure où le bail authentique de 9 ans contient une clause déniant par anticipation le droit au renouvellement, cette clause doit être réputée non écrite.

Elle ajoute qu'en application de l'article L. 145-15 applicable au jour de la signature du bail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 2014, sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement.



Sur la nullité de la clause de renonciation, et sur le fondement des dispositions de l'article L. 145-15 applicables dans sa rédaction applicable au jour des faits, il doit être observé que ces dispositions ont vocation à s'appliquer dans le cadre d'un bail générateur de droit pour le preneur au moment de la signature.



En l'espèce, il convient de rappeler que le bail litigieux a été précédé de deux baux dérogatoires selon actes notariés des 4 avril 2006 et 7 mars 2008.

Dans le bail du 7 avril 2010, il est précisé en exposé qu'aux termes d'un acte reçu par notaire le 4 avril 2006, les parties ont conclu sur le fondement de l'article L. 145-4 du code de commerce, un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux concernant le local litigieux, d'une durée de 24 mois ayant commencé à courir le 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2008.

Ce bail est venu à expiration le 1er mai 2008. Il a été renouvelé d'un commun accord entre les parties aux clauses et conditions du bail expiré toujours par acte notarié.

Ainsi il a été indiqué que de ce fait, la SARL TXOMIN était actuellement titulaire, en vertu de l'article L. 145-5 alinéa 3 du code de commerce, d'un bail commercial de 9 années et pouvait prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux.



Il a été ajouté qu'en pleine connaissance de cause de ses droits acquis et par convenance personnelle, en accord avec le bailleur, la SARL TXOMIN entendait renoncer purement et simplement à la durée de 9 ans et au droit au renouvellement, pour se satisfaire d'un bail rétroagissant à la date du premier bail de courte durée échappant totalement et définitivement au statut des baux commerciaux, dans lequel il renoncera purement et simplement ainsi qu'il est dit après.



En page 4 du bail, il a donc été spécifié une clause de renonciation au bénéfice de la propriété commerciale dans ces termes : « Le preneur déclare avoir parfaitement conscience que s'étant maintenu dans les lieux en vertu du renouvellement d'un bail dérogatoire susvisé dans l'exposé qui précède, il a droit au statut des baux commerciaux et peut revendiquer la propriété commerciale.

Cependant c'est en parfaite connaissance qu'il déclare expressément renoncer, conformément à une jurisprudence constante, à son droit acquis au bénéfice de la propriété commerciale. ».



Ainsi, il est constant qu'avant le bail litigieux du 7 avril 2010, avait été signé un bail dérogatoire en date du 4 avril 2006 prenant effet le 2 mai 2006. À l'expiration de celui-ci, le 1er mai 2008, le preneur est resté en en possession et, comme cela est indiqué dans l'exposé du bail du 7 avril 2010, à la date du 2 mai 2008, la SARL TXOMIN avait acquis la propriété commerciale en application des dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce dans sa version applicable au 1er mai 2008.







Dans ces conditions, la renonciation du 7 avril 2010 est intervenue alors que la SARL TXOMIN avait, depuis le 2 mai 2018,un droit acquis au bénéfice du statut des baux commerciaux.

Les mentions figurant dans le bail du 7 avril 2010 reprennent très précisément cette chronologie mais également les droits acquis par le preneur et ce, par acte notarié.

Il s'en déduit donc la réalité d'une renonciation postérieure à la naissance du droit acquis et en parfaite connaissance du preneur.



Le bénéfice du statut des baux commerciaux étant ainsi acquis au jour de la signature d'un nouveau bail, le preneur pouvait, dès cette date, y renoncer en pleine connaissance de cause. Il convient d'y ajouter que la seule conclusion d'un deuxième bail dérogatoire ne vaut pas renonciation.

Au surplus, les indications très précises relatées dans le bail décrivent la parfaite information et connaissance du preneur.



Sur ce point, l'intimée fait valoir que les actes frauduleux sont imprescriptibles selon l'adage « fraus omnia corrumpit ».



A cet égard, la fraude est invoquée mais non caractérisée alors que les baux successifs ont été conclus entre les mêmes parties, par acte notarié, avec l'information du preneur de ses droits.



Enfin, l'intimée ne peut utilement soutenir qu'en raison d'une extension d'assiette dans le bail du 7 avril 2010, la supposée « renonciation » au droit du preneur ne saurait concerner un lot pour lequel le droit au renouvellement n'était pas encore acquis.



En effet, si dans le bail dérogatoire du 4 avril 2006, il n'est mentionné qu'un seul lot, il doit être considéré que la surface cadastrée est identique dans les deux baux alors que la description du lot numéro un n'est pas identique.



Ainsi, il n'est pas établi, au surplus en l'absence de mention dans le bail, que l'assiette de celui-ci a été étendue.

Il ne peut donc en résulter une impossibilité de renonciation pour un lot sur lequel le droit à la propriété commerciale n'aurait pas encore été acquis.



Enfin, le fait que le bail du 7 avril 2010 ait été conclu pour une durée de 9 années qui ont commencé à courir rétroactivement à compter du 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015 ne saurait, pour autant, emporter novation de l'obligation ainsi que le soutient l'intimée, en l'absence de changement de l'obligation ou du créancier ou du débiteur.



En effet, le changement de la durée du bail n'a pas eu pour effet d'anéantir rétroactivement le bail dérogatoire, étant rappelé qu'il est expressément mentionné que le preneur, en parfaite connaissance du bail dérogatoire antérieur, a renoncé à la propriété commerciale.



En outre, sur la renonciation librement consentie, la SARL TXOMIN fait grief au notaire rédacteur de l'acte litigieux de ne pas avoir veillé à l'équilibre contractuel et à la légalité de l'instrumentum.

Toutefois, il convient de prendre acte qu'aucune des parties, et au premier chef la SARL TXOMIN, n'ont jugé utile ou opportun d'appeler en la cause le notaire.



A l'opposé, et dans cette mesure, la SARL TXOMIN ne peut utilement soutenir que sa renonciation n'aurait pas été librement consentie du seul fait que le bail commercial a été rédigé par un notaire.







D'autre part, les mentions très précises et descriptives du bail tant dans l'exposé que dans la clause de renonciation permettent d'exclure tout vice du consentement ou contrainte.



Au demeurant, l'intimée ne tire aucune conséquence légale susceptible de découler de ses allégations.



Dans ces conditions, il convient de considérer que le bail du 7 avril 2010 a effectivement pris fin le 1er mai 2015.

La SARL TXOMIN est ainsi occupante sans droit ni titre depuis le 2 mai 2015.

Il sera donc fait droit à la demande d'expulsion aux conditions et dans les termes qui seront précisés au dispositif du présent arrêt et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte.

L'indemnité d'occupation mensuelle doit être fixée au montant du loyer convenu TTC charges comprises à la date du 1er mai 2015, soit la somme de 5853,36 euros ;



Les demandes reconventionnelles de l'intimée en fixation d'une indemnité d'éviction et en fixation d'une indemnité d'occupation seront donc écartées.



Les circonstances de l'espèce justifient un partage par moitié entre les parties des dépens d'appel et de première instance.

Il ne sera donc pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une et l'autre des deux parties.



PAR CES MOTIFS,



La cour après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à dispsition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort



Infirme le jugement déféré sauf en sa disposition ayant déclaré recevable la demande de la SARL TXOMIN en requalification du bail du 7 avril 2010,



Statuant à nouveau,



Dit et juge que la SARL TXOMIN ne bénéficie pas, pour le local litigieux, de la propriété commerciale,



Dit et juge que la SARL TXOMIN est occupante sans droit ni titre des locaux litigieux depuis le 2 mai 2015,



En conséquence,



Ordonne l'expulsion de la SARL TXOMIN et de tout occupant de son chef des locaux situés 54 rue Gambetta à Saint-Jean de Luz (64500), occupés sans droit,



Condamne la SARL TXOMIN à payer à Mme [Z] [I] chaque mois à compter du 2 mai 2015, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges, soit la somme de 5853,36 euros charges comprises, jusqu'à son départ effectif des lieux loués,



Y ajoutant,



Rejette les demandes reconventionnelles de la SARL TXOMIN,



Partage par moitié les dépens d'appel et de première instance entre les parties,



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.



Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.



LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,

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