Colloques
Les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice européen
La deuxième conférence du cycle de conférences sur « Penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice » a été l’occasion pour Bernard Stirn, président de section honoraire du Conseil d’État (CE), membre de l’Institut, Karima Zouaoui, première vice-présidente du tribunal judiciaire d’Evry, et Emmanuelle Fraysse, procureure européenne déléguée au sein du Parquet européen, d’approfondir la compréhension des « pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice européen ».
M. Stirn analyse comment la perspective européenne a été intégrée dans la jurisprudence du juge administratif à partir des années 80, pour déboucher sur une transformation des instrument et moyens au service de l’espace de justice européen. En premier lieu, le CE a progressivement partagé les méthodes et solutions du droit communautaire, devenu droit de l’Union, dans un mouvement débuté par les arrêts Alitalia et Nicolo et achevé par les arrêts Arcelor et Mme Perreux. En deuxième lieu, le droit de la ConvEDH a été inséré, en donnant lieu à une adaptation au regard du droit procédural (notamment concernant la double fonction consultative et juridictionnelle du CE et le rôle du commissaire du gouvernement). En troisième lieu, le droit comparé a de plus en plus été pris en compte et une attention accrue portée sur l’évolution des droits étrangers. Cette phase s’est accompagnée d’instruments et moyens permettant de concrétiser l’espace de justice européen tel que conçu au sein de l’ordre administratif. C’est grâce aux échanges entre les juges, notamment les rencontres avec les homologues étrangers, que la dimension européenne de la justice a pu devenir une expérience humaine vécue par les magistrats. Les réseaux de jurisprudence sont le deuxième élément de concrétisation, puisque les instruments permettant de croiser les jurisprudences et la diffusion accrue de celles-ci ont permis d’adapter les méthodes de travail. Enfin, la renaissance du droit comparé, notamment par la création d’une cellule de droit comparé au sein du CE en 2008 et l’attention renforcée portée aux activités des sociétés savantes, s’est révélée être un moyen très fertile au service de l’espace de justice européen.
Pour Mme Zouaoui, la justice civile illustre comment se construit la culture juridique européenne grâce au dialogue entre les juges, qui s’approprient, développent et inventent des pratiques juridictionnelles. La création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et l’européanisation de la justice civile sont le point de départ d’une évolution significative. Le réseau judiciaire européen et les instruments de coopération ont permis d’inscrire les juges civils dans l’objectif de la construction européenne, consistant à construire une paix durable par l’intégration des principes de l’État de droit. La confiance et la reconnaissance mutuelles ont permis au juge de faire preuve d’inventivité, voire d’innovation, pour dégager des pratiques juridictionnelles nouvelles. Cette inventivité implique de dépasser les contraintes pour servir les justiciables, et les bonnes pratiques ont pu rayonner entre pays, notamment grâce à la formation entre juges. Le développement de règles sur la reconnaissance automatique a fait naître une « culture du formulaire » au cœur de ce réseau européen. Et les juges nationaux se sentent aussi des juges européens, en plus d’être les juges du droit européen. S’y ajoutent le recours à des concepts d’ouverture, l’évaluation constante des instruments et la prise en compte de l’apport des juges à l’espace judiciaire par les autres institutions européennes. Tous ces éléments permettent de mettre en avant la coopération continue entre les juges, l’émergence d’une langue partagée, une logique de fraternité européenne et le « dialogue miraculeux » assurant l’unité de l’espace européen et rendant concret et visible celui-ci aux yeux du citoyen.
Mme Fraysse étudie les pratiques juridictionnelles depuis la perspective européenne, en nourrissant sa réflexion par son expérience au sein d’Eurojust et du Parquet européen. Eurojust a ainsi permis la mise en place d’outils au sein de l’espace de coopération en matière pénale. Son siège à La Haye permettait de réunir « toute l’Union européenne dans le même bâtiment », et Eurojust est un grand facilitateur pour permettre l’échange entre les magistrats dans des dossiers de dimension transnationale. Deux outils étaient très précieux pour faciliter la vie des magistrats nationaux et mettre fin à l’a priori de la complexité d’une affaire internationale. D’un côté, les réunions de coordination, et, de l’autre, l’équipe commune d’enquête permettant, sur accord exprès des États concernés, d’aller plus loin que l’entraide classique. Si Eurojust a ainsi pu se révéler être un « miracle de la coopération », il restait tout de même des limites, notamment la survivance de la logique de défense des intérêts nationaux. Le Parquet européen a été créé pour surmonter ces limites, dans la continuité notamment du groupe d’expert présidé par Mireille Delmas-Marty pour élaborer un Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union. Le Parquet européen a ainsi pu acquérir des missions novatrices, pour diriger les enquêtes et exercer des poursuites, qui font que son action se situe au-delà de la coopération. Il constitue ainsi le socle d’un ordre juridictionnel européen, qui, dans son domaine de compétence, permet l’élaboration de meilleures stratégies et pratiques, et fait entrer l’espace de justice européen dans une dimension nouvelle.
La discussion montre ensuite à quel point la dimension européenne de l’espace de justice constitue désormais une boussole indispensable des pratiques juridictionnelles, et aussi ce que l’espace de justice européen apporte aux justiciables, grâce à la participation active des juges nationaux et l’inventivité du juge.
L. Rass-Masson.
Le cycle
Les pratiques juridictionnelles restent souvent cachées derrière l’office du juge de dire le droit en appliquant la loi. Elles sont pourtant aussi anciennes que nombreuses et variées. Les pratiques qui vont intéresser ce cycle sont celles qui traduisent la volonté du magistrat, dans son environnement en transformation et fort de son éthique, de répondre aux besoins des justiciables et de la société, par son apport à la construction d’un espace de justice.
Il s’agit par ce cycle de conférences, centré sur le juge, de mettre en évidence la richesse de ses apports, en tant qu’être humain, et au-delà des décisions rendues dans sa mission d’appliquer la loi. La recherche conduira à révéler des pratiques que le juge invente, élabore et met en œuvre, en interaction et coopération avec les autres acteurs de la chaîne du droit au service d’un espace de justice répondant aux défis nouveaux. Le cycle conduit ainsi à identifier ces pratiques juridictionnelles innovantes ou d’adaptation et à en rechercher l’élément déclencheur, l’objectif et la fonction poursuivis, le processus d’élaboration, la portée et le contrôle éventuel.
Le cycle s’inscrit dans une recherche à la fois interdisciplinaire puisque l’analyse des pratiques et d’un espace de justice passent par une approche sociologique, psychosociologique et historique, et comparative tant entre les ordres nationaux au sein de l’Union européenne et dans le monde, qu’entre les ordres juridictionnels internes.
Si, pour témoigner des pratiques innovantes au service d’un espace de justice, la majorité des intervenants sont des magistrats de l’Union européenne, et si les magistrats français qui s’exprimeront relèvent tant de l’ordre judiciaire que de l’ordre administratif et représentent les différents degrés de juridiction, le cycle associe à la réflexion les avocats et les universitaires : ces échanges à l’initiative de la Cour de cassation se présentent ainsi , en tant que tels, comme une pratique au service d’un espace de justice.
Le cycle « penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice » est d’abord, pour le premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, une nouvelle opportunité de consolider les liens entre les professions du monde universitaire et celles de la justice. Il voit dans ce cycle, inscrit dans le prolongement de la réflexion sur l’office du juge, qui met en lumière l’évolution partant d’une application mécanique de la loi aux effets du principe de réalité soulevé par Portalis (« un code quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat »), jusqu’au contrôle par le juge de la conformité de la loi aux droits européens et aux droits et libertés fondamentaux à valeur constitutionnelle, une formidable occasion de mettre en lumière les pratiques des juges qui, trop longtemps, sont restées dans l’ombre. Il souligne à cet égard l’avènement parallèle d’un espace européen et d’un espace numérique dans lesquels le rôle et le périmètre d’action des juges se redéfinissent : dans l’espace européen, mais aussi dans le réseau des cours suprêmes judiciaires francophones, à la faveur du développement du numérique et en complément de la diffusion horizontale de la jurisprudence, ces pratiques juridictionnelles font l’objet d’échanges, notamment les pratiques de rédaction, de médiation, d’organisation et captation des audiences, de communication, de relation avec les avocats et d’équipes autour des magistrats.
Sous le thème « penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice », la proposition du cycle est la suivante : dans le système judiciaire, des pratiques sont inventées et mises en œuvre par les juges, assumant leur fonction de dire le droit, et en lien avec les autres acteurs du droit, pour proposer un espace de justice en réponse aux attentes des justiciables.
Il convient de préciser les termes « espace de justice », « pratiques juridictionnelles » et « penser ».
Le terme « espace de justice » introduit par le traité d’Amsterdam, réfère, par une conception platonicienne, tant à un espace matériel qu’à un espace immatériel. Il postule le besoin dans la société d’un espace spécifique, distinct de la temporalité du monde et, pour la même raison, des espaces régis par le seul respect des prescriptions économiques. Le fait même de nommer cet « espace de justice » et de le réfléchir porte la marque de l’attention désormais portée par l’institution judiciaire aux attentes des justiciables. Au cours de cette première année les témoignages et réflexion porteront successivement sur un espace de justice d’abord européen et que l’on cherche « éclairé », « attractif », « interactif » et « pacificateur ».
Par le focus sur les « pratiques juridictionnelles », il s’agit de mettre en lumière une partie du travail des magistrats qui, pour assurer leur office dans ce monde en mutation, mus par l’éthique de construire cet espace de justice attendu, réfléchissent, inventent et construisent des pratiques répondant précisément aux attentes des justiciables et de la société. Cette partie de leur office reste en général dans l’ombre notamment parce que sont essentiellement révélées les décisions des juges, que les règles de procédure civile, en ce qu’elles définissent l’office du juge, conduisent à en retenir une image limitée, que les juristes, à la différence des sociologues, s’intéressent aux textes plus qu’aux pratiques, sauf lorsqu’elles sont sources de droit et que les juges, soumis au devoir de réserve, n’ont pas une culture de communication. S’intéresser aux pratiques du juge exerçant son office suppose de le voir comme un être humain et non machine à produire des décisions, inscrit dans une culture , ayant un corps et des émotions. Il se présente ainsi comme un être en action dans un monde en perpétuelle évolution, et d’ailleurs en interaction avec les autres acteurs de la chaîne du droit, en particulier avec les autres professionnels du droit , au premier rang desquels les avocats , mais aussi les universitaires et évidemment les justiciables
A priori, la mise en évidence des pratiques ne relève pas de la pensée et se rattache plutôt à une démarche de phénoménologie qui, en prêtant attention, constate l’existence de pratiques mais l’attention prêtée aux pratiques a une intention, un sens, puisqu’il s’agit de mettre en lumière les pratiques qui sont « au service d’un espace de justice ». Mais surtout, le terme « penser », met en évidence le fait que, par une démarche de réflexivité, la justice elle-même se questionne, interroge ses épistémès, c’est à dire non seulement le système dans lequel elle fonctionne , mais également ses sous-bassements structurels.
La réflexion est portée par quatre axes méthodologique pour garantir une distance critique : l’interdisciplinarité , la prise en compte du droit comparé, celle de l’histoire du droit, l’interprofessionnalité. Elle s’inscrit enfin comme réflexion européenne au sens où les échanges entre juges participent à la construction d’un espace européen de justice, mais surtout où la justice, comme la démocratie, est un soubassement de la culture européenne et un pilier de la construction européenne.
Ce cycle est construit par la Cour de cassation, la société de législation comparée et l’université Toulouse 1 Capitole, en partenariat avec l’ENM, l’European Law Institute, (hub français), l’AHJUCAC, l’association des juristes franco-allemands, l’association des juristes franco britanniques
Le comité scientifique :
- S.Kass Danno, conseillère référendaire à la Cour de cassation,
- L. Rass Masson, professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole
- S.Poillot Peruzzetto, conseillère à la Cour de cassation.
En direct puis en différé
Les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice européen
Modérateur : Lukas RASS-MASSON, Professeur en droit privé et sciences criminelles à l’Université Toulouse 1 Capitole, directeur de l’Ecole européenne de droit de Toulouse
Les conférences et colloques organisés par la Cour de cassation font l'objet d'une captation et d'une diffusion en direct sur le site internet de la juridiction, sur Youtube, Twitter, Facebook et LinkedIn.
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Après le déroulement de la manifestation, les intervenants et membres du public dont l’image et les propos auront été captés ont la possibilité de demander par courriel la non publication en différé des extraits les concernant. Il y sera fait droit par le retrait pour les extraits concernés.
Présentation du cycle de conférences
Intervenants
Bernard STIRN
Président honoraire de la section du contentieux au Conseil d’Etat
Frédéric BAAB
Procureur européen français
Karima ZOUAOUI
Première vice-présidente au tribunal judiciaire d’Evry
Partenaires



télécharger le programme du cycle intégral (pdf)
(photo: Rocor)

Entrée sur présentation d’une pièce d’identité avec inscription préalable obligatoire

Accessible pour les personnes en situation de handicap

Arrêt Cité-Palais de justice (lignes 21, 38, 85, 96)
Arrêt Saint-Michel (lignes 24 ou 27)
Arrêt Pont Saint-Michel Quai des Orfèvres (ligne 27)

Station Cité (ligne 4)
Station Saint-Michel (ligne 4)
Station Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11, 14)
Station Cluny-La-Sorbonne (ligne 10)

Station Saint-Michel Notre-Dame (lignes B ou C)
Station Châtelet-les-halles (ligne A)

Entrée : 5 quai de l'Horloge, 75001 Paris
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