3 décembre 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/13117

Pôle 4 - Chambre 9 - A

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 9



ARRÊT SUR LA COMPÉTENCE DU 03 DÉCEMBRE 2020



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/13117 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHAR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er juillet 2019 - Tribunal d'Instance d'IVRY SUR SEINE - RG n° 11-18-003757







APPELANTS



Monsieur [P] [H]

né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 10] (TUNISIE)

[Adresse 4]

[Localité 8]



représenté par Me Benjamin MAIRESSE de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265

Substitué à l'audience par Me Pauline MARCÉ de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265





Madame [M] [E] épouse [H]

née le [Date naissance 5] 1987 à [Localité 6] (TUNISIE)

[Adresse 4]

[Localité 8]



représentée par Me Benjamin MAIRESSE de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265

Substitué à l'audience par Me Pauline MARCÉ de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265





Monsieur [B] [H] dont M. et Mme [H] agissent en qualité de représentants légaux

né le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 12]

[Adresse 4]

[Localité 8]



représenté par Me Benjamin MAIRESSE de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265

Substitué à l'audience par Me Pauline MARCÉ de la SELEURL MAIRESSE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R265













INTIMÉE



La société [Localité 6]-AIR - SOCIÉTÉ TUNISIENNE DE L'AIR, société de droit tunisien prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 652 037 912 00027

[Adresse 9]

[Localité 6]



représentée et assistée de Me Romain ZSCHUNKE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1267





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et chambre

Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère

Mme Agnès BISCH, Conseillère



Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



M. et Mme [H] déclarent avoir conclu avec la société [Localité 6] Air une réservation pour un vol [Localité 12] [Localité 11] / [Localité 6] dont l'arrivée était prévue le 27 juillet 2017 à 9 heures 25, finalement arrivé à 14 heures 04.



Saisi par les époux [H] agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils [B] [H] d'une action tendant à la condamnation de la société [Localité 6] Air au paiement de diverses sommes, le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine, par un jugement susceptible de contredit rendu le 1er juillet 2019 auquel il convient de se reporter :

- a reçu la société [Localité 6] Air en son exception d'incompétence,

- s'est déclaré incompétent territorialement,

- a invité les époux [H] à se pourvoir ainsi qu'ils aviseront,

- débouté la société [Localité 6] Air de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [H] et Mme [E] aux entiers dépens.



Le tribunal a retenu qu'il n'était pas démontré que l'établissement de [Localité 6] Air situé à Paris exerçait une activité propre et autonome sur le territoire français qui ne soit pas dans la dépendance de la société principale ou que cet établissement réalise l'activité la plus importante de la société et concentre de manière significative des moyens matériels et humains et qu'il ne pouvait être fait application de manière subsidiaire aux règles de compétence spéciale optionnelles prévues en matière contractuelle.



Par une déclaration du 18 juillet 2019, M. et Mme [H] agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils ont relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société [Localité 6] Air de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par leurs dernières conclusions remises le 9 décembre 2019, les appelants demandent à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondé leur appel,

- d'infirmer la décision entreprise,

- de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société [Localité 6] Air,

- de déclarer le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine compétent pour statuer sur leurs demandes,

- de renvoyer la cause et les parties devant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine ou toute autre juridiction qui lui serait substituée en suite de la disparition des tribunaux d'instance,

- de condamner la société [Localité 6] Air à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et de l'appel,

- de dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la société SELARL Mairesse Avocats représentée par Me Benjamin Mairesse conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- subsidiairement, d'ordonner le renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante :

« Le transporteur aérien non communautaire, qui dispose dans un État membre de divers établissements dont un établissement principal pouvant être qualifié de « centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur » au sens de l'arrêt CJCE, 22 nov. 1978, aff. Somafer c. Saar-Ferngas, 33/78 peut-il être considéré comme étant domicilié sur le territoire de cet État membre au sens de l'article 4 du Règlement UE 1215/2012, de telle sorte que les juridictions de cet État membre seraient compétentes pour connaître de l'action en indemnisation fondée sur le Règlement CE 261/2004 engagée par des ressortissants dudit État membre concernant un vol au départ dudit État membre ' »,

- de surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente de la décision à intervenir.



Les appelants font valoir qu'il y a lieu de faire application du Règlement UE 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, de l'article 14 du code civil et des articles 42, 43 et 46 du code de procédure civile.



Ils soutiennent que l'intimée est domiciliée sur le territoire français étant donné qu'elle dispose d'un établissement principal situé au [Adresse 2] qui doit être qualifié de « succursale » au regard de la définition retenue par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.



Ils soulignent que cet établissement est désigné par la société sur son site internet comme son « siège en France » et qu'il dispose d'un compte Facebook qui met en avant le caractère de « siège » en France.



Ils exposent également que cet établissement dispose d'une autonomie de gestion et d'action lui conférant une capacité de représentation étendue.



A titre subsidiaire, ils soutiennent que la juridiction d'Ivry-sur-Seine est compétente au regard des dispositions de droit commun.



Ils font valoir que les articles R. 321-1 et R. 322-2 du code de l'aviation civile sont inapplicables car ils se réfèrent à des dispositions légales abrogées par une ordonnance du 28 octobre 2010 et qu'ils s'appliquent seulement dans le cadre d'une action en responsabilité et non pas dans le cadre du présent litige qui concerne une action en paiement de l'indemnité forfaitaire fondée sur le règlement CE n°261/204.



A titre infiniment subsidiaire, ils exposent que leur demande de renvoi préjudiciel est recevable et doit être transmise si la cour avait une difficulté d'interprétation des dispositions européennes.



Par ses conclusions remises le 14 septembre 2019, la société [Localité 6] Air demande à la cour :

- de constater que les appelants n'établissent pas que le siège social, l'autorité centrale ou le principal établissement de la société [Localité 6] Air est situé en France,

- de constater que le lieu de destination du vol litigieux est l'aéroport de [Localité 6] en Tunisie,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- de condamner les appelants à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de dire que les dépens de première instance et d'appel resteront à leur charge.



L'intimée soutient que le tribunal n'est pas territorialement compétent en application des dispositions du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 devenu le Règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.



Elle fait valoir qu'au regard de la jurisprudence applicable, le fait qu'une société puisse disposer, sur le territoire d'un État-membre, d'un établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés, disposant d'une autonomie de gestion et doté d'organes de direction ayant le pouvoir de la représenter et de l'engager ne suffit pas à établir la compétence territoriale des juridictions de cet État-membre car l'implantation d'une personne morale doit s'apprécier à l'échelle internationale et non pas seulement à l'échelle du territoire français.



Elle expose que les appelants n'apportent aucun élément de nature à démontrer que son siège social, son autorité centrale ou son principal établissement est situé en France. Elle soutient que son siège et son autorité centrale sont situés à [Localité 6].



A titre subsidiaire, elle fait valoir que le tribunal n'est pas non plus compétent au regard des règles de compétence nationales car il convient de faire application des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile et que le lieu de destination du vol litigieux est l'aéroport de [Localité 6].







Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.



Les parties ayant refusé la procédure sans audience, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 28 octobre 2020.



A l'audience, les appelants ont réclamé que soient écartées des débats, comme étant tardives, les conclusions de l'intimée reçues le 26 octobre 2020.






SUR CE,



Le litige s'inscrivant dans le cadre d'une assignation à jour fixe délivrée le 26 juillet 2019 pour une audience du 22 avril 2020, il y a lieu de constater que l'intimée a eu amplement de temps pour préparer sa défense et qu'une communication, deux jours avant l'audience de renvoi, de nouvelles conclusions ne respecte pas le principe fondamental de contradiction entre les parties.



Les conclusions n°2 et les pièces transmises par l'intimée à l'appui de ces conclusions seront par conséquent écartées des débats.



Comme le relève le premier juge, et en l'absence de contestation des parties, le Règlement européen n°261/2004 du 11 février 2004 qui prévoit l'indemnisation des passagers au départ d'un aéroport situé sur le territoire d'un état membre de l'Union européenne quelle que soit la nationalité du transporteur n'édicte aucune règle de compétence territoriale pour son application.



Les parties s'accordent également pour reconnaître qu'il convient d'appliquer les règles de compétence édictées par le Règlement n°44//2001 qui a été refondu par le Règlement UE n°1215//2012 du 12 décembre 2012 qui prévoit en son article 4 que les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelque soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.



A cette fin, l'article 63 précise la notion de domiciliation concernant les personnes morales.



De ces articles, il résulte qu'une personne morale ne peut être attraite devant les juridictions d'un état membre qu'à la condition que son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement soit situé sur le territoire de cet État membre.



Il incombe à la partie qui se prévaut de la compétence des juridictions de cet État membre de justifier que la personne morale est effectivement domiciliée sur le territoire de cet État.



En l'espèce, les appelants rappellent qu'ils résident en France et que le vol était au départ de la France. Il soutiennent que la société [Localité 6] Air dispose d'un établissement principal situé au [Adresse 2], outre six autres établissements secondaires situés sur le territoire français, que la compagnie [Localité 6] Air désigne elle-même l'établissement parisien comme son « siège en France », que cet établissement regroupe de nombreux organes de directions et services importants établissant sa capacité de représentation et son autonomie structurelle et opérationnelle de gestion et d'action, que le marché français constitue son premier marché et que la présence de ces succursales doit permettre de retenir une domiciliation sur le territoire national.



Il convient de rappeler que l'article 63 évoque l'existence d'un principal établissement et non de l'un des principaux établissements de la personne morale.



Les pièces produites ne permettent pas d'établir que l'établissement domicilié dans le [Localité 7] puisse être défini comme le « principal établissement » de la compagnie [Localité 6] Air parmi tous ses établissements implantés dans le monde ni que l'administration centrale de la société est située à [Localité 12] alors que son siège social statutaire est situé à [Localité 6].



L'existence d'un établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés avec une autonomie de gestion et un organe de direction ne suffit pas à établir la compétence territoriale alléguée.



C'est donc à juste titre, et par des motifs précis et adaptés que la cour adopte, que le premier juge a considéré que la société [Localité 6] Air n'était pas domiciliée sur le territoire français au sens de l'article 63 susvisé, sans qu'il y ait nécessité d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation combinée des Règlements 261/2004 et 1215/2012 susvisés.



En conséquence, les appelants ne peuvent réclamer par ailleurs l'application de l'article 7 du Règlement UE 1215//2012 qui permet de saisir la juridiction du lieu de l'aéroport de départ ou de l'aéroport d'arrivée puisque cet article ne concerne que l'action dirigée contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre. Cet article n'a donc pas vocation à s'appliquer.



Les appelants ont invoqué subsidiairement l'application de l'article 6 du règlement susvisé prévoyant l'application des règles de compétence nationale et notamment l'article 14 du code civil et l'article 46 du code de procédure civile.



Aux termes de l'article 14, l'étranger peut être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un français.



L'article 46 donne au demandeur la possibilité de saisir à son choix, outre le lieu du domicile du défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.



Néanmoins, il convient de rappeler que les règles spéciales dérogent aux règles générales.



En l'espèce, comme le relève justement l'intimée, les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages-intérêts intentée à l'encontre de la société [Localité 6] Air.



En application de ces articles, l'action en responsabilité doit être portée au choix du demandeur soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.



A cet égard, le TI d'Ivry n'est pas le lieu de « l'établissement par le soin duquel le contrat a été conclu ».



Le siège social de l'intimée étant situé à [Localité 6] et le vol litigieux étant à destination de [Localité 6], ces règles de compétence nationales ne permettent pas non plus de justifier la compétence du tribunal d'Ivry-sur-Seine. Ce moyen ne pourra donc qu'être écarté.



Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.



Au vu de la solution adoptée au litige, les appelants, qui succombent, devront supporter les entiers dépens d'appel.



Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



LA COUR,



Statuant après débats en audience publique, par décision mise à disposition au greffe, rendue contradictoirement et en dernier ressort,



- Confirme le jugement en toutes ses dispositions,



Y ajoutant,



- Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,



- Condamne in solidum M. [P] [H] et Mme [M] [E] épouse [H] aux entiers dépens.





La greffièreLa présidente

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