L’office du juge, les enjeux économiques et l’impartialité

Cycle "Penser l'office du juge"

Colloques

English summary

Troisième conférence du cycle « Penser l’office du juge » organisé par la Cour de cassation, la Société de législation comparée et l’Université de Toulouse 1 Capitole, tenue le 14 décembre 2020.

Quelle place les enjeux économiques ont-ils dans l’office du juge ?

Les enjeux économiques mis en lumière à l’occasion d’un litige ou inhérents à celui-ci sont-ils susceptibles d’avoir un impact et /ou d’imprégner l’office du juge et plus largement l’attractivité de l’institution judiciaire ? Dans l’affirmative, quelle en est la place exacte et comment admettre cette part sans risquer de porter atteinte à l’impartialité qui doit guider le juge ? Tel était l’objet de la 3ème table ronde organisée dans le cadre du cycle de conférence « Penser l’office du juge ».

Il ne s’agissait pas tant de s’interroger sur la part contributive du juge dans l’évolution du contenu du droit économique ou sur son rôle pro-actif ou passif dans le déroulement d’un procès mettant en jeu des intérêts économiques, mais davantage de savoir quels effets ont les enjeux économiques sur son raisonnement, sur la motivation de la décision, ainsi que sur l’attractivité même d’un système juridique.

Pour déterminer la part des enjeux économiques dans le raisonnement du juge, Carole Champalaune a accepté de nous ouvrir la porte de la « salle des machines » de l’office du juge. Cette recherche l’a amenée à constater que les enjeux économiques agissent différemment selon l’office attendu du juge, dépendant lui-même de la finalité de son contrôle (contrôle de légalité interne ou externe d’une décision d’une autorité de régulation ou contrôle de « plein contentieux »). Ce constat se double d’une distinction à faire entre d’une part, la « notion économique », qui peut être un « élément direct » de la qualification juridique (comme c’est le cas en droit de la concurrence) et qui doit donner lieu à l’application de « méthodes » par le juge dont l’application est contrôlée par la cour de cassation - conférant ainsi à la notion économique sa normativité – et, d’autre part, l’enjeu économique qui peut être, quant à lui, un « outil indirect » de qualification (par exemple pour qualifier une loi relevant de l’ordre public économique de loi de police).

Prenant comme exemple l’office spécifique du juge dans le contrôle des décisions de sanction et de règlement des différends prises par les autorités de régulation, il est fait ainsi le constat que la jurisprudence tend à privilégier des solutions permettant au pouvoir régulateur d’exercer un office « utile ».

Enfin, Carole Champalaune a présenté les « outils » dont disposent le juge pour appréhender et apprécier les enjeux économiques. Ces outils processuels sont tantôt traditionnels (écritures des parties, expertises), tantôt plus novateurs (amicus curiae), sans oublier le recours possible aux outils qui permettent au juge d’interpréter les normes supérieures (question préjudicielles, question prioritaire de constitutionnalité).

Mais aborder l’office du juge et les enjeux économiques c’est aussi se confronter à l’enjeu économique de l’office du juge. Peut-on parler à cet égard d’un « office économique » du juge ? et comment combiner cet enjeu économique avec le principe d’impartialité ? Marie-Anne Frison Roche est revenue sur ces questions en mettant en lumière ce que sont les attentes d’une « place », qualifiée de « justiciable systémique » et en contestant l’affirmation selon laquelle il existerait une contradiction entre l’impératif d’attractivité et la distance que le juge doit conserver, contestant aussi l’idée selon laquelle l’impartialité serait affaiblie par la nécessité pour une place « d’internaliser » le juge, ce qui le capturerait.

Marie-Anne Frison Roche considère au contraire qu’une « place » a besoin d’un juge, qui soit à la fois "singulier", c’est-à-dire avec une personnalité, un visage, des opinions, et en distance pour que sa décision ne la surprenne pas, les deux devant aller de paire. Cela s’opère par l’insertion de la façon de faire de ce juge dans des mécanismes régulant ses « marges de discrétion ». La réduction des marges de discrétion est obtenue par l’insertion du juge dans une procédure dont il est seul le maître mais où il n’est pas seul. C’est en l’insérant dans des processus collectifs que l’on pourra consolider l’impartialité du juge singulier, et en renforçant son appartenance à une « famille juridictionnelle » (les autres types de juridictions, les avocats) que l’on pourra favoriser un rayonnement de l’impartialité.

En outre, le juge singulier doit s’insérer dans un principe rationnel de cohérence, vertical et horizontal. Vertical parce qu’il intègre ce qu’il est dit et la technique de "l’avis déterminant" est à encourager, le juge singulier ne devant s’y soustraire que s’il a de "fortes raisons" pour le faire et selon cette règle générale Comply or Explain (qui est le contraire même de l’obéissance aveugle). Horizontal parce que le juge doit se tenir à ce qu’il a dit, l’estoppel étant elle-aussi une règle de logique. Mais surtout l’institution doit dégager le plus possible des "doctrines", par tous les moyens, dont les rapports annuels sont un exemple.

Des juges toujours humains, toujours divers, toujours singuliers, qui écoutent, considèrent et ajustent à la situation, qui au sein d’une famille juridictionnelle s’insèrent dans une doctrine institutionnelle qui les dépassent et les portent mais qu’ils transforment s’il y a une forte raison, toujours dite, pour ce faire  : voilà l’impartialité incarnée rendant une place économique et financière attractive. Ainsi l’attractivité de la place et l’impartialité du juge, parce qu’insérées dans des procédures, dans une institution et une famille juridictionnelle, ne sont non seulement pas contradictoires, mais sont au contraire convergents, l’un alimentant l’autre.

Modérateurs et Intervenants

François ANCEL

Modérateur. Président de la chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris

Carole CHAMPALAUNE

Intervenant. Conseiller à la chambre commerciale de la Cour de cassation

Marie-Anne FRISON-ROCHE

Intervenant. Professeur l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po)

Lundi 14 décembre 2020

Cour de cassation

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