2 décembre 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 14/11428

Pôle 6 - Chambre 4

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 02 Décembre 2020

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/11428 - N° Portalis 35L7-V-B66-BU4JD



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mai 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 12/09927



APPELANTE



Mme [J] [R] épouse [Z]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Aline CHANU, avocat au barreau de PARIS, toque : R222 substitué par Me Florent HENNEQUIN de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R222



INTIMEE



SA HSBC FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-sébastien CAPISANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107 substitué par Me Mathilde GAGEY-GOMIS de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Bruno BLANC, Président

Olivier MANSION, Conseiller

Anne-Gaël BLANC, Conseillère

qui en ont délibéré





Greffier : Victoria RENARD, lors des débats





ARRET :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bruno BLANC, Président et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.






















EXPOSÉ DU LITIGE :



Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige à l'arrêt du 3 avril 2019 qui a déclaré l'appel recevable et a ordonné la production, sous astreinte, de divers documents.



La salariée a été licenciée pour inaptitude le 18 juin 2018.



Elle demande, au regard, selon elle, d'une discrimination fondée sur son sexe et son appartenance syndicale, le paiement des sommes de :

- 132.123,93 € de rappel de salaires, ou à titre subsidiaire 106.109,92 €, ou à titre infiniment subsidiaire 88.549,93 €,

- 13.212,39 € de congés payés afférents, ou à titre subsidiaire 10.610,99 €, ou à titre infiniment subsidiaire 8.854,99 €,

- 207.800 € de dommages et intérêts pour préjudice financier et professionnel,

- 60.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- 98.250 € au titre de la liquidation de l'astreinte,

- 11.213,34 € d'indemnité de préavis,

- 1.121,33 € de congés payés afférents,

- 15.874,36 € de rappel sur indemnité de licenciement, ou à titre subsidiaire 12.973,63 €, ou à titre infiniment subsidiaire 11.090,08 €,

- 134.561 € pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 21.426 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- les intérêts au taux légal à compter avec anatocisme,

- 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

et réclame la délivrance sous astreinte de 250 € par jour de retard des bulletins de paie conformes au présent arrêt.



L'employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties remises à l'audience du 26 octobre 2020.




MOTIFS :



Sur la liquidation de l'astreinte :



L'arrêt du 29 avril 2019 a prévu la production de divers documents concernant 19 salariés sous astreinte non définitive de 250 € par jour de retard passé un délai de deux mois à compter de cette décision.

L'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

Cette astreinte est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.



En l'espèce, l'employeur indique qu'il a produit les bulletins de décembre des 19 salariés inclus dans le panel de comparaison de 2006 à 2018.

Il précise que pour les années antérieures à 2006, il ne peut techniquement éditer des bulletins de salaire pour ces dates en raison de la modification des outils de paie à partir de 2006.

Il ajoute qu'il n'y pas lieu à production de ces bulletins au regard de ceux qu'il produit sur une période de 18 années et qui sont suffisants pour rendre compte de l'évolution salariale des intéressés.





La modification alléguée n'est pas une cause étrangère en ce qu'elle résulte de la seule action de l'employeur.

Toutefois, force est de constater que l'employeur s'est exécuté en partie sur une période de 12 années ce qui permet de retracer une évolution salariale suffisante pour apprécier la discrimination invoquée.

Au regard du comportement de l'employeur, l'astreinte sera liquidée à hauteur de 20.000 €.



Sur la discrimination :



L'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 dispose : 'Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable'.

En application des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination et à l'employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



En l'espèce, la salariée indique que l'évolution de sa carrière a été anormalement lente alors qu'elle exerçait les mandats de déléguée syndicale et de déléguée du personnel et se réfère à un panel de comparaison portant sur 19 salariés, tous cadres.

Ce panel permet de retenir qu'au regard du salaire moyen brut par année, de 2006 à 2018, la salariée, chargée de mission, a présenté un retard de salaire pour les niveaux E et F pendant toutes ces années, sauf en 2017, et de façon substantielle entre 12.853 € et 6.158 €, notamment par rapport à ses collègues masculins.

Elle ajoute qu'elle n'a pas fait l'objet d'évaluation depuis 2011.

Ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination.



L'employeur conteste cette analyse en rappelant que la salariée de niveau E puis de niveau F à partir de 2010 a bénéficié d'une augmentation de salaire en conséquence, et pour un montant toujours supérieur au minimum conventionnel.

Il ajoute qu'il a mis en oeuvre l'accord du 30 octobre 2007 relatif à l'exercice du droit syndical au sein des entreprises de l'UES lequel prévoit notamment un examen annuel de situation et la possibilité de soumettre des situations particulières à des contrôles.

Il critique le panel de comparaison en soutenant que les salariés choisis ne sont pas dans une situation comparable : MM. [U], [M], Mmes [E], [S], [V] et [G] ont des diplômes supérieurs, M. [N] et Mmes [W] et [A] ont été engagés en 1974, en 1982 pour la salariée.

Pour MM. [D], [T], [O], [K] et Mmes [P], [Y] et [L] il est établi que la différence de traitement correspond à de meilleures capacités professionnelles et à une plus grande mobilité.

Il est rappelé que la salariée a fait l'objet de deux lettres d'observation en 1998 pour la qualité de son travail (pièce n°28).

L'employeur relève également des incohérences sur la composition du panel de comparaison entre des salariés occupant la fonction de chargée d'accueil et un autre directeur d'agence, des différences dans les années de recrutement entre 1973 et 2001.



De plus, sur la discrimination syndicale, l'employeur se reporte à la comparaison qu'il a effectuée en prenant un panel de salariés placés dans une situation comparable (pièce n°43) pour montrer une évolution comparable (pièces n°49 et 50) ainsi qu'aux analyses de la direction des relations sociales (pièce n°72) pour retenir une rémunération de la salariée systématiquement supérieure à la moyenne des rémunérations annuelles emploi-type.



Sur la discrimination fondée sur le sexe, il est relevé, sur la base d'un rapport adressé en 2010 (pièce n°53), que 57 % des collaborateurs sont des femmes qui représentent 47 % des cadres et 32 % des directeurs d'agence. Ce rapport ajoute que les femmes représentent 60 % des techniciens promus comme cadres.

La salariée précise, sur ce dernier point, que sa situation a été moins favorable que celles de MM. [B] et [C], également titulaires de mandats syndicaux, avec passage au niveau H en 2011, alors qu'elle est passée à ce niveau en 2013, avec une ancienneté comparable.

Cependant, M. [C] est titulaire d'une licence, soit un diplôme supérieur à celui de la salariée, ce qui n'est pas le cas de M. [B].



Au regard des éléments produits, force est de constater que l'employeur apporte d'explications convaincantes quant à la situation de la salariée qui a connu une évolution de carrière plus favorable que certains salariés placés dans une situation comparable, la rémunération moyenne perçue étant supérieure à la moyenne des autres salariés, lesquels ont connu un maintien identique dans le même poste au regard du panel retenu (pièce n°43) et des fiches individuelles arrêtées en mars 2014 (pièces n° 30 à 42) correspond à la liste des salariés retenus dans le panel.

Une évolution n'est pas établie après mars 2014.

De plus, sur l'absence d'évaluation depuis 2011, l'employeur se reporte à l'accord relatif à l'exercice du droit syndical au sein de l'UES (pièce n°4) qui prévoit, pour les mandats syndicaux à plein temps, dans son chapitre II, §2.3 un entretien annuel de développement avec un compte-rendu synthétique, distinct du compte rendu d'évaluation.

En conséquence, la discrimination syndicale ne sera pas retenue.

De même, la seule situation de M. [B] ne suffit pas à faire présumer la discrimination fondée sur le sexe. De plus, l'employeur justifie d'une rémunération moyenne annuelle comparable aux salariés masculins (pièce n°43, 48 à 51).

En l'absence de discrimination retenue, les demandes de rappel et de dommages et intérêts pour préjudice financier et professionnel seront rejetées.



Sur le harcèlement moral :



En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



En l'espèce, la salariée invoque comme éléments une accusation abusive d'absence injustifiée le 30 octobre 2017, des remarques et les conditions de reprise de travail vexatoires, l'absence d'attribution des moyens nécessaires à l'exécution de ses missions, sa mise à l'écart, l'attribution de tâches inutiles, la proposition de passage à 50 %, un refus de prise ne compte de sa promotion au poste d'assistante commerciale et des remarques désobligeantes de la part de la directrice d'agence le 1er février 2018, le tout ayant entraîné une dégradation de son état de santé en raison de l'inaptitude constatée par le médecin du travail le 24 avril 2018.





La salariée procède par affirmation et ne présente des éléments que pour les griefs liés à l'accusation abusive d'absence injustifiée, la proposition de passage à 50 % et le refus de prise en compte de sa promotion.



Il sera relevé également que le médecin du travail indique que l'inaptitude constatée n'est pas d'origine professionnelle.



Les trois éléments ci-avant retenus, pris dans leur ensemble, font présumer l'existence d'un harcèlement moral.



L'employeur indique que la salariée a exercé simultanément 6 mandats distincts à compter de janvier 2009 représentant 110 heures de délégation par mois, d'où la nécessité de prévoir un temps d'adaptation à partir de novembre 2017 lors de la reprise d'un travail effectif à temps complet à la suite de la fin des mandats (pièce n°N 23).

Sur les absences injustifiées, l'employeur se reporte aux mails produits par la salariée pour lui rappeler qu'elle devait se présenter à son poste de travail à la suite de la fin des ses mandats sans qu'il soit nécessaire de le lui rappeler, ce qu'elle n'a pas fait, d'où les absences constatées.

L'employeur établit (pièces n°30 et 35) que la salariée a demandé à bénéficier d'un contrat de travail à temps partiel d'où la proposition d'un avenant soumis à sa signature le 16 janvier 2018.

Sur le poste d'assistante commerciale, l'employeur démontre qu'il s'agit d'une appellation propre au profil informatique nécessaire lors de son retour (pièce n°35) mais que le poste occupé était bien celui de chargée d'accueil comme figurant sur les bulletins de paie.

Les explications objectives apportées permettent d'écarter la présomption de harcèlement moral et de rejeter la demande de dommages et intérêts formée à ce titre.



Sur le licenciement :



1°) De ce qui précède, la nullité du licenciement ne peut être retenue ni pour harcèlement moral ni pour discrimination, le licenciement étant intervenu pour une inaptitude qualifiée de non-professionnelle par le médecin du travail (pièce n°70).



2°) La salariée indique que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas en compte les alertes de la salariée.

Cette souffrance a été exprimée dans lettre du 5 mars 2018 (pièce n°30).

Cependant, l'inaptitude à l'origine du licenciement n'a pas d'origine professionnelle comme le retient le médecin du travail, de sorte que le manquement allégué est sans incidence sur la rupture du contrat de travail.

Les demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seront rejetées comme celles portant sur un rappel d'indemnité de licenciement.



3°) Le médecin du travail indique que l'inaptitude constatée entraîne dispense de l'obligation de reclassement.

La salariée soutient que le comité social et économique (CSE) aurait dû être consulté au visa des articles L. 1226-2, L. 1226-10 et L. 1226-20 du code du travail.



L'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de celle de l'ordonnance du 22 septembre 2017 dispose que la proposition de reclassement de l'employeur prend en compte après avis du CSE lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

L'article L. 1226-2-1 du même code ajoute que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.



Ici, le médecin du travail indique, le 24 avril 2018 : 'inaptitude d'origine non professionnelle, avec ce modèle d'avis du médecin du travail, il y a dispense d'obligation de reclassement (article L. 1226-2-1)'.



Il en résulte que l'inaptitude est totale puisque le médecin a coché la case 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Dans cette hypothèse, l'avis du CSE est inutile dès lors que le reclassement est impossible et que ce comité n'a pas de compétence pour remettre en cause l'appréciation du médecin du travail, son éventuel avis ne pouvant se borner qu'à ce constat.

En l'espèce, il importe donc peu que le CSE n'ait pas été consulté.

Le licenciement est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui implique de rejeter les demandes pécuniaires de la salariée sur ce point.



Sur les autres demandes :



1°) La salariée demande des dommages et intérêts pour préjudice moral sans démontrer l'existence de ce préjudice.

Cette demande sera écartée.



2°) La demande portant sur les intérêts et la remise de documents deviennent sans objet.



3°) Les demandes formées au visa de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.



La salariée supportera les dépens de première instance et d'appel, étant précisé que les dispositions de l'article L.111-8 du code des procédures civiles d'exécution prévoient la répartition des frais d'exécution forcée et de recouvrement entre le créancier et le débiteur et le recours au juge chargé de l'exécution dans certains cas et qu'il n'appartient pas au juge du fond de mettre à la charge de l'un ce que la loi a prévu de mettre à la charge de l'autre.



PAR CES MOTIFS :



La cour statuant par mise à disposition, par décision contradictoire :



- Confirme le jugement du 20 mai 2014 ;



Y ajoutant :



- Condamne la société HSBC France à payer à Mme [Z] la somme de 20.000 € au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par arrêt de cette cour par arrêt du 3 avril 2019 ;



- Rejette les autres demandes ;



- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;



- Condamne Mme [Z] aux dépens de première instance et d'appel, lesquels ne comprennent par les frais d'exécution éventuels.



LA GREFFI'RE LE PR''SIDENT

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