L’office du juge des libertés

Cycle "Penser l'office du juge"

Colloques

Sous la direction scientifique de
Mme Sylvie PERDRIOLLE
présidente de chambre honoraire,
Mme Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO, conseillère en service extraordinaire à la chambre commerciale de la Cour de cassation et
M. Lukas RASS-MASSON, professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, directeur de l’École européenne de droit de Toulouse

English summary

Dans toutes les démocraties libérales, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. Cette conférence compare les approches de l’office du juge judiciaire dans le domaine spécifique des atteintes aux libertés individuelles du champ pénal en France, en Angleterre et en Allemagne. Notre échange a porté sur l’organisation judiciaire et l’autorité du juge dans cet office.

Pour aborder cette question ont été réunis autour de Stéphanie Gargoullaud, conseillère référendaire à la Cour de cassation, Jean-Baptiste Parlos, premier président de la Cour d’appel de Reims, Michael Tugendhat, ancien juge à la High Court d’Angleterre et du pays de Galles et Peter Sander, juge des enfants en matière pénale à Sarrebruck.

Jean-Baptiste Parlos rappelle que le législateur a créé le juge des libertés et de la détention (JLD) en 2000 pour répondre à la mise en cause médiatique de la double compétence des juges d’instruction, à la fois responsable de l’enquête et appelé à décider de la détention provisoire. Ce nouveau juge n’a cessé de voir ses compétences se multiplier : il contrôle la détention provisoire mais aussi les atteintes aux libertés individuelles lors de l’enquête pénale (perquisitions, écoutes) les hospitalisations sans consentement et la rétention des étrangers.

C’est une particularité française, les compétences civiles étant exercées par d’autres juridictions en Angleterre et en Allemagne. Au point qu’il serait plus juste aujourd’hui de parler d’un juge des libertés, plutôt que d’un juge des libertés et de la détention.

Michael Tugendhat souligne une différence déterminante entre les deux systèmes judiciaires. Il n’existe pas de juge d’instruction en Angleterre, les enquêtes sont conduites par les services de police indépendants du gouvernement, comme l’est le pouvoir judiciaire. Ces services disposent de prérogatives importantes, par exemple en matière de réquisitions informatiques ou d’écoutes téléphoniques.

Le rôle du juge est celui de gardien du droit, il ne recherche pas la vérité. Dans toute la phase de l’enquête, les juges des Magistrates’courts peuvent décider de la prolongation de la garde à vue, de la détention d’une personne et de sa durée, de perquisitions ou de mesures attentatoires aux libertés jusqu’à la présentation de l’accusé devant la juridiction. C’est alors le juge de la juridiction de jugement qui dispose des compétences relatives aux atteintes aux libertés individuelles.

Peter Sander note la même différence : il n’existe pas de juge d’instruction en Allemagne, seuls les procureurs et la police sont chargés de la conduite des enquêtes. Le rôle du Ermittlungsrichter peut être comparé au JLD français, mais il n’est compétent qu’en matière pénale. Les mesures coercitives et les conditions de leur autorisation sont fixées par un cadre légal comparable à celui des textes français.

Nous avons interrogé l’impact de la jurisprudence de la CEDH et du contrôle de proportionnalité sur cet office du juge des libertés.

Jean-Baptiste Parlos note que la formulation du principe de proportionnalité a été tardive mais que ce principe était déjà mis en œuvre par les juges français. La jurisprudence de la CEDH a finalement imposé cette obligation de vérifier dans chaque affaire si la mesure est appropriée au but poursuivi de recherche de la vérité.

Michael Tungendhat rappelle que, si la Convention européenne des droits de l’homme a été intégrée dans le droit anglais en 1998, les juges se référaient déjà aux décisions de la CEDH, bien que ces décisions ne soient pas des précédents pour le juge anglais. En Angleterre il y a toujours eu un principe de légalité qui fait de chaque juge un juge des libertés. Ce principe a été renforcé par la CEDH qui a fait revivre la common law. Le devoir du juge est de contrôler la légalité, la nécessité et la proportionnalité de la détention, que ce soit dans le cadre d’une procédure pénale, du contrôle de l’immigration ou de la santé mentale.

Pour Peter Sander, le principe de proportionnalité a sa source dans la Constitution, ce principe est dérivé du principe de légalité auquel toute action de l’Etat est soumise. Le juge tient compte de ce principe de proportionnalité dans toutes les matières et les juridictions supérieures vérifient le contrôle exercé par le juge. La CEDH a eu cependant une influence dans plusieurs domaines tels que la traduction des actes ou l’impossibilité pour les parquets de décerner un mandat d’arrêt européen.

Jean-Baptiste Parlos souligne un paradoxe : le JLD a aujourd’hui un statut particulier, des compétences nombreuses appelées à se développer, des pouvoirs importants, ses décisions sont mieux motivées et la Cour de cassation exerce son contrôle. Pourtant ce juge n’a pas l’aura attendue. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : la pauvreté de l’institution judiciaire et la création de nouvelles compétences par le législateur sans préoccupation des conditions d’exercice.

Michael Tugendhat s’étonne de la création en France d’un statut particulier pour un juge des libertés. Chaque juge des High Courts peut être appelé à siéger dans des affaires civiles ou pénales. Les juges tiennent leur autorité d’une très ancienne tradition comme en témoignent les termes du serment prêté par les juges depuis 1346 et la force de la common law.

Le Ermitttlungsrichter est un juge nommé au sein de chaque juridiction par la commission de cette juridiction compétente à cet effet. Ce mode de désignation assoit son indépendance, note Peter Sander. L’autorité du juge résulte des principes posés par la Constitution allemande et du respect de l’Etat de droit.

En conclusion, nous pouvons dire qu’en matière de liberté individuelle, la référence du juge anglais est la common law, celui du juge allemand la Constitution, quand le juge français, s’il constate qu’il n’est plus la bouche de la loi, s’interroge sur son devenir.

Modérateurs et Intervenants

Modérateur : Stéphanie GARGOULLAUD

Conseiller référendaire à la Cour de cassation

Jean Baptiste PARLOS

Premier président de la Cour d’appel de Reims

Peter SANDER

Juge au Tribunal de grande instance de Sarrebruck

Michael TUGENDHAT

Juge à la Hight Court

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