8 juillet 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-13.593

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00628

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Défaut - Applications diverses - Dénonciation de faits dont le salarié a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions - Conditions - Détermination - Portée

Il résulte de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, que le salarié qui a relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis

Texte de la décision

SOC.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 juillet 2020




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 628 FS-P+B

Pourvoi n° X 18-13.593




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020

M. L... D..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° X 18-13.593 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2018 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Eurofeu services, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. D..., de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Eurofeu services, et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, conseiller, Mme Depelley, ayant voix délibérative, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mme Prache, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. D..., engagé le 1er juillet 2008 en qualité de magasinier poseur par la société Eurofeu services, exerçait en dernier lieu les fonctions de vérificateur-vendeur ; qu'après avoir fait l'objet d'avertissements le 24 avril puis le 30 juillet 2014, il a été licencié pour faute grave le 10 octobre 2014 aux motifs qu'il avait, d'une part, dénigré l'entreprise dans des courriers adressés au directeur de région en réponse à ces avertissements et, d'autre part, déposé plainte contre le responsable d'une agence de l'entreprise dans le but de déstabiliser cette structure ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail ;

Attendu que pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, l'arrêt retient que les allégations de l'intéressé, contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014, évoquant des pratiques d'escroquerie et d'abus de confiance envers les clients ne sont pas établies et qu'elles constituent par leur caractère outrancier un excès à la liberté d'expression du salarié ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les lettres litigieuses, adressées uniquement au directeur de région en réponse à deux avertissements et rédigées en des termes qui n'étaient ni injurieux, diffamatoires ou excessifs, ne caractérisaient pas un abus dans la liberté d'expression du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen, qui est recevable :

Vu l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ;

Attendu selon ce texte qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il s'en déduit que le salarié ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ;

Attendu que pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, l'arrêt retient que les faits pour lesquels l'intéressé a déposé plainte auprès de la gendarmerie n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales et que le salarié ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser son agence ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge que le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse, déboute M. D... de sa demande d'indemnité de rupture du contrat de travail, dit n'y avoir lieu d'ordonner le remboursement par la société Eurofeu services des indemnités servies à M. D... au titre de l'indemnisation du chômage, déboute M. D... de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel, le condamne au paiement à la société Eurofeu services de la somme de 500 euros sur ce même fondement et le condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 12 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne la société Eurofeu services aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurofeu services et la condamne à payer à M. D... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. D....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse,

AUX MOTIFS QUE «
par courrier recommandé du 24 avril 2014 la SAS Eurofeu Services a délivré à M. L... D... un premier avertissement au motif que ce dernier n'avait pas atteint les objectifs fixés contractuellement, manifestant de la sorte un manque de motivation ; que par un courrier du 30 juillet 2014 la SAS Eurofeu Services a notifié à M. L... D... un second avertissement pour les motifs suivants : l'utilisation par le salarié du véhicule de service pour ses besoins personnels, un départ anticipé du travail le 11 juillet 2014 et l'inexécution ou la mauvaise exécution de tâches chez deux clients ;

Attendu que M. L... D... a répondu à chacune de ces correspondances par deux courriers en date des 10 mai et 14 août 2014 ; que s'agissant des principaux griefs, pris de la non-réalisation des objectifs et de l'inexécution ou l'exécution partielle des prestations, M. L... D... se justifie longuement dans ses deux lettres dont il convient, pour la solution du litige, de reprendre pour partie les termes ;

Attendu qu'en ce qui concerne la non-réalisation des objectifs le salarié expose dans son courrier du 24 avril 2014 : " Lorsque je vous ai indiqué que désormais je n'effectuerais plus que le strict minimum chez les clients, je parlais bien sûr des pièces détachées. Ce que je vous ai bien dit à l'entretien et que je me tenais uniquement aux procédures de maintenances constructeurs, ce qui signifie que j'arrêtais de changer des pièces détachées... alors que celles-ci n'avait rien, uniquement pour atteindre votre "ratio sav "de 15 € moyens par extincteur que vous me demandez d'atteindre... qu'il ajoute ensuite : " "De par les pièces que j'ai pu changer, moi au moins, je les ai vraiment changées et ne me contentais pas de simples croix sur les bons de maintenances pour facturer n‘importe quelles pièces, même inexistantes en stocks., en passant un code générique

Attendu que dans sa correspondance du 14 août 2014 M. L... D... se fait plus précis ; qu'il incrimine en premier lieu le travail de ses collègues : " " J'ai eu à refixer un nombre incalculable d'extincteurs beaucoup trop haut... Étant passé derrière plusieurs personnes, y compris des personnes encore en place à ce jour, ceux-ci auraient dû traiter ces points immédiatement non ? Donc ils n‘ont pas respecté les procédures de maintenance, ils devaient être plus préoccupés à ramener du chiffre d'affaires... qu'il achève son raisonnement ainsi : "C 'est sûr qu‘en faisant un travail bâclé, comme j'ai pu vous le dire ci-dessus, on parvient largement à votre "cota '' de vérification " ;

Attendu que dans le même courrier M. L... D... profère à l'encontre de la société dont il est le salarié les accusations suivantes : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients. Ou bien changer des extincteurs non réformés, donc qui n'ont pas lieux d'être changé que le salarié évoque ensuite des surfacturations et la facturation de pièces non changées ;
Attendu que pour procéder au licenciement pour faute grave de M. L... D..., la SAS Eurofeu invoque dans la lettre de congédiement qui fixe les termes du litige deux griefs, d'une part, les propos de "dénigrement" tenus par celui-ci dans les deux courriers sus-évoqués, et, d'autre part le dépôt de la plainte, destiné à "déstabiliser" l'agence de [...] ;

Attendu que s'agissant du premier grief, il convient de le replacer dans le cadre plus général de la liberté d'expression conférée à tout salarié dans l'entreprise, avec la limite qui y a été apportée par la jurisprudence, à savoir l'abus ; qu'il échet de préciser que les propos litigieux étaient contenus dans des courriers en réponse à deux avertissements que le salarié considérait comme injustifiés, avec pour seul destinataire, le directeur régional de la société Eurofeu Services ;

Attendu qu'il y a lieu aussi de rappeler que M. L... D... évoque dans ses deux courriers des pratiques qu'il qualifie lui-même "d'escroquerie" et "d'abus de confiance » ; que pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire de tels propos, il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié ;

Attendu qu'à cette fin M. L... D... verse à son dossier les attestations de trois anciens salariés de la société Eurofeu Services ; que celle-ci conteste l'impartialité des témoins expliquant que l'un d'entre eux a été licencié pour faute grave pour avoir revendu à son profit sur internet des extincteurs qu'il avait détournés et que les deux autres étaient actuellement en contentieux avec leur ex-employeur ; qu'eu égard à ces éléments les déclarations écrites dont s'agit doivent être regardées avec circonspection ;

Attendu que deux des attestants indiquent dans leurs témoignages que pour des raisons de rentabilité le responsable de l'agence de [...] incitait les salariés à effectuer des remplacements d'extincteurs plutôt que des changements de pièces ; que l'autre témoin évoque pour sa part des rajouts de pièces sur les bons de commandes sans autres précisions ;

Attendu que pour sa part la société Eurofeu Services verse aux débats des e-mails échangés entre le responsable de l'agence de [...] et le directeur de région de la société ; qu'il résulte de la lecture de ces documents que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. L... D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales ; qu'ainsi que le fait justement observer la société Eurofeu Services M. L... D... ne verse à son dossier aucun pièce démontrant un quelconque mécontentement des clients ;

Attendu qu'il y a lieu, au vu des développements qui précèdent, de considérer que les allégations qui sont contenus dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à liberté d'expression du salarié ;
Attendu que si la dénonciation des faits dans les deux courriers précités revêtait un caractère, confidentiel, il en va différemment de la plainte déposée à la gendarmerie, laquelle avait vocation à agir comme une caisse de résonnance aux dires du salarié ; que M. L... D... ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte contre le responsable de l'agence de [...] allait nécessairement déstabiliser cette structure ;
Attendu qu'il échet dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié, de prendre en compte le contexte dans lesquels les propos litigieux ont été tenus et la plainte déposée ; que M. L... D... a dû faire face, à trois mois d'intervalle, à deux avertissements, et ce, alors qu'aux termes de ses courriers il s'estimait être un des seuls à faire du travail de qualité dans l'entreprise ; qu'il convient par ailleurs de noter la concomitance de la plainte et du licenciement ; que ces circonstances conduisent à juger que les griefs énoncés dans la lettre de congédiement ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais d'une faute simple ; qu'il s'ensuit que le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a dit que le congédiement de M. L... D... était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que dans sa lettre du 24 avril 2014, M. L... D... manifeste clairement son désaccord avec la politique commerciale de l'entreprise, n'hésitant pas en effet à écrire : « vous dites que je n'ai plus de motivation pour mon métier, or j'ai dit que je n'avais plus de motivation pour travailler pour Eurofeu Services » ; qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de ce désaccord ;
Attendu qu'en l'absence de faute grave, M. L... D... peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la mise à pied, à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés afférents et à une indemnité de licenciement ; qu'eu égard à la motivation pertinente retenue par les premiers juges sur ces points, que la cour fait sienne dans sa totalité, la décision querellée sera confirmée dans ses dispositions arrêtant les sommes dues au salarié à ces divers titres ; »,

1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents sur lesquels il se fonde ; qu'en constatant, pour relever des propos prétendument litigieux tenus par M. D... dans l'exercice de sa liberté d'expression, que ce dernier évoque dans ses deux courriers en réponse à deux avertissements, en date des 10 mai et 14 août 2014, des pratiques qu'il qualifie lui-même « d'escroquerie » et « d'abus de confiance » quand M. D... a uniquement écrit dans la lettre du 14 août 2014 : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients », la cour a dénaturé les termes clairs et précis de ces deux lettres et violé le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents sur lesquels il se fonde.

2°) ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en constatant, pour retenir un abus commis par M. D... dans l'exercice de sa liberté d'expression, que «
les allégations qui sont contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent de par leur caractère outrancier un excès à la liberté d'expression du salarié » sans caractériser l'existence, par l'emploi de termes injurieux, diffamatoire ou excessifs tenus par M. D..., d'un abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, la cour a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.

3°) ALORS QU' en constatant, pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire des propos reprochés à M. D..., « qu'il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié » quand l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression dont jouit tout salarié est caractérisée par l'emploi de termes jugés injurieux, diffamatoires ou excessifs sans que soit prise en considération leur véracité, la cour a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail.

4°) ALORS QU' en tout état de cause, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en considérant que les allégations contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à la liberté d'expression du salarié quand elles expriment, en réponse aux deux avertissements infligés par l'employeur, des critiques des pratiques commerciales et du travail effectué par les collègues de M. D... et que ces critiques ont eu pour seul destinataire l'employeur, la cour a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse,

AUX MOTIFS QUE «
par courrier recommandé du 24 avril 2014 la SAS Eurofeu Services a délivré à M. L... D... un premier avertissement au motif que ce dernier n'avait pas atteint les objectifs fixés contractuellement, manifestant de la sorte un manque de motivation ; que par un courrier du 30 juillet 2014 la SAS Eurofeu Services a notifié à M. L... D... un second avertissement pour les motifs suivants : l'utilisation par le salarié du véhicule de service pour ses besoins personnels, un départ anticipé du travail le 11 juillet 2014 et l'inexécution ou la mauvaise exécution de tâches chez deux clients ;

Attendu que M. L... D... a répondu à chacune de ces correspondances par deux courriers en date des 10 mai et 14 août 2014 ; que s'agissant des principaux griefs, pris de la non- réalisation des objectifs et de l'inexécution ou l'exécution partielle des prestations, M. L... D... se justifie longuement dans ses deux lettres dont il convient, pour la solution du litige, de reprendre pour partie les termes ;

Attendu qu'en ce qui concerne la non-réalisation des objectifs le salarié expose dans son courrier du 24 avril 2014 : " Lorsque je vous ai indiqué que désormais je n 'effectuerais plus que le strict minimum chez les clients, je parlais bien sûr des pièces détachées. Ce que je vous ai bien dit à l'entretien et que je me tenais uniquement aux procédures de maintenances constructeurs, ce qui signifie que j'arrêtais de changer des pièces détachées... alors que celles-ci n 'avait rien, uniquement pour atteindre votre "ratio sav "de 15 € moyens par extincteur que vous me demandez d'atteindre... qu'il ajoute ensuite : " "De par les pièces que j'ai pu changer, moi au moins, je les ai vraiment changées et ne me contentais pas de simples croix sur les bons de maintenances pour facturer n‘importe quelles pièces, même inexistantes en stocks., en passant un code générique


Attendu que dans sa correspondance du 14 août 2014 M. L... D... se fait plus précis ; qu'il incrimine en premier lieu le travail de ses collègues : " " J'ai eu à refixer un nombre incalculable d'extincteurs beaucoup trop haut... Etant passé derrière plusieurs personnes, y compris des personnes encore en place à ce jour, ceux-ci auraient dû traiter ces points immédiatement non ? Donc ils n'ont pas respecté les procédures de maintenance, ils devaient être plus préoccupés à ramener du chiffre d'affaires... qu'il achève son raisonnement ainsi : "C 'est sûr qu‘en faisant un travail bâclé, comme j'ai pu vous le dire ci-dessus, on parvient largement à votre "cota '' de vérification" ;

Attendu que dans le même courrier M. L... D... profère à l'encontre de la société dont il est le salarié les accusations suivantes : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients. Ou bien changer des extincteurs non réformés, donc qui n'ont pas lieux d'être changé que le salarié évoque ensuite des surfacturations et la facturation de pièces non changées ;
Attendu que pour procéder au licenciement pour faute grave de M. L... D..., la SAS Eurofeu invoque la lettre de congédiement qui fixe les termes du litige deux griefs, d'une part, les propos de "dénigrement" tenus par celui-ci dans les deux courriers sus-évoqués, et, d'autre part le dépôt de la plainte, destiné à "déstabiliser" l'agence de [...] ;

Attendu que s'agissant du premier grief, il convient de le replacer dans le cadre plus général de la liberté d'expression conférée à tout salarié dans l'entreprise, avec la limite qui y a été apportée par la jurisprudence, à savoir l'abus ; qu'il échet de préciser que les propos litigieux étaient contenus dans des courriers en réponse à deux avertissements que le salarié considérait comme injustifiés, avec pour seul destinataire, le directeur régional de la société Eurofeu Services ;

Attendu qu'il y a aussi de rappeler que M. L... D... évoque dans ses deux courriers des pratiques qu'il qualifie lui-même "d'escroquerie" et "d'abus de confiance » ; que pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire de tels propos, il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié ;

Attendu qu'à cette fin M. L... D... verse à son dossier les attestations de trois anciens salariés de la société Eurofeu Services ; que celle-ci conteste l'impartialité des témoins expliquant que l'un d'entre eux a été licencié pour faute grave pour avoir revendu à son profit sur internet des extincteurs qu'il avait détournés et que les deux autres étaient actuellement en contentieux avec leur ex-employeur ; qu'eu égard à ces éléments les déclarations écrites dont s'agit doivent être regardées avec circonspection ;

Attendu que deux des attestants indiquent dans leurs témoignages que pour des raisons de rentabilité le responsable de l'agence de [...] incitait les salariés à effectuer des remplacements d'extincteurs plutôt que des changements de pièces ; que l'autre témoin évoque pour sa part des rajouts de pièces sur les bons de commandes sans autres précisions ;

Attendu que pour sa part la société Eurofeu Services verse aux débats des e-mails échangés entre le responsable de l'agence de [...] et le directeur de région de la société ; qu'il résulte de la lecture de ces documents que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. L... D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales ; qu'ainsi que le fait justement observer la société Eurofeu Services M. L... D... ne verse à son dossier aucun pièce démontrant un quelconque mécontentement des clients ;

Attendu qu'il y a lieu, au vu des développements qui précèdent, de considérer que les allégations qui sont contenus dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à liberté d'expression du salarié ;
Attendu que si la dénonciation des faits dans les deux courriers précités revêtait un caractère, confidentiel, il en va différemment de la plainte déposée à la gendarmerie, laquelle avait vocation à agir comme une caisse de résonnance aux dires du salarié ; que M. L... D... ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte contre le responsable de l'agence de [...] allait nécessairement déstabiliser cette structure ; »,
Attendu qu'il échet dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié, de prendre en compte le contexte dans lesquels les propos litigieux ont été tenus et la plainte déposée ; que M. L... D... a du faire face, à trois mois d'intervalle, à deux avertissements, et ce, alors qu'aux termes de ses courriers il s'estimait être un des seuls à faire du travail de qualité dans l'entreprise ; qu'il convient par ailleurs de noter la concomitance de la plainte et du licenciement ; que ces circonstances conduisent à juger que les griefs énoncés dans la lettre de congédiement ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais d'une faute simple ; qu'il s'ensuit que le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a dit que le congédiement de M. L... D... était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que dans sa lettre du 24 avril 2014, M. L... D... manifeste clairement son désaccord avec la politique commerciale de l'entreprise, n'hésitant pas en effet à écrire : « vous dites que je n'ai plus de motivation pour mon métier, or j'ai dit que je n'avais plus de motivation pour travailler pour Eurofeu Services » ; qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de ce désaccord ;
Attendu qu'en l'absence de faute grave, M. L... D... peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la mise à pied, à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés afférents et à une indemnité de licenciement ; qu'eu égard à la motivation pertinente retenue par les premiers juges sur ces points, que la cour fait sienne dans sa totalité, la décision querellée sera confirmée dans ses dispositions arrêtant les sommes dues au salarié à ces divers titres ; »,

1°) ALORS QU' en constatant, pour requalifier le licenciement pour faute grave de M. D... en licenciement sans causer réelle et sérieuse, que le salarié qui a déposé plainte à la gendarmerie contre le responsable de l'agence de [...] n'était pas de bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser cette structure, motif impropre à caractériser la mauvaise foi du salarié qui résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3-3 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

2°) ALORS QU'en constatant, pour requalifier le licenciement pour faute grave de M. D... en licenciement sans causer réelle et sérieuse, que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales, motif impropre à caractériser la mauvaise foi du salarié qui résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3-3 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

3°) ALORS QUE selon l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation prononcée du chef du second moyen entraînera, par voie de conséquence, celle des autres chefs de l'arrêt attaqué qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

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