Colloques
Présentation de la conférence introductive
Pour ouvrir la réflexion, Jacques Commaille, professeur émérite en sociologie à l’ÉNS Paris-Saclay, Jean-Louis Halpérin, professeur de droit à l’ENS, Nathalie Przygodzki-Lionet, professeure de psychologie sociale à l’Université de Lille et Pierre Mousseron, professeur de droit à l’université de Montpellier ont croisé leurs approches sur le thème du cycle « penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice » ,
M. Commaille, pointant l’évolution des structures qui sous-tendent l’institution de justice, montre que le droit n’échappe pas au passage d’un temps des certitudes à un temps des incertitudes dans une société qui remet en cause le monopole d’une régulation par le haut, dans un contexte d’épuisement de la solution hiérarchique et de relativisation de la souveraineté. La crise de confiance envers les institutions et les professions en général fait que de référence centrale, le droit devient une simple ressource. La matrice juridico-politique qui inscrit la justice dans la prévalence d’une normativité gestionnaire par la recherche d’une rationalisation de son activité et de sa territorialisation et remet en cause l’exceptionnalité de sa fonction, doit ainsi être questionnée.
M. Halpérin, tout en insistant sur le fait que les archives ne donnent guère d’informations sur les pratiques juridictionnelles, rappelle la profonde modification structurelle de l’idéologie judiciaire, soit de al représentation qeu els juges se font de leur fonction au XIXème siècle : le sacerdoce de faire respecter la légalité disparaît progressivement pour une sécularisation et l’idée d’une mission de service public. A la fin du XIXème siècle, la pratique d’élaboration de manuels visant à aider les juges d’instruction à mener leurs enquêtes se développe.
Pour Mme Przygodzki-Lionet, la psychologie sociale considère que tout juge est confronté à la fois à son propre rôle, aux enjeux de la situation de jugement et aux règles qui la régissent, mais aussi aux autres personnes impliquées dans cette situation. La recherche sur les mécanismes de formation de la décision de justice révèle l’importance des variables extralégales. La vision sur la justice et les praticiens du droit y est « réaliste » : elle intègre notamment la crise de confiance et les difficultés matérielles des juges. Les études montrent l’importance d’affermir l’estime de soi des professionnels de la justice, en valorisant, comme le fait ce cycle de conférences, leur travail et leurs pratiques.
Puisque la réflexion porte sur les pratiques juridictionnelles, M. Mousseron, rebondissant sur la notion d’interactions, se fonde sur l’existence d’une communauté, éventuellement élargie à l’ensemble des professionnels du droit, pour définir ces pratiques juridictionnelles comme des comportements répétés, précisément définis et observés au sein de certaines communautés qui contribuent à dire le droit. Les pratiques en tant que telles pouvant répondre à des objectifs variés, il rappelle que la réflexion se limite aux pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice et se réjouit de ce qu’elle apportera ,aux professionnels du droit, une « matière pertinente » pour la communauté qu’ils forment et aux justiciables, une plus grande connaissance et transparence de la justice.
Selon M. Commaille, la place du justiciable justifie désormais largement la réflexion en ce que le savoir sur les politiques publiques s’est déplacé des conditions de leur production vers celles de leur réception. L’interlocuteur devient ainsi partie prenante d’une nouvelle matrice juridique, acteur de droit et non plus seulement sujet de droit. La recherche sur la perception des justiciables, passant par la prise en compte des subjectivités, des émotions et des valeurs met en évidence que ces derniers sont moins sensibles à la solution rendue qu’à la manière dont ils sont traités pendant une procédure. Mme Przygodzki-Lionet précise que les détails de ce qui se passe à l’audience comptent tout autant que l’organisation générale du litige : le sentiment de justice du justiciable se détermine, certes distributivement par le rapport de la sanction à l’infraction et procéduralement par la construction de la décision, mais surtout relationnellement par la qualité et la quantité d’informations transmises et par le traitement de la personne en tant que telle. Le sentiment de justice conduit le justiciable vers la confiance et la coopération, tandis que le sentiment d’injustice peut entraîner de la violence.
M. Halpérin rappelle que l’intérêt pour le justiciable est apparu à la Révolution française et qu’au demeurant la nécessité de maintenir une ouverture, même minime, vers les citoyens a toujours existé pour garantir la légitimité des tribunaux. C’est cette volonté de rapprocher le juge des justiciables qui a notamment donné naissance aux juges de paix et aux tribunaux populaires, par référence au modèle de l’Héliée, lequel assurait que chaque citoyen d’Athènes vive l’expérience de rendre la justice, et développé l’aide juridictionnelle.
Si le juriste reconnaît qu’en droit tout n’est pas écrit, l’historien que les pratiques et leur évolution peuvent être indirectement approchées, tous les intervenants voient l’intérêt de sortir des frontières universitaires et d’articuler les savoirs pour relever le défi de la question globale d’un espace de justice pour les justiciables, le défi de relations de confiance.
S. Poillot Peruzzetto
Le cycle
Les pratiques juridictionnelles restent souvent cachées derrière l’office du juge de dire le droit en appliquant la loi. Elles sont pourtant aussi anciennes que nombreuses et variées. Les pratiques qui vont intéresser ce cycle sont celles qui traduisent la volonté du magistrat, dans son environnement en transformation et fort de son éthique, de répondre aux besoins des justiciables et de la société, par son apport à la construction d’un espace de justice.
Il s’agit par ce cycle de conférences, centré sur le juge, de mettre en évidence la richesse de ses apports, en tant qu’être humain, et au-delà des décisions rendues dans sa mission d’appliquer la loi. La recherche conduira à révéler des pratiques que le juge invente, élabore et met en œuvre, en interaction et coopération avec les autres acteurs de la chaîne du droit au service d’un espace de justice répondant aux défis nouveaux. Le cycle conduit ainsi à identifier ces pratiques juridictionnelles innovantes ou d’adaptation et à en rechercher l’élément déclencheur, l’objectif et la fonction poursuivis, le processus d’élaboration, la portée et le contrôle éventuel.
Le cycle s’inscrit dans une recherche à la fois interdisciplinaire puisque l’analyse des pratiques et d’un espace de justice passent par une approche sociologique, psychosociologique et historique, et comparative tant entre les ordres nationaux au sein de l’Union européenne et dans le monde, qu’entre les ordres juridictionnels internes.
Si, pour témoigner des pratiques innovantes au service d’un espace de justice, la majorité des intervenants sont des magistrats de l’Union européenne, et si les magistrats français qui s’exprimeront relèvent tant de l’ordre judiciaire que de l’ordre administratif et représentent les différents degrés de juridiction, le cycle associe à la réflexion les avocats et les universitaires : ces échanges à l’initiative de la Cour de cassation se présentent ainsi , en tant que tels, comme une pratique au service d’un espace de justice.
Le cycle « penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice » est d’abord, pour le premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, une nouvelle opportunité de consolider les liens entre les professions du monde universitaire et celles de la justice. Il voit dans ce cycle, inscrit dans le prolongement de la réflexion sur l’office du juge, qui met en lumière l’évolution partant d’une application mécanique de la loi aux effets du principe de réalité soulevé par Portalis (« un code quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat »), jusqu’au contrôle par le juge de la conformité de la loi aux droits européens et aux droits et libertés fondamentaux à valeur constitutionnelle, une formidable occasion de mettre en lumière les pratiques des juges qui, trop longtemps, sont restées dans l’ombre. Il souligne à cet égard l’avènement parallèle d’un espace européen et d’un espace numérique dans lesquels le rôle et le périmètre d’action des juges se redéfinissent : dans l’espace européen, mais aussi dans le réseau des cours suprêmes judiciaires francophones, à la faveur du développement du numérique et en complément de la diffusion horizontale de la jurisprudence, ces pratiques juridictionnelles font l’objet d’échanges, notamment les pratiques de rédaction, de médiation, d’organisation et captation des audiences, de communication, de relation avec les avocats et d’équipes autour des magistrats.
Sous le thème « penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice », la proposition du cycle est la suivante : dans le système judiciaire, des pratiques sont inventées et mises en œuvre par les juges, assumant leur fonction de dire le droit, et en lien avec les autres acteurs du droit, pour proposer un espace de justice en réponse aux attentes des justiciables.
Il convient de préciser les termes « espace de justice », « pratiques juridictionnelles » et « penser ».
Le terme « espace de justice » introduit par le traité d’Amsterdam, réfère, par une conception platonicienne, tant à un espace matériel qu’à un espace immatériel. Il postule le besoin dans la société d’un espace spécifique, distinct de la temporalité du monde et, pour la même raison, des espaces régis par le seul respect des prescriptions économiques. Le fait même de nommer cet « espace de justice » et de le réfléchir porte la marque de l’attention désormais portée par l’institution judiciaire aux attentes des justiciables. Au cours de cette première année les témoignages et réflexion porteront successivement sur un espace de justice d’abord européen et que l’on cherche « éclairé », « attractif », « interactif » et « pacificateur ».
Par le focus sur les « pratiques juridictionnelles », il s’agit de mettre en lumière une partie du travail des magistrats qui, pour assurer leur office dans ce monde en mutation, mus par l’éthique de construire cet espace de justice attendu, réfléchissent, inventent et construisent des pratiques répondant précisément aux attentes des justiciables et de la société. Cette partie de leur office reste en général dans l’ombre notamment parce que sont essentiellement révélées les décisions des juges, que les règles de procédure civile, en ce qu’elles définissent l’office du juge, conduisent à en retenir une image limitée, que les juristes, à la différence des sociologues, s’intéressent aux textes plus qu’aux pratiques, sauf lorsqu’elles sont sources de droit et que les juges, soumis au devoir de réserve, n’ont pas une culture de communication. S’intéresser aux pratiques du juge exerçant son office suppose de le voir comme un être humain et non machine à produire des décisions, inscrit dans une culture , ayant un corps et des émotions. Il se présente ainsi comme un être en action dans un monde en perpétuelle évolution, et d’ailleurs en interaction avec les autres acteurs de la chaîne du droit, en particulier avec les autres professionnels du droit , au premier rang desquels les avocats , mais aussi les universitaires et évidemment les justiciables
A priori, la mise en évidence des pratiques ne relève pas de la pensée et se rattache plutôt à une démarche de phénoménologie qui, en prêtant attention, constate l’existence de pratiques mais l’attention prêtée aux pratiques a une intention, un sens, puisqu’il s’agit de mettre en lumière les pratiques qui sont « au service d’un espace de justice ». Mais surtout, le terme « penser », met en évidence le fait que, par une démarche de réflexivité, la justice elle-même se questionne, interroge ses épistémès, c’est à dire non seulement le système dans lequel elle fonctionne , mais également ses sous-bassements structurels.
La réflexion est portée par quatre axes méthodologique pour garantir une distance critique : l’interdisciplinarité , la prise en compte du droit comparé, celle de l’histoire du droit, l’interprofessionnalité. Elle s’inscrit enfin comme réflexion européenne au sens où les échanges entre juges participent à la construction d’un espace européen de justice, mais surtout où la justice, comme la démocratie, est un soubassement de la culture européenne et un pilier de la construction européenne.
Ce cycle est construit par la Cour de cassation, la société de législation comparée et l’université Toulouse 1 Capitole, en partenariat avec l’ENM, l’European Law Institute, (hub français), l’AHJUCAC, l’association des juristes franco-allemands, l’association des juristes franco britanniques
Le comité scientifique :
- S.Kass Danno, conseillère référendaire à la Cour de cassation,
- L. Rass Masson, professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole
- S.Poillot Peruzzetto, conseillère à la Cour de cassation.
En direct puis en différé
Regards croisés sur les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice
Présentation du cycle de conférences
Introduction : Christophe SOULARD, Premier président de la Cour de cassation
Modératrice : Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO, Conseillère à la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation
Les conférences et colloques organisés par la Cour de cassation font l'objet d'une captation et d'une diffusion en direct sur le site internet de la juridiction, sur Youtube, Twitter, Facebook et LinkedIn.
Une fois la diffusion en direct terminée, la vidéo de l'événement est accessible en différé.
En participant aux colloques organisés par la Cour de cassation, les intervenants et membres du public acceptent que leur image et leurs propos fassent l’objet d’une captation audiovisuelle donnant lieu à une diffusion en direct et à une publication en différé.
Ce faisant, ils autorisent l’exploitation de cette captation audiovisuelle par la Cour de cassation dans sa version intégrale ou par extraits, brute ou post-produite, sans limitation du nombre de reproductions ou de représentations, pour la France et l’étranger. Cette autorisation est donnée à titre gratuit. La Cour de cassation s’interdit de procéder à une exploitation de ces ressources audiovisuelles, susceptible de dénaturer l’image et les propos tenus par les participants.
Après le déroulement de la manifestation, les intervenants et membres du public dont l’image et les propos auront été captés ont la possibilité de demander par courriel la non publication en différé des extraits les concernant. Il y sera fait droit par le retrait pour les extraits concernés.
Intervenants
Pierre MOUSSERON
Professeur de droit privé et sciences criminelles à la Faculté de Droit de Montpellier
Jacques COMMAILLE
Professeur émérite des universités en sociologie à l’ENS Paris-Saclay
Jean-Louis HALPÉRIN
Professeur de droit à l’Ecole normale supérieure
Nathalie PRZYGODZKI-LIONET
Professeur de psychologie sociale appliquée à la Justice à l’Université de Lille 3
Partenaires
Télécharger le programme du cycle intégral (pdf)
(Photo: Rocor)
Entrée sur présentation d’une pièce d’identité avec inscription préalable obligatoire
Accessible pour les personnes en situation de handicap
Arrêt Cité-Palais de justice (lignes 21, 38, 85, 96)
Arrêt Saint-Michel (lignes 24 ou 27)
Arrêt Pont Saint-Michel Quai des Orfèvres (ligne 27)
Station Cité (ligne 4)
Station Saint-Michel (ligne 4)
Station Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11, 14)
Station Cluny-La-Sorbonne (ligne 10)
Station Saint-Michel Notre-Dame (lignes B ou C)
Station Châtelet-les-halles (ligne A)
Entrée : 5 quai de l'Horloge, 75001 Paris
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