15 octobre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-14.993

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:C100744

Titres et sommaires

MINEUR - Assistance éducative - Intervention du juge des enfants - Mesures d'assistance - Placement - Aide sociale à l'enfance - Conditions - Minorité - Absence d'acte d'état civil probant - Examen du caractère vraisemblable de l'âge allégué - Nécessité

Il se déduit des articles 375, alinéa 1, et 388, alinéas 1 et 2, du code civil que lorsque le juge, saisi d'une demande de protection d'un mineur au titre de l'assistance éducative, constate que les actes de l'état civil étrangers produits ne sont pas probants, au sens de l'article 47 du code civil, il ne peut rejeter cette demande sans examiner le caractère vraisemblable de l'âge allégué et, le cas échéant, ordonner un examen radiologique osseux

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 octobre 2020




Cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 744 FS-P

Pourvoi n° K 20-14.993

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. A....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 février 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 OCTOBRE 2020

M. N... A..., domicilié chez M. B... Y..., [...] , a formé le pourvoi n° K 20-14.993 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2019 par la cour d'appel de Rouen (chambre spéciale des mineurs), dans le litige l'opposant :

1°/ au président du conseil départemental de la Seine-Maritime, domicilié [...] ,

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Rouen, domicilié en son parquet général, 36 rue aux Juifs, 76037 Rouen cedex 1,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent, avocat de M. A..., de la SARL Cabinet Briard, avocat du président du conseil départemental de la Seine-Maritime, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 19 novembre 2019), par jugement du 24 avril 2019, le juge des enfants a confié N... A..., se disant né le [...] à Conakry (Guinée), au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime jusqu'au 12 juin 2021, date de sa majorité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. N... A... fait grief à l'arrêt de constater que sa minorité n'est pas établie et, en conséquence, de prononcer un non-lieu à assistance éducative, alors « que le juge ne peut écarter la minorité d'un jeune migrant invoquant le bénéfice de mesures d'assistance éducative sans se fonder sur des éléments de nature à établir que l'âge allégué par celui-ci ne correspond pas à la réalité ; qu'en l'espèce, pour juger que la minorité de l'exposant n'était pas établie et qu'il n'y avait pas lieu à assistance éducative à son égard, la cour d'appel s'est bornée à écarter la force probante des documents d'état civil qui lui étaient soumis ; qu'en ne recherchant pas, au besoin en ordonnant une mesure d'instruction, s'il existait une discordance entre l'âge allégué par l'exposant et son âge réel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 375 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 375, alinéa 1er, et 388, alinéas 1 et 2, du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice.

5. Selon le second, le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge peuvent être réalisés, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé.

6. Il se déduit de ces dispositions que lorsque le juge, saisi d'une demande de protection d'un mineur au titre de l'assistance éducative, constate que les actes de l'état civil étrangers produits ne sont pas probants, au sens de l'article 47 du code civil, il ne peut rejeter cette demande sans examiner le caractère vraisemblable de l'âge allégué et, le cas échéant, ordonner un examen radiologique osseux.

7. Pour refuser le bénéfice de l'assistance éducative à N... A..., l'arrêt relève qu'au regard des incohérences manifestes des documents de l'état civil produits, la présomption de régularité édictée par l'article 47 du code civil est renversée, de sorte que sa minorité ne peut être retenue.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si l'âge allégué par l'intéressé n'était pas vraisemblable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen autrement composée ;

Condamne le conseil départemental de la Seine-Maritime aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze octobre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Melka-Prigent, avocat aux Conseils, pour M. A...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la minorité d'N... A... n'était pas établie, d'avoir dit n'y avoir lieu à assistance éducative à l'égard de ce dernier, et d'avoir en conséquence ordonné la mainlevée de son placement et déchargé l'aide sociale à l'enfance de Seine-Maritime de sa prise en charge ;

AUX MOTIFS QUE

« La procédure d'assistance éducative est applicable à tous les mineurs non émancipés qui se trouvent sur le territoire français quelle que soit leur nationalité, si leur santé, leur moralité, leur sécurité sont en danger ou si les conditions de leur éducation ou de leur développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises.

Aux termes de l'article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes en usage dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Enfin, conformément aux dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l'espèce, N... A... produit plusieurs documents d'état civil dont l'ensemble des mentions le font apparaître comme étant né le [...] :

- un extrait d'acte de naissance en original légalisé et établi le 23 juin 2003,
- un jugement supplétif n°2111 du 05 février 2019 établi à la demande de Monsieur H... A..., pour son fils N... H... A...,
- un nouveau jugement supplétif n°2111 du 05 février 2019, établi à la demande de Q... A..., née en 1984, pour N... H... A....

Ces différents documents sont légalisés, cette légalisation attestant de l'authenticité formelle des actes et donc du fait qu'ils ont été faits "dans les formes en usage" en Guinée. Dans ces conditions, il y a lieu d'appliquer la présomption édictée par l'article 47 du code civil.

Pour autant, cette présomption n'est pas irréfragable et c'est dans ces conditions que l'aide sociale à l'enfance de Seine-Maritime souligne différentes incohérences dans ces documents. Ainsi, en application des dispositions prévues en Guinée, la déclaration de naissance réalisée dans les quinze jours de celle-ci rend inutile l'établissement d'un jugement supplétif, lequel vient pallier l'absence de document établi en temps utile. Dès lors, aucun jugement supplétif n'aurait dû être établi au profit d'N... A.... Par ailleurs, le parfait état du document établi en 2003 questionne sur son authenticité.

Bien plus, force est de constater que les jugements supplétifs produits par N... A... comportent des mentions tendant à renverser la présomption de l'article 47 dès lors qu'ils contiennent des mentions incohérentes faisant douter de leur régularité : le premier jugement supplétif est établi à la demande du père d'N... A..., ce dernier ayant affirmé lors de l'évaluation par le SEMNA que son père est décédé depuis une dizaine d'années. Contrairement aux dires de l'intéressé, il ne peut s'agir d'un autre membre de la famille en ce qu'il est expressément mentionné que le jugement est établi "pour son fils". Si cette anomalie voulait être couverte par la production d'un nouveau jugement supplétif, d'autres incohérences apparaissent, le nouveau jugement supplétif étant établi, le même jour, avec la même composition du tribunal en Guinée et exactement le même numéro de minute. Enfin, ces deux jugements supplétifs ont été établis le 05 février 2019, date correspondant à l'arrivée de l'intéressé sur le territoire national, alors même qu'il a prétendu avoir sollicité les jugements supplétifs sur invitation de l'association Itinérance, basée sur le ressort de Dieppe, région qu'il a pu rejoindre le 05 février 2019.

Dans ces conditions, au regard des incohérences manifestes portées par les documents d'état civil produits par N... A..., la présomption de régularité édictée par l'article 47 est renversée, ne permettant pas de retenir sa minorité.

Il convient d'infirmer le jugement entrepris et de dire n'y avoir lieu à assistance éducative et en conséquence d'ordonner la mainlevée du placement de N... A... à l'Aide Sociale à l'Enfance » ;

1°) ALORS QUE tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte luimême établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que la cour d'appel a constaté que l'exposant produisait un extrait d'acte de naissance légalisé établi le 23 juin 2003 le faisant apparaître comme étant né le [...] ; qu'en se bornant à retenir, pour juger que la présomption de régularité de ce document devrait être renversée, que « le parfait état du document établi en 2003 questionne sur son authenticité », sans relever l'existence d'anomalies concrètes permettant d'établir que cet acte serait irrégulier, falsifié ou erroné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 47 du code civil ;

2°) ALORS QU' à moins qu'ils soient indissociables, la force probante des documents d'état civil produits par une personne doivent être analysés séparément ; qu'en se fondant, pour juger que la présomption de régularité de l'extrait d'acte de naissance légalisé produit par l'exposant devrait être renversée, sur la circonstance que les jugements supplétifs établis postérieurement à cet acte de naissance étaient inutiles et contenaient des mentions incohérentes, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 47 du code civil ;

3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le juge ne peut écarter la minorité d'un jeune migrant invoquant le bénéfice de mesures d'assistance éducative sans se fonder sur des éléments de nature à établir que l'âge allégué par celui-ci ne correspond pas à la réalité ; qu'en l'espèce, pour juger que la minorité de l'exposant n'était pas établie et qu'il n'y avait pas lieu à assistance éducative à son égard, la cour d'appel s'est bornée à écarter la force probante des documents d'état civil qui lui étaient soumis ; qu'en ne recherchant pas, au besoin en ordonnant une mesure d'instruction, s'il existait une discordance entre l'âge allégué par l'exposant et son âge réel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 375 du code civil.

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