29 septembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-82.774

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:CR01901

Texte de la décision

N° K 20-82.774 F-D

N° 1901


SM12
29 SEPTEMBRE 2020


CASSATION SANS RENVOI



M. SOULARD président,



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 SEPTEMBRE 2020


M. J... H... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 11e section, en date du 28 avril 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative d'importation de produits stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, commis en récidive, a notamment annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 17 mars 2020 prolongeant sa détention provisoire, évoqué et constaté que celle-ci était prolongée d'office.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. J... H..., et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, l'avocat du demandeur a eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. H... a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel, à compter du 29 mars 2019.

3. Par ordonnance en date du 17 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. H....

4. Ce dernier a interjeté appel de cette décision.


Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir évoqué l'affaire et constaté la prolongation d'office de la détention provisoire de M. H... pour une durée de six mois en application de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, alors :

« 1°/ que la chambre de l'instruction qui constate, sur l'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention prononçant la prolongation d'une détention provisoire, que la personne mise en examen est détenue en vertu d'un titre nul, doit prononcer d'office sa mise en liberté et ne dispose pas du pouvoir d'évoquer l'affaire ; qu'en se bornant à affirmer, après avoir annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention pour avoir été rendue en violation du principe du contradictoire et des droits de la défense, qu'il « convient à la chambre de l'instruction d'évoquer s'agissant de la prolongation de la détention provisoire » cependant qu'elle ne disposait pas de ce pouvoir et ne pouvait que constater que M. H... était détenu en vertu d'un titre irrégulier et ordonner sa remise en liberté, la chambre de l'instruction a violé les articles 201, 207, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause si l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 s'interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu'il prévoit, tout titre de détention provisoire venant à expiration, une telle prolongation n'est régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention, de sorte qu'il appartient à la juridiction saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire de statuer sur la nécessité du maintien en détention de cette personne ; qu'en constatant « que la détention provisoire de J... H... s'est trouvée prolongée d'office pour une durée de six mois à compter du 29 mars 2020 à 00 heure, par l'effet de l'article 16 de l'ordonnance 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale » cependant qu'il lui appartenait - en tant qu'elle était saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire de l'exposant - de statuer sur la nécessité du maintien en détention de ce dernier, la chambre de l'instruction a violé l'article 16 de l'ordonnance précitée, les articles 137, 137-1, 143-1, 144-1, 144, 145, 145-2, 145-3, 591 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que l'article 1, III, 2° de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui a inséré au sein de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 un article 16-1 validant a posteriori les détentions provisoires prolongées automatiquement pour une durée de 6 mois entre le 25 mars 2020 et le 11 mai 2020 dans l'attente de décisions du juge des libertés et de la détention statuant sur le bien-fondé desdites détentions dans les trois mois de leurs prolongations devra, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct, être abrogé comme étant contraire à la liberté individuelle, aux droits de la défense, à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la non rétroactivité de la loi pénale, ce qui entraînera la cassation de l'arrêt attaqué. »


Réponse de la Cour

Sur le moyen pris en sa troisième branche

6. Le grief est devenu sans objet dès lors que, par décision de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.


Mais sur le moyen pris en sa première branche

Vu les articles 201, alinéa 2 et 207 du code de procédure pénale :

7. Selon le premier de ces textes, lorsqu'elle constate que la personne mise en examen est détenue en vertu d'un titre nul, la chambre de l'instruction doit prononcer d'office sa mise en liberté.

8. Il résulte du second qu'en matière de contentieux de la détention provisoire, la chambre de l'instruction ne dispose pas d'un pouvoir d'évocation.

9. Pour annuler l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire, l'arrêt rappelle que lorsqu'il est saisi d'une demande de renvoi, le juge des libertés et de la détention ne peut s'y opposer qu'en se prononçant par une décision motivée.

10. Les juges relèvent que le premier avocat désigné par M.H... ayant été convoqué en vue d'un débat contradictoire devant se tenir le 17 mars 2020, le deuxième défenseur de l'intéressé a, par courrier du 16 mars 2020, sollicité le renvoi de l'affaire, motif pris de l'indisponibilité des deux avocats de l'intéressé.

11. Ils précisent que si une réponse négative a été adressée au défenseur de M. H..., sous forme d'une mention manuscrite au pied du courrier susvisé, néanmoins, ni le procès-verbal de débat contradictoire, ni l'ordonnance de prolongation, ne font état de la demande de renvoi, de son rejet, ou des raisons de celui-ci.

12. La chambre de l'instruction en déduit que le juge des libertés et de la détention n'a pas justifié sa décision, portant ainsi atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense.

13. Elle en conclut que l'ordonnance doit être annulée.

14. La chambre de l'instruction retient ensuite qu'il convient d'évoquer, s'agissant de la prolongation de la détention provisoire.

15. En décidant ainsi d'évoquer, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

16. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation ne porte que sur les dispositions par lesquelles la chambre de l'instruction a elle même prolongé la détention provisoire.

18. M. H... doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.

19. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissances des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

20. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer qu'il ressort suffisamment de la procédure l'existence de raisons plausibles de soupçonner que M. H... a commis, comme auteur ou complice, les faits pour lesquels il a été mis en examen.

21. En l'espèce, la mesure de contrôle est indispensable afin de :

- empêcher une concertation frauduleuse entre M. H... et ses coauteurs ou complices :
les faits mis à jour, qui s'analysent comme l'organisation d'un trafic de quantités importantes de cocaïne entre l'Amérique du sud et la France, relèvent d'une structure organisée, dans le fonctionnement de laquelle ont notamment été mis en cause M. R... U..., visé par les premières investigations, M. X... B..., M. V... L..., certains d'entre eux entretenant des relations suivies depuis longtemps; les explications très divergentes livrées par ces personnes, dans leur analyse à la lumière des résultats des investigations conduites, justifient de plus amples vérifications ;

- prévenir le renouvellement de l'infraction :
au moment où les faits reprochés à M. H... ont été commis, ce dernier, après avoir bénéficié d'une mesure de semi-liberté entre le 27 juillet 2016 et le 27 juillet 2017, était placé sous le régime de la libération conditionnelle, accordée à compter de cette date et jusqu'au 12 juin 2023 ; ces éléments de personnalité doivent être appréciés à l'aune des antécédents judiciaires de M. H..., condamné à sept reprises, notamment en 2011 à la peine de dix ans d'emprisonnement par le tribunal de Marseille pour des faits en lien avec les stupéfiants et par le tribunal de Paris en 2013 à la peine de huit ans d'emprisonnement pour des infractions similaires ;

- garantir le maintien de M. H... à la disposition de la justice :
au moment de son interpellation, l'intéressé, qui demeurait en région parisienne, était dépourvu d'ancrage professionnel véritable; les vérifications effectuées ont mis en évidence des déplacements dans la région lilloise mais surtout vers le continent sud-américain, notamment le Panama et la Colombie, en octobre 2017 et avril 2018 et il apparaît que M. H... a usé d'un alias pour la commission des faits qui lui sont reprochés.

22. Afin d'assurer ces objectifs, M. H... sera astreint aux obligations suivantes :

1°) ne pas sortir des limites du département des Hauts de Seine, sauf pour répondre aux convocations de justice ;

2°) fixer sa résidence chez M. F... H..., demeurant [...] (Hauts de Seine) ;

3°) se présenter chaque lundi, mercredi et vendredi au commissariat de police de Villeneuve la Garenne, [...] ;

4°) s'abstenir de recevoir ou de rencontrer les personnes dont les noms suivent ou d'entrer en contact, de quelque manière que ce soit, avec elles :
M. R... U..., M. X... B..., M. V... L....

23. Le parquet général de cette Cour procédera aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.

24. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants du code de procédure pénale et notamment modifier les obligations du contrôle judiciaire ou tirer les conséquences de leur violation.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions par lesquelles la chambre de l'instruction a elle même prolongé la détention provisoire, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 28 avril 2020 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. H... est détenu sans titre depuis le 29 mars 2020 à 0h00 ;

ORDONNE la mise en liberté de M. H... s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement de M H... sous contrôle judiciaire ;

DIT qu'il doit se soumettre aux mesures suivantes :

1°) ne pas sortir des limites du département des Hauts de Seine, sauf pour répondre aux convocations de justice ;

2°) fixer sa résidence chez M. F... H..., demeurant [...] (Hauts de Seine) ;

3°) se présenter chaque lundi, chaque mercredi et chaque vendredi, entre 14 heures et 17 heures, au commissariat de police de Villeneuve la Garenne, [...] ;

4°) s'abstenir de recevoir ou de rencontrer les personnes dont les noms suivent ou d'entrer en contact, de quelque manière que ce soit, avec elles :
M. R... U..., M. X... B..., M. V... L... ;

DIT que le parquet général de cette Cour procédera aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;

DIT que le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants du code de procédure pénale et notamment modifier les obligations du contrôle judiciaire ou tirer les conséquences de leur violation ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf septembre deux mille vingt.

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