30 septembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-15.626

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:C100583

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 septembre 2020




Cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 583 F-D

Pourvoi n° C 19-15.626




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

La société Mainfreight France, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° C 19-15.626 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Alpega, société anonyme, dont le siège est [...] ), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la société Mainfreight France, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Alpega, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 janvier 2019), la société française Wim Bosman, devenue Mainfreight France, commissionnaire de transport, a conclu, le 19 mars 2013, avec la société française Téléroute France, aux droits de laquelle vient la société belge Alpega (anciennement Wolters Kluwer Transport Services) un contrat portant sur l'utilisation des services de la plateforme numérique de bourse de fret dénommée Téleroute. Par l'intermédiaire de cette plateforme, la société Mainfreight a confié, le 3 mars 2015, à la société italienne Apulia Tir, un transport de marchandises entre l'Italie et la France. Le chargement ayant été volé, la société Mainfreight, assignée par son client devant une juridiction française en réparation du préjudice subi, a appelé en garantie la société Alpega. Se prévalant de la clause attributive de juridiction au profit des tribunaux belges, stipulée dans ses conditions générales, celle-ci a décliné la compétence de la juridiction saisie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

2. La société Mainfreight fait grief à l'arrêt de dire la juridiction française incompétente, alors « que l'application de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis est subordonnée à la reconnaissance du caractère international de la situation qui s'apprécie, pour des motifs de sécurité juridique, au moment de la conclusion de la clause attributive de juridiction ; que la seule circonstance que l'exécution du contrat permette, par la suite, à l'un des cocontractants de conclure un contrat qui a un caractère international, n'est pas de nature à conférer à la situation, au moment de la conclusion du contrat, un caractère international ; qu'en retenant que le litige était né à l'occasion d'une opération de transport international, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser la situation internationale, à laquelle l'application de ce texte est subordonnée et qu'elle a violé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 25.1 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Règlement Bruxelles I bis) :

3. Selon ce texte, la validité de la clause attributive de compétence désignant la juridiction d'un Etat membre, est subordonnée à la reconnaissance du caractère international de la situation qui s'apprécie, pour des motifs de sécurité juridique, au moment de la conclusion de la clause.

4. Pour déclarer la juridiction française incompétente, l'arrêt retient que le différend trouve son origine dans un transport international de marchandises, ce qui constitue un élément d'extranéité suffisant.

5. En statuant ainsi, par un motif impropre à caractériser une situation internationale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Alpega aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alpega et la condamne à payer à la société Mainfreight la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Mainfreight France

Il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré les juridictions françaises incompétentes et d'avoir renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

Aux motifs que « les conditions générales du contrat de service de bourse de fret Teleroute stipulent en leur article 13.6 : "Seul le droit belge sera d'application pour l'exécution, l'interprétation et la mise en oeuvre de la convention. Les cours et tribunaux de Bruxelles seront seuls compétents pour connaître des litiges pouvant découler de la présente convention." (pièce Alpega n° 3) ; que l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose : "Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue : a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée" ; que les critères d'application de l'article 25.1 du règlement sont : - l'existence d'une convention écrite ou dans une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; - le domicile d'une partie au moins sur le territoire d'un Etat membre ; - la désignation d'un tribunal ou des tribunaux d'un Etat contractant ; - une situation internationale ; que la société Mainfreight conteste, au soutien de la compétence des juridictions françaises, d'une part, l'opposabilité de la clause attributive de juridiction, d'autre part, l'internationalité du litige ; que, sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction, il appartient à celui qui invoque l'application de la clause attributive de compétence de faire la démonstration de ce que le cocontractant a été informé et a explicitement ou tacitement accepté les termes des conditions générales au moment où la convention s'est formée ; qu'en l'espèce, le contrat Teleroute se présente en un contrat auquel sont jointes les annexes 1 - liste des utilisateurs, 2 - conditions générales relatives à l'utilisation des produits Teleroute, 3 - formulaire d'autorisation de prélèvement automatique, 4 - services Teleroute et tarifs, et les conditions particulières Teleroute ; que ce contrat, en sa page 2, portant la signature de Teleroute et de comporte la mention suivante : "les annexes définies en page 1 (en ce compris notamment les conditions générales relatives à l'utilisation des produits Teleroute (jointes en annexe 2) et les conditions particulières Teleroute) sont jointes à ce contrat et en forment partie intégrante. Le client déclare en avoir pris connaissance et les accepter sans réserve" (pièce Alpega n° 3) ; qu'il se déduit de cette mention que la société Mainfreight a eu connaissance des conditions générales de Teleroute lors de la formation du contrat et les a expressément approuvées ; que la clause de l'article 13.6 de ces conditions est, en conséquence, opposable à Mainfreight ; que, sur le caractère international du litige, l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis reconnaît la validité de la clause attributive de juridiction aux seules conditions que l'une des parties au moins soit domiciliée sur le territoire d'un Etat membre et que la juridiction désignée soit celle d'un Etat membre ; qu'en l'espèce, les parties sont domiciliées sur le territoire d'Etats différents de l'Union européenne ; que la juridiction désignée est celle d'un Etat membre ; qu'au surplus, l'opération de transport objet du litige porte sur un déplacement de marchandises entre Etats différents, d'Italie vers la France, a fait l'objet d'une lettre de voiture CMR et constitue dès lors un transport international ; qu'il en ressort des éléments d'extranéité suffisants à établir le caractère international du litige ; que la clause attributive de juridiction a vocation à s'appliquer au présent litige ; qu'en conséquence, la cour infirmera le jugement entrepris, dira les juridictions françaises incompétentes et, conformément à l'article 96 du code de procédure civile, renverra les parties à mieux se pourvoir » (arrêt, p. 3 et 4).

1°) Alors, d'une part, que l'application de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis est subordonnée à la reconnaissance du caractère international de la situation qui s'apprécie, pour des motifs de sécurité juridique, au moment de la conclusion de la clause attributive de juridiction ; qu'en retenant, pour dire cette condition satisfaite, que les parties sont domiciliées sur le territoire d'Etats différents de l'Union européenne, sans rechercher, comme y était invitée (conclusions d'appel, pts. 2.1.1 et 2.1.2, p. 5 et s.) si, à la date de conclusion du contrat, le 3 mai 2013, la société Téléroute France, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société de droit belge Alpega, n'était pas une société de droit français ayant, à ce titre, son siège en France, tout comme la société Mainfreight France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

2°) Alors, d'autre part, que l'application de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis est subordonnée à la reconnaissance du caractère international de la situation, laquelle ne peut dépendre de la seule désignation par les parties d'une juridiction étrangère ; qu'en affirmant, pour retenir le caractère international de la situation que la juridiction désignée est celle d'un Etat membre, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

3°) Alors, enfin, que l'application de l'article 25.1 du règlement Bruxelles I bis est subordonnée à la reconnaissance du caractère international de la situation qui s'apprécie, pour des motifs de sécurité juridique, au moment de la conclusion de la clause attributive de juridiction ; que la seule circonstance que l'exécution du contrat permette, par la suite, à l'un des cocontractants de conclure un contrat qui a un caractère international, n'est pas de nature à conférer à la situation, au moment de la conclusion du contrat, un caractère international ; qu'en retenant que le litige était né à l'occasion d'une opération de transport international, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser la situation internationale à laquelle l'application de ce texte est subordonnée et qu'elle a violé.

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