12 novembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-18.849

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:CO00639

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Sauvegarde - Période d'observation - Arrêt des poursuites individuelles - Exequatur d'une sentence arbitrale internationale - Portée

Si l'exequatur d'une sentence arbitrale internationale ayant condamné un débiteur à payer une somme d'argent ne saurait, sans méconnaître le principe de l'arrêt des poursuites individuelles contre ce débiteur mis en procédure de sauvegarde, avoir pour effet de conférer à la sentence la force exécutoire d'une décision de condamnation du débiteur, en revanche l'exequatur de la sentence peut être accordé, à la demande du créancier, dans le but exclusif de lui permettre de faire reconnaître son droit de créance lorsque celui-ci est contesté devant le juge-commissaire

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Sentence étrangère - Exequatur en France - Décision - Portée

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 novembre 2020




Rejet


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 639 F-P+B

Pourvoi n° F 19-18.849




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 NOVEMBRE 2020

1°/ la société IPSA Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ la société CBF associés, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. Q... B..., agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société IPSA Holding,

3°/ la société I...-O..., société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en la personne de Mme E... O..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société IPSA Holding,

ont formé le pourvoi n° F 19-18.849 contre l'arrêt rendu le 14 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Alpha Petrovision Holding AG, dont le siège est [...] (Suisse), prise en la personne de son liquidateur amiable, défenderesse à la cassation.

La société Alpha Petrovision Holding AG a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat des sociétés IPSA Holding, CBF associés, ès qualités, et I...-O..., ès qualités, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Alpha Petrovision Holding AG, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mai 2019), par une convention du 9 septembre 2011, la société de droit suisse Alpha Petrovision Holding (la société APV) a cédé à la société ACG Private Equity (la société ACG) la totalité des titres de la société de droit français IPSA, gestionnaire de fonds communs de placement, moyennant le prix de 1 euro dans l'attente de la liquidation des fonds, et de deux compléments de prix, l'un représentant 50 % du résultat de la société IPSA, dit Earn Out, et l'autre assis sur les performances des fonds. En mars 2012, la société ACG a cédé les titres à la société de droit français IPSA Holding qui s'est substituée à la société ACG dans l'ensemble de ses droits et obligations.

2. Le 12 novembre 2014, la société APV a engagé une procédure d‘arbitrage pour régler un différend relatif au paiement des compléments de prix. Le tribunal arbitral a rendu à Zurich, le 23 décembre 2016, une sentence condamnant la société IPSA Holding à payer à la société APV une somme de 3 310 399,16 euros en principal et intérêts, outre intérêts ultérieurs, frais et dépens.


3. Le 9 janvier 2017, un tribunal a ouvert la procédure de sauvegarde de la société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B..., étant désignée administrateur, et la société I... O..., en la personne de Mme O..., étant désignée mandataire judiciaire. La société APV a déclaré sa créance qui a été contestée.

4. Le 8 mars 2017, la société APV, en liquidation amiable, a déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence arbitrale en demandant la délivrance d'une expédition revêtue de la formule exécutoire. Il y a été fait droit par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 10 mars 2017 qui a déclaré la sentence exécutoire. La société IPSA Holding a fait appel de l'ordonnance.

5. Par une ordonnance du 22 mai 2018, le juge-commissaire, saisi de la demande d'admission de la créance de la société APV, a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel statuant sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident qui est préalable

Enoncé du moyen

6. La société APV fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, alors « que l'exequatur n'étant pas un acte d'exécution, l'ouverture en France d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur condamné par un tribunal arbitral à l'étranger est sans incidence sur l'exequatur de la sentence arbitrale ; qu'en considérant, pour infirmer l'ordonnance d'exequatur du 10 mars 2017 en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, que l'exequatur ne pourrait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence et ne saurait, sans méconnaître le principe d'arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement, la cour d'appel a estimé à tort que l'exequatur serait une mesure d'exécution forcée et a violé l'article 1516 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt énonce que le principe de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers est à la fois d'ordre public interne et international et, après avoir relevé que la sentence litigieuse du 23 décembre 2016, revêtue dès sa reddition, de l'autorité de chose jugée, avait condamné la société IPSA Holding à payer diverses sommes à la société APV, et que le tribunal a ouvert la procédure de sauvegarde de la société IPSA Holding le 9 janvier 2017, retient exactement que l'exequatur ne saurait, sans méconnaître le principe susvisé, rendre exécutoire une condamnation du débiteur à paiement de sommes d'argent.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B..., ès qualités, et la société I...-O..., en la personne de Mme O..., ès qualités, font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 624-2 du code de commerce qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la sauvegarde du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne peut faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances ; que seule une décision par laquelle le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée et sursoit à statuer, en conséquence, sur son admission, peut inviter les parties à saisir la juridiction compétente ; qu'il s'ensuit qu'après avoir déclaré sa créance, un créancier ne peut saisir directement le juge d'une demande d'exequatur ou de reconnaissance d'une sentence arbitrale et doit attendre la décision du juge-commissaire l'invitant à saisir le juge compétent, lors même que la contestation ou la créance ne relève pas, a priori, du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire ; qu'en statuant comme elle a fait, après avoir constaté que la société IPSA Holding avait été placée en sauvegarde par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 janvier 2017, que la société APV avait déclaré sa créance au passif de la société IPSA Holding le 16 février 2017 et ensuite déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence le 8 mars 2017, sans attendre la décision du juge-commissaire qui a seul le pouvoir de statuer sur la régularité de la déclaration de créance, lequel ne s'est prononcé que par une ordonnance du 22 mai 2018 en ordonnance uniquement un sursis à statuer, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 622-21, L. 622-22, L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, ensemble l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en confirmant l'ordonnance du 10 mars 2017 rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, en ce qu'elle emportait reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016, la société APV sollicitant pourtant uniquement, dans ses dernières conclusions, la confirmation de cette ordonnance en ce qu'elle avait conféré l'exequatur à la sentence arbitrale, sans en demander la reconnaissance, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge doit observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que dans les circonstances de l'espèce, l'exequatur ne pouvait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence, sans préalablement inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. L'arrêt retient que la sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l'article 1525 du code de procédure civile, que par la voie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur et pour les motifs limitativement énumérés par ce texte, il appartient au créancier de solliciter l'exequatur lorsque la vérification des créances fait apparaître une contestation à l'égard de laquelle le juge-commissaire n'est pas compétent, que l'exequatur prononcé dans de telles circonstances ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence et que l'ordonnance d'exequatur rendue le 10 mars 2017, postérieurement à la déclaration de la créance résultant de la sentence, échappe au grief de violation du principe d'ordre public international de l'arrêt des poursuites individuelles du débiteur par les créanciers en ce qui concerne ce seul effet de reconnaissance. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui était saisie par la société APV de conclusions demandant l'exequatur de la sentence afin d'en intégrer les dispositions dans l'ordre juridique interne, a exactement déduit, sans méconnaître l'objet du litige ni le principe de la contradiction, que l'exequatur pouvait, en l'espèce, être accordé dans le but, non de conférer à la sentence arbitrale la force exécutoire d'une décision de condamnation du débiteur, mais exclusivement de permettre à la société APV de faire reconnaître son droit de créance.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B..., ès qualités, et la société I...-O..., en la personne de Mme O..., ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que dans ses dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 3 décembre 2018, la société IPSA Holding faisait très précisément valoir que la méconnaissance du principe de la contradiction par le tribunal arbitral résultait de ce que sa décision relative aux postes de dépenses, dans la seconde partie de sa sentence arbitrale, avait été prise en considération de critères qu'ils avaient définis dans la première partie de cette sentence, qui ne correspondaient ni à la position du demandeur à l'arbitrage, la société APV, pour laquelle toutes les charges devaient être traitées de la même manière, sans distinction, ni à celle du défendeur à l'arbitrage, la société IPSA Holding, laquelle estimait que toutes les dépenses exceptionnelles relatives à la gestion de la société avant le closing devaient être exclues du calcul du plafond de dépenses, puisque le tribunal arbitral avait au contraire jugé que ces dépenses ne devaient être exclues du calcul du plafond des dépenses que si elles résultaient de violation des déclarations et garanties prévues au contrat ; qu'elle ajoutait que ce qui était donc reproché au tribunal arbitral, c'est de ne pas l'avoir mise en mesure de fournir sa propre argumentation poste par poste s'agissant de ces dépenses, au regard des critères préalablement retenus dans la sentence ne correspondant pas à ceux proposés par les parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que la discussion des charges poste par poste avait été introduite dans le débat par la note de calcul déposée par la société IPSA Holding et contestée par la société APV, et qu'elle avait du reste été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société IPSA Holding, comme le relevait le tribunal fédéral suisse, sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Dès lors que le tribunal arbitral était saisi d'une discussion sur l'interprétation à donner à la clause de la convention de cession des titres fournissant les règles de calcul du complément de prix dit Earn out, supposant que soient déterminées les charges susceptibles d'être intégrées à ce calcul, la cour d'appel, en relevant que la société IPSA Holding avait remis au tribunal arbitral des documents détaillant, poste par poste, les différents éléments intervenant, selon elle, dans le calcul de l'Earn out, chacun des postes étant contesté par la société APV, et en retenant que la discussion des charges poste par poste avait été introduite dans le débat par la note de calcul déposée par la société IPSA Holding et contestée par la société APV, et avait été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société IPSA Holding, a répondu, en les écartant, aux conclusions invoquées.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour les sociétés IPSA Holding, CBF associés, ès qualités et I...-O..., ès qualités.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 10 mars 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016 entre les parties par un tribunal arbitral siégeant à Zurich ;

AUX MOTIFS QUE par une convention du 9 septembre 2011, la société de droit suisse Alpha Petrovision Holding A.G. (APV) a cédé à la société ACG Private Equity 100 % des titres de la société de droit français IPSA SAS gestionnaire de Fonds communs de placement, agréée par l'Autorité des marchés financiers. La cession était consentie moyennant le prix principal de un euro dans l'attente de la liquidation des fonds, et de deux compléments prix, l'un représentant 50 % du résultat d'IPSA (dit "Earn Out"), et l'autre assis sur les performances des fonds gérés par IPSA (dit "Carried Interest"). A la suite de la cession par ACG de 100 % de ses titres IPSA SAS à la société de droit français IPSA Holding SAS en mars 2012, APV, ACG et IPSA Holding ont signé le 3 juillet 2012 un avenant tripartite à la convention du 9 septembre 2011 confirmant la substitution d'IPSA Holding dans l'ensemble des droits et obligations d'ACG et la garantie par ACG des engagements d'IPSA Holding. Le 12 novembre 2014, APV a engagé une procédure d'arbitrage pour régler un différend relatif au paiement des compléments de prix. Le tribunal arbitral constitué de M. X... et de Mme N..., arbitres, ainsi que de M. R..., président, a rendu à Zurich le 23 décembre 2016 une sentence condamnant IPSA Holding SAS à payer une somme globale de 3.310.399, 16 euros en principal et intérêts, outre les intérêts ultérieurs, ainsi que des frais et dépens. Le 9 janvier 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de IPSA Holding. Un recours en annulation porté le 1er février 2017 devant le Tribunal fédéral suisse a été rejeté par un arrêt du 11 janvier 2018. Le 8 mars 2017 la société APV en liquidation amiable a déposé une requête aux fins d'exequatur en France de la sentence. Il y a été fait droit par une ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 10 mars 2017. IPSA Holding en a interjeté appel le 3 mai 2017. Les 16 février et 10 mai 2017, APV a déclaré sa créance au passif de IPSA Holding. Le juge-commissaire, saisi de la contestation de l'admission de la créance, a décidé de surseoir à statuer par une ordonnance du 22 mai 2018 dans l'attente de la décision de la cour sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur.

ET AUX MOTIFS QUE sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile) : IPSA Holding soutient que la requête en exequatur de la sentence ayant été présentée postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, l'ordonnance qui y a fait droit viole les principes d'ordre public international d'arrêt des poursuites et d'interdiction du paiement des créances antérieures. La SCP I...-O..., ès qualités de mandataire judiciaire de la société IPSA Holding, fait valoir, en se fondant sur l'article L. 622-22 du code de commerce, que le jugement d'ouverture prohibe toute attribution d'un titre exécutoire pouvant servir de fondement à une mesure d'exécution forcée, si bien qu'une décision rendue par une juridiction après reprise régulière d'une instance en cours à la date du jugement d'ouverture ne peut tendre qu'à la fixation de son montant. Elle en déduit qu'une ordonnance qui confère l'exequatur à une sentence arbitrale condamnant une partie en procédure collective de payer diverses sommes, est contraire à l'ordre public international. APV répond, en substance, que la décision prononçant l'exequatur a un caractère déclaratif, qu'elle ne fait que reconnaître la force exécutoire de la sentence rendue à l'étranger, que la requête aux fins d'exequatur n'est pas une action en justice tendant au paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce, que la requête en exequatur de la sentence ne constitue pas une instance en cours, dans la mesure où elle a été introduite postérieurement au jugement d'ouverture et où elle n'est pas la poursuite de la procédure arbitrale, laquelle a pris fin antérieurement à ce jugement, enfin, que l'ordonnance d'exequatur n'est pas une mesure d'exécution. Les principes de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, du dessaisissement du débiteur et de l'interruption de l'instance en cas de procédure d'insolvabilité, sont à la fois d'ordre public interne et international. Ils impliquent, en premier lieu, que lorsqu'une sentence arbitrale rendue à l'étranger a condamné au paiement d'une somme d'argent un débiteur à l'égard duquel une procédure collective est ouverte par un jugement ultérieur, le créancier ne peut solliciter son exequatur en France qu'après avoir déclaré sa créance. En second lieu, la sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l'article 1525 du code de procédure civile, que par la voie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur et pour les motifs énumérés par l'article 1525 du même code, il appartient au créancier de solliciter l'exequatur, lorsque la vérification des créances fait apparaître une contestation à l'égard de laquelle le juge-commissaire n'est pas compétent. L'exequatur prononcé dans de telles circonstances, ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence. Il ne saurait, sans méconnaître le principe d'arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement. En l'espèce, la sentence litigieuse, rendue à Zurich le 23 décembre 2016 et revêtue, dès sa reddition, de l'autorité de chose jugée, conformément aux articles 1506, 4° et 1484 du code de procédure civile, a condamné IPSA Holding SAS à payer diverses sommes à APV. Par un jugement du 9 janvier 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de IPSA Holding. Le 16 février 2017, APV a déclaré au passif la créance résultant de la sentence. L'ordonnance d'exequatur rendue le 10 mars 2017, postérieurement à cette déclaration, échappe donc au grief de violation des principes susvisés d'ordre public international en ce qui concerne son effet de reconnaissance et d'opposabilité en France de la sentence. Il convient, par conséquent confirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence, mais de l'infirmer en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent ;

1°) ALORS QU'il résulte des articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 624-2 du code de commerce, qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la sauvegarde judiciaire du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances ; que seule une décision par laquelle le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée et sursoit à statuer, en conséquence, sur son admission, peut inviter les parties à saisir la juridiction compétente ; qu'il s'ensuit qu'après avoir déclaré sa créance, un créancier ne peut saisir directement le juge d'une demande d'exequatur ou de reconnaissance d'une sentence arbitrale et doit attendre la décision du juge-commissaire l'invitant à saisir le juge compétent, lors même que la contestation ou la créance ne relève pas, a priori, du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la société Ipsa Holding avait été placée en sauvegarde judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 janvier 2017, que la société APV avait déclaré sa créance au passif de la société Ipsa Holding le 16 février 2017 et ensuite déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence le 8 mars 2017, sans attendre la décision du juge-commissaire qui a seul le pouvoir de statuer sur la régularité de la déclaration de créance, lequel ne s'est prononcé que par ordonnance du 22 mai 2018 en ordonnant uniquement un sursis à statuer, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 622-21, L. 622-22, L. 624-2, R. 624-5 du code de commerce, ensemble l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en confirmant l'ordonnance du 10 mars 2017 rendue par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, en ce qu'elle emportait reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016, la société APV sollicitant pourtant uniquement, dans ses dernières conclusions, la confirmation de cette ordonnance en ce qu'elle avait conféré l'exequatur à la sentence arbitrale (concl., p. 15), sans en demander la reconnaissance, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le juge doit observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que dans les circonstances de l'espèce, l'exequatur ne pouvait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence, sans préalablement inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 10 mars 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016 entre les parties par un tribunal arbitral siégeant à Zurich ;

AUX MOTIFS QUE sur le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction (article 1520, 4° du code de procédure civile) : Ipsa Holding fait valoir qu'après avoir énoncé la formule à appliquer pour le calcul de l'"Earnout" (sentence, § 125), donné son interprétation du terme "charges totales" figurant en annexe du SPA (sentence, § 138), et déterminé quelles charges devaient être exclues du calcul (sentence, § 132-143 et 146-156), seuls points sur lesquels avaient porté les débats, le tribunal arbitral a recalculé le montant de l' "Earn-out" en examinant chacun des postes de coût sans s'estimer lié par le rapport du cabinet d'audit [...] (PwC) alors que le choix de ce cabinet résultait de la convention des parties et qu'APV n'avait pas discuté le rapport d'audit poste par poste. Le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire. En l'espèce, il résulte de la sentence qu'Ipsa Holding a remis au tribunal arbitral non seulement le rapport de PwC, mais également des documents établis par elle-même et intitulés : "Note méthodologique" et "Note de calcul Earn-out"
(sentence, § 91), dont le second détaille, poste par poste, les différents éléments intervenant dans l'évaluation de l' "Earn-out", enfin que chacun de ces postes a été contesté par APV (sentence, § 164-165, § 170-171, § 176-177, § 182-183, § 188-189, § 193-194). Il apparaît, par conséquent, que la discussion des charges poste par poste a été introduite dans le débat par la "note de calcul" déposée par Ipsa et contestée par APV, et qu'elle a, du reste, été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société Ipsa, ainsi que le relève le Tribunal fédéral suisse. Le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction n'est donc pas fondé ;

ALORS QUE dans ses dernières conclusions d'appel (p. 30 et s), déposées et signifiées le 3 décembre 2018, la société Ipsa Holding faisait très précisément valoir que la méconnaissance du principe de la contradiction par le tribunal arbitral résultait de ce que sa décision relative aux postes de dépenses, dans la seconde partie de sa sentence arbitrale, avait été prise en considération de critères qu'ils avaient définis dans la première partie de cette sentence, qui ne correspondaient ni à la position du demandeur à l'arbitrage, la société APV, pour laquelle toutes les charges devaient être traitées de la même manière, sans distinction, ni à celle du défendeur à l'arbitrage, la société Ipsa Holding, laquelle estimait que toutes les dépenses exceptionnelles relatives à la gestion de la société avant le closing devaient être exclues du calcul du plafond de dépenses, puisque le tribunal arbitral avait au contraire jugé que ces dépenses ne devaient être exclues du calcul du plafond des dépenses que si elles résultaient de violation des déclarations et garanties prévues au contrat ; qu'elle ajoutait que ce qui était donc reproché au tribunal arbitral, c'est de ne pas l'avoir mise en mesure de fournir sa propre argumentation poste par poste s'agissant de ces dépenses, au regard des critères préalablement retenus dans la sentence ne correspondant pas à ceux proposés par les parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que la discussion des charges poste par poste avait été introduite dans le débat par la note de calcul déposée par la société Ipsa Holding et contestée par la société APV, et qu'elle avait dû reste été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société Ipsa Holding, comme le relevait le tribunal fédéral suisse, sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Alpha Petrovision Holding AG.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance rendue le 10 mars 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent ;

aux motifs que : « sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile) : (
) Les principes de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, du dessaisissement du débiteur et de l'interruption de l'instance en cas de procédure d'insolvabilité, sont à la fois d'ordre public interne et international. Ils impliquent, en premier lieu, que lorsqu'une sentence arbitrale rendue à l'étranger a condamné au paiement d'une somme d'argent un débiteur à l'égard duquel une procédure collective est ouverte par un jugement ultérieur, le créancier ne peut solliciter son exequatur en France qu'après avoir déclaré sa créance. En second lieu, la sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l'article 1525 du code de procédure civile, que par la voie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur et pour les motifs énumérés par l'article 1525 du même code, il appartient au créancier de solliciter l'exequatur, lorsque la vérification des créances fait apparaître une contestation à l'égard de laquelle le juge-commissaire n'est pas compétent. L'exequatur prononcé dans de telles circonstances, ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence. Il ne saurait, sans méconnaître le principe d'arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement. En l'espèce, la sentence litigieuse, rendue à Zurich le 23 décembre 2016 et revêtue, dès sa reddition, de l'autorité de chose jugée, conformément aux articles 1506, 4° et 1484 du code de procédure civile, a condamné Ipsa Holding SAS à payer diverses sommes à APV. Par un jugement du 9 janvier 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de Ipsa Holding. Le 16 février 2017, APV a déclaré au passif la créance résultant de la sentence. L'ordonnance d'exequatur rendue le 10 mars 2017, postérieurement à cette déclaration, échappe donc au grief de violation des principes susvisés d'ordre public international en ce qui concerne son effet de reconnaissance et d'opposabilité en France de la sentence. Il convient, par conséquent de confirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence, mais de l'infirmer en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent » ;

alors que l'exequatur n'étant pas un acte d'exécution, l'ouverture en France d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur condamné par un tribunal arbitral à l'étranger est sans incidence sur l'exequatur de la sentence arbitrale ; qu'en considérant, pour infirmer l'ordonnance d'exequatur du 10 mars 2017 en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, que l'exequatur ne pourrait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence et ne saurait, sans méconnaître le principe d'arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement, la cour d'appel a estimé à tort que l'exequatur serait une mesure d'exécution forcée et a violé l'article 1516 du code de procédure civile.

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