Audience d’installation des chefs de Cour - Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation (06.09.19)

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Vendredi 6 septembre 2019

Discours prononcé par Madame Chantal Arens, lors de son audience solennelle d’installation, dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation.

Monsieur le Premier ministre, Monsieur le président du Sénat, Monsieur le vice-président de l’Assemblée nationale, Madame la Garde des Sceaux, Mesdames et Messieurs, Chers collègues,

Comme le faisait très justement remarquer Gaston Berger dans son ouvrage sur la phénoménologie du temps et la prospective : « Demain ne sera pas comme hier, il est nouveau ».

Monsieur le Premier ministre, je suis très sensible à l’honneur que vous rendez à la Cour de cassation en assistant à cette audience. La présence du chef du Gouvernement est signe, visible et authentique, de la confiance que la Nation place en sa justice.

Madame la Garde des Sceaux, votre présence, qui m’honore, témoigne de l’intérêt tout particulier que vous portez à la Cour de cassation. Je sais pouvoir compter sur votre écoute attentive et sur la poursuite d’une relation constructive et ambitieuse, dans l’intérêt de l’institution judiciaire et des justiciables et vous en remercie.

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature, la confiance que vous m’avez accordée en proposant ma nomination comme première présidente de la Cour de cassation m’honore profondément. Soyez assurés de ma sincère reconnaissance. J’ai plaisir à rappeler que le Tribunal de cassation, créé par la loi du 27 novembre 1790, l’a été pour accomplir une révolution complète de la justice et ramener les juges à l’obéissance de la loi, mais avec la crainte toutefois qu’il ne se mue en force susceptible d’incarner le pouvoir judiciaire. Il fallait donc que ce Tribunal de cassation, par sa place et son rôle, dispose d’un pouvoir « nul et invisible », nous rappelle Jean-Louis Halpérin.

Ce temps est fort heureusement révolu puisque, tout au long du XIXe siècle, la Cour de cassation n’a eu de cesse de s’émanciper en développant ses fonctions juridictionnelles et jurisprudentielles : s’appropriant le pouvoir d’interpréter la loi et de juger, dans une optique d’unité du droit national.

Devenue Cour de cassation en 1804, la Cour suprême a régulièrement étendu son contrôle sur les décisions des juges du fond et développé son rôle d’interprète de la loi, au point, peut-être, mais nous y reviendrons, de se trouver en danger face à l’inflation des pourvois et leur dénaturation.

N’en déplaise aux Constituants de 1790, la Cour de cassation est parvenue à s’extraire du joug dans lequel on a voulu l’enfermer et ma tâche sera de la rendre encore plus forte, plus visible et plus présente encore dans le paysage judiciaire national comme international ; d’en promouvoir le rayonnement ; de porter, en tant que représentante de l’institution et de l’autorité judiciaires, une parole ambitieuse et raisonnée, auprès des autres institutions nationales comme au plus haut niveau de l’État ; auprès de mes homologues étrangers comme des instances européennes et internationales.

Je salue à cet égard la présence des premiers présidents des Cours suprêmes du Liban, de Bulgarie, du Maroc, du Sénégal et de Macédoine. Par votre venue, vous donnez le signal fort de l’intérêt que vous portez à la Justice et à ses magistrats dont je souhaite souligner l’attachement à leurs fonctions, le sens des responsabilités et la mobilisation quotidienne au service du justiciable, mais rappeler aussi les attentes fortes qui sont les leurs en matière de sécurité juridique, de qualité et de reconnaissance.

Soyez assurés qu’en devenant première présidente de la Cour de cassation, je mesure l’honneur qui m’est fait et considère ces fonctions comme une nouvelle occasion d’exprimer et de mettre à profit mon engagement au service de la Justice.

Mais avant de penser à demain, permettez-moi d’évoquer un court instant les dernières années passées dans ce même palais et de remercier les magistrats et fonctionnaires du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris. Ensemble, nous avons œuvré avec détermination et conviction pour rendre la justice, mission première et essentielle du juge.

Ensemble, nous avons réfléchi, imaginé et mis en œuvre la dématérialisation des procédures, nous avons créé une chambre commerciale internationale ou encore bâti les fondements d’un projet de juridiction. Je remercie tout particulièrement les premiers présidents de chambre, les présidents de chambre et les directrices de greffe et leurs adjoints qui, en lien avec le parquet général, m’ont accompagnée et soutenue toutes ces années dans ces projets et m’ont permis de les mener à bien. Je remercie tous les magistrats, fonctionnaires et agents des juridictions du fond qui, au prix d’efforts importants, travaillent sans relâche, dans une société en demande croissante de justice, pour rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables.

Dans cet esprit, en ma nouvelle qualité de première présidente de la Cour de cassation, je souhaite renforcer le dialogue avec les juridictions du fond, préalable indispensable à l’harmonisation de l’interprétation du droit sur l’ensemble du territoire de la République, mais aussi dans l’optique de favoriser l’évolution de la jurisprudence et l’émergence de questions partagées par plusieurs juridictions, nécessitant une approche unifiée. Des espaces de discussion, des rencontres thématiques seront organisés, en lien, suivant le cas, avec les universités, les juridictions des ordres administratif ou financier, ou toutes autres institutions dont l’expertise est susceptible d’apporter un éclairage nouveau sur le droit applicable, par le droit comparé, l’analyse économique, la sociologie, la culture ou l’éthique. Des magistrats de la Cour de cassation iront à la rencontre des magistrats des cours d’appel. Lors des réformes importantes, les procédures de liaison avec les juridictions du fond devront permettre d’identifier rapidement les questions sur lesquelles la Cour de cassation pourrait intervenir, dans le cadre de sa mission interprétative.

Grâce à toutes ces années passées dans plusieurs juridictions de première instance, puis à la cour d’appel de Paris, je mesure les enjeux et l’importance des relations à venir, qui s’inscrivent dans une approche que je souhaite systémique. Comme aimaient à le rappeler Simone Rozès et Pierre Drai, un premier président est d’abord un juge et doit, à ce titre, être reconnu par ses pairs en cette qualité.

A ce propos, je souhaiterais tout particulièrement saluer la présence, à cette audience, de Mme la première présidente Simone Rozès, à laquelle je suis tellement fière de succéder. Madame la première présidente, vous avez marqué la place des femmes dans la magistrature et légitimé leur accès aux plus hautes responsabilités. La Cour de cassation s’est considérablement modernisée sous votre présidence. On y ressent encore le souffle de votre esprit réformateur et innovant, qui m’accompagnera chaque jour.

Monsieur le premier président Bertrand Louvel m’a réservé le meilleur accueil et je tiens à le remercier du temps qu’il a bien voulu me consacrer pour me faire partager sa riche expérience de la Cour, la place particulière qu’elle occupe et l’importance des réformes qu’il a menées, dont l’emblématique travail sur le mode de rédaction des arrêts et la généralisation du contrôle de proportionnalité.

La Cour de cassation a fait le choix d’exposer, à travers une motivation enrichie et développée, le raisonnement qui sous-tend la décision rendue et ses raisons déterminantes. Ce faisant, elle contribue à une meilleure appropriation de sa jurisprudence par l’ensemble des acteurs judiciaires, à un renforcement de son autorité, mais surtout, renforce son attractivité et celle de notre système juridique au plan international, dans le contexte de concurrence qui est le nôtre et à l’heure où la très grande majorité des Cours suprêmes ont recours à ce type de rédaction.

Soyez assurés que je poursuivrai, dans la concertation, les réformes initiées.

Mesdames et Messieurs les présidents de chambre, Mesdames et Messieurs les membres de la Cour, mes chers collègues, beaucoup d’évolutions se sont produites ces dernières années dans les méthodes de travail de la Cour de cassation, dans le traitement des pourvois et les délais de jugement. Elles doivent s’exprimer et se consolider dans un projet structuré, fruit d’une réflexion collective et institutionnelle, qui favorisera la création de liens forts au sein des chambres comme entre les chambres de la Cour, en particulier les chambres civiles, dans une optique d’harmonisation des modes de fonctionnement, mais aussi de transmission des savoirs et des compétences et de réflexion sur la nature des contentieux traités.

Dans la perspective de voir assurées l’unité de la jurisprudence et la sécurité juridique, une réflexion sur les moyens performants dont peut se doter la Cour pour discerner, dans la masse des arrêts des cours d’appel qui lui sont soumis, ceux qui présentent une question ou un enjeu nécessitant de sa part, un examen approfondi, est à creuser en lien étroit avec le Service de documentation, des études et du rapport (S.D.E.R.). Je souhaite mener une politique de sélection active des affaires et donner à la Cour les moyens de traiter rapidement et en profondeur les questions de droit sensibles ou pertinentes. Ce, par l’identification et le signalement des affaires qui posent des questions de principe, mais encore celles qui nécessitent une interprétation claire et harmonisée car elles concernent de nombreuses instances pendantes devant les juridictions du fond, qu’elles fassent suite à des réformes législatives ou soient l’expression de l’apparition d’un nouveau contentieux lié à des évolutions sociétales ou économiques.

Ainsi, grâce à un repérage précoce des affaires posant une question nouvelle ou de principe, un traitement des pourvois selon des circuits différenciés sera privilégié auquel répondra une motivation adaptée et graduée, de la non motivation à la motivation développée.

La Cour de cassation doit veiller à ce qu’à peine promulgués et publiés, les textes de loi et leurs décrets d’application soient immédiatement interprétés et appliqués de manière cohérente par l’ensemble des juridictions pour désamorcer de futurs contentieux. A ce titre, la procédure d’avis se devra d’être encore plus incitative et accessible.

Au-delà de l’unité du droit national, par son travail d’interprétation, la Cour de cassation doit assurer l’unité du système juridique en faisant en sorte que la loi interne soit uniformément interprétée en cohérence avec le droit européen, les conventions internationales, mais encore, en appréhendant les grandes questions éthiques, économiques ou sociétales.

A l’heure de la transformation numérique de la justice, la mise à disposition à titre gratuit des décisions de justice, très attendue de l’opinion publique et des acteurs économiques, reste encore à mettre en œuvre.

La Cour de cassation est particulièrement engagée dans cette mission puisqu’à l’instar du Conseil d’Etat, et chacun pour son ordre juridictionnel respectif, elle se prépare à se voir confier le pilotage des dispositifs de collecte automatisée des décisions de justice ainsi que la gestion des bases de données ainsi constituées, leur traitement et la diffusion de l’ensemble de la production judiciaire française.

En raison de la place qui est la sienne, au sommet de la pyramide de l’ordre judiciaire, en raison des responsabilités qu’elle exerce et de son savoir-faire dans la publication de sa jurisprudence et de celle des cours d’appel et des tribunaux, avec la gestion, depuis de nombreuses années, de banques de données de jurisprudence, la Cour de cassation est particulièrement légitime pour prétendre au pilotage de l’open data des décisions de justice de l’ordre judiciaire. Je m’engage à poursuivre les démarches accomplies pour permettre à la Cour de remplir cette importante mission, sous l’égide du Service de documentation des études et du rapport et en lien avec le ministère de la Justice.

Monsieur le procureur général, nos chemins se croisent, une nouvelle fois, et je m’en réjouis. Nous aurons à partager de lourdes responsabilités et je sais pouvoir compter sur un partenaire à l’écoute. Sachez que je suis très attachée à l’évolution de la place du parquet général près la Cour de cassation et plus spécifiquement à son rôle au sein des chambres de la Cour, qui ne peuvent que bénéficier de la réflexion et de l’avis d’un avocat général saisi suffisamment en amont, sur la portée des décisions qu’elles sont amenées à rendre dans des affaires sélectionnées en raison de leur intérêt ou de leur portée. J’ai parfaitement conscience que ce temps d’analyse et de consultation préalable est indispensable pour permettre au parquet général de remplir convenablement son office à la lumière de la doctrine, du droit comparé et en lien étroit avec tous les acteurs de la société.

Nous poursuivrons également ensemble, dans un esprit confiant et constructif, le dialogue engagé de longue date sur les questions immobilières.

Monsieur le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, vous êtes un interlocuteur indispensable de notre Cour et j’entends que par des rencontres régulières nous puissions échanger sur nos préoccupations et nos projets communs, dans le respect de l’indépendance de chacun. Nous pourrions ainsi examiner de concert la question de la place des modes alternatifs de règlement des différends au stade de la cassation, nouveau champ de réflexion à explorer. Je n’oublierai pas vos confrères des barreaux de France avec lesquels, en première instance, des échanges féconds ont été instaurés pendant de nombreuses années.

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature, en ma qualité de présidente de la formation du Conseil compétente à l’égard des magistrats du siège, j’entends participer étroitement à la gestion des ressources humaines des magistrats du siège et veiller au respect des devoirs et obligations déontologiques qui leur incombent. Il s’agit là des aspects majeurs de l’activité du Conseil auxquels je suis très attachée. Soucieuse de la qualité et de l’adéquation des affectations dans le cadre bien compris d’une vision stratégique partagée des évolutions de la magistrature, j’entends réserver une attention toute particulière au pouvoir de nomination du Conseil. Je salue à ce titre le travail d’ampleur accompli par le Conseil avec la Direction des services judiciaires grâce à des échanges nourris et un dialogue constructif, tendant à promouvoir la valorisation des compétences et des carrières, que j’entends bien évidemment poursuivre. La communication extérieure du Conseil supérieur de la magistrature sur l’ensemble de ses missions et l’ampleur de son rôle devront à cet égard être renforcés et valorisés. Présidente du conseil de discipline des magistrats du siège, j’assumerai ce rôle en conscience, tant l’attente des justiciables et de la société envers leur juge est élevée. L’image que l’on donne de notre institution ne supporte aucun laxisme ni légèreté mais au contraire, doit offrir toutes les garanties d’indépendance, d’impartialité, de probité et de dignité.

Je m’attacherai à inciter les magistrats à veiller au respect quotidien d’une déontologie partagée.

Vous m’avez comprise, je souhaite être une première présidente ouverte au dialogue, sans frontière aucune, ni interne ni externe.

Dans cet esprit, parce que nous avons des problématiques partagées, des contentieux connexes voire communs, je serai heureuse, Monsieur le vice-président du Conseil d’État, de poursuivre les échanges fructueux entre nos deux juridictions, sources d’enrichissement réciproque et vecteur de créativité, pour nos méthodes de travail notamment, la déontologie de nos juges ou la gestion de leur évolution professionnelle. Ce dialogue s’est enrichi avec le Conseil constitutionnel depuis l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité ; l’institutionnalisation de nos échanges pourrait s’exprimer dans des travaux communs, des colloques ou des conférences avec le concours renouvelé de l’université.

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’Homme, Monsieur le président Bonichot, juge à la Cour de Justice de l’Union européenne, vos présences illustrent à nouveau le renforcement des liens tissés avec la Cour de cassation, notamment dans le cadre des rencontres régulières et du développement du réseau d’échanges mis en place depuis bientôt 5 ans. Le développement des échanges économiques à l’échelle mondiale, la circulation intense des informations de toute nature induisent, nécessairement, des relations fortes avec les autres Cours suprêmes, en Europe et dans le monde, pour que soit reconnue notamment la place du droit continental.

Mesdames et Messieurs les chefs des Cours suprêmes, Mesdames et Messieurs les membres de l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), mon implication personnelle dans nos relations à venir concourra au développement d’un réseau d’échanges d’idées et d’expériences incluant les pays de droit continental et de Common law. La recherche de la cohérence des décisions également à un niveau supranational, le renforcement de la sécurité juridique doivent nous conduire à concevoir, dans le respect de l’autonomie et de l’autorité de chacun, des échanges réguliers, directs et facilités. La Cour de cassation est et restera une juridiction attentive et ouverte sur le monde.

Je retrouverai enfin, avec plaisir, les murs de l’Ecole nationale de la magistrature, cette grande école de la République reconnue par la communauté juridique et judiciaire tant européenne qu’internationale. La formation des magistrats, dans une école d’application dont la qualité et l’indépendance constituent les gages de la confiance des citoyens dans la Justice, est au cœur de mes préoccupations. En ma qualité de présidente du Conseil d’administration de l’ENM, le contenu et les modalités de la formation initiale et continue des magistrats seront une priorité. Je veillerai à ce que les auditeurs soient sensibilisés aux problématiques sociales, aux besoins des juridictions et aux évolutions du métier de magistrat, notamment l’inscription du futur magistrat non pas seulement dans une institution, mais très concrètement dans une structure, avec des services à animer, une équipe autour de soi, des agents et du personnel de greffe avec lesquels collaborer. L’Ecole nationale de la magistrature est un modèle d’excellence, dont s’inspirent nombre de nos homologues étrangers. Je défendrai son rôle et sa place en soutenant un programme de formation ambitieux au service de la compétence, de l’indépendance et de la diversité tant des méthodes que des programmes.

Mesdames et Messieurs, je défendrai la place de la Cour de cassation et j’assurerai son rayonnement, avec vous Mesdames et Messieurs les présidents de chambres, avec vous mes chers collègues, et avec vous Madame la directrice de greffe, ainsi que vous Mesdames et Messieurs les agents et fonctionnaires de la Cour dont les compétences professionnelles sont reconnues.

Ensemble, en lien avec Monsieur le procureur général, nous ferons connaître et partagerons le savoir-faire de la Cour auprès de nos collègues, de l’opinion publique, mais aussi à l’étranger. Nous élaborerons un rapport d’activité annuel à destination du grand public, nous développerons le partenariat avec les universités et nous veillerons à l’accessibilité élargie de notre site internet.

La communication de la Cour est en effet un enjeu majeur de ces prochaines années : à l’heure de l’hyper connexion du monde, du développement sans cesse renouvelé des réseaux sociaux, la Cour doit, depuis la place qui est la sienne, adapter sa communication aux bouleversements numériques pour rendre plus visibles et lisibles encore son rôle, sa place, sa jurisprudence et ses avis, ses initiatives, les événements qu’elle organise ou qu’elle accueille. En bref, nous communiquerons.

Je souhaite partager avec vous tous une vision de l’institution judiciaire en général et de la Cour de cassation en particulier, consciente des enjeux qu’elle emporte pour notre justice judiciaire de droit continental et parce que, comme l’écrivait Albert Camus dans L’homme révolté : « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent », soyons généreux, ensemble et maintenant. »

Monsieur le procureur général, avez-vous d’autres réquisitions ? 

Chantal ARENS

Discours de M. François Molins lors de l’installation de Mme Chantal Arens dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation Vendredi 6 septembre 2019

Discours prononcé par M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, lors de l’audience solennelle d’installation de Mme Chantal Arens, dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation.

Mesdames, Messieurs, chers collègues,

L’installation d’un nouveau premier président de la Cour de cassation est un moment particulièrement fort dans la vie de notre juridiction. L’honneur que nous font les très nombreuses personnalités de leur présence à cette audience solennelle en est le témoignage.

Monsieur le Premier ministre, vous avez accepté d’honorer cette cérémonie de votre présence. Nous sommes très sensibles à l’intérêt que vous manifestez ainsi à l’autorité judiciaire et vous prions de croire à notre gratitude.

Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, votre présence à cette audience est un honneur pour l’ensemble des femmes et des hommes qui œuvrent au quotidien au sein de cette Cour, mais aussi le symbole des liens fructueux qui unissent notre Cour et votre chancellerie, au service du droit, de la justice et de l’ensemble de nos concitoyens. Nous vous en remercions vivement.

Je voudrais aussi remercier tout particulièrement pour leur présence à cette audience,

Monsieur le président du Sénat et Monsieur le vice-président de l’Assemblée nationale,

Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat,

Monsieur le défenseur des droits,

Madame la procureure générale près la Cour des comptes,

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’homme,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités françaises et étrangères, ambassadeurs et chefs de cours suprêmes,

A vous tous, je tiens à exprimer ma gratitude pour votre présence à la Cour de cassation aujourd’hui.

Et enfin, je souhaite tout particulièrement saluer Madame Simone ROZES, qui nous fait l’immense honneur de sa présence à cette audience. Vous, qui êtes la première femme à avoir accédé à la fonction suprême du corps judiciaire, et qui avez toujours soutenu que la compétence des femmes et des hommes était partagée, vous êtes le symbole de la modernité et de l’excellence que doit incarner la Cour de cassation.

Madame la Première présidente, chère Chantal ARENS, dans quelques instants, vous occuperez le siège où votre prédécesseur, Bertrand LOUVEL m’accueillait il y a dix mois.

Vous me permettrez de rappeler tout d’abord à quelle personnalité de grande qualité vous succédez. Bertrand LOUVEL a marqué de son empreinte cette juridiction qu’il a présidée pendant cinq ans. Ses mérites l’y avaient naturellement désigné. Homme de grande culture, esprit ouvert, libre et foncièrement indépendant, il était doté de convictions inébranlables quant à l’office du juge, ses devoirs et son éthique. Travailleur infatigable et d’une exigence intellectuelle rare, il était unanimement apprécié par ses pairs.

La question institutionnelle lui était chère : celle de la séparation des pouvoirs, du statut de l’autorité judiciaire dans notre pays, du risque de marginalisation croissante de celle-ci au sein des pouvoirs constitués, de l’autonomie du ministère public avec l’alignement de son statut sur celui du juge.

Il a toujours défendu une éthique professionnelle très exigeante, mais n’a pas hésité non plus à sortir de son devoir de réserve, voire à être dans la rupture, quand l’institution judiciaire a été mise à mal, pour défendre l’honneur et l’image des magistrats, soutenir leur impartialité ou encore rappeler leur indépendance.

Il s’est attaché à poursuivre la modernisation de la Cour et de ses méthodes de travail, et à œuvrer constamment pour ériger la Cour de cassation en véritable cour suprême.

Cinq ans plus tard, nombreux sont les résultats des actions et réflexions qu’il a souhaité mener :

- La publication du « Mémento sur les nouvelles règles relatives à la structure des arrêts et à leur motivation  », dans un souci de clarté et de lisibilité accrues ;

- L’élaboration d’un mémento de méthodologie à destination des chambres concernant le contrôle de proportionnalité dans la perspective d’un dialogue des juges renforcé avec les cours européennes, empreint d’échanges d’arguments et d’interprétations, rendu indispensable par la nécessité d’une bonne administration de la justice et la garantie de la sécurité juridique pour l’ensemble de nos concitoyens ;

- Le développement de l’open data judiciaire et des moyens de communication de la Cour, avec notamment la mise en œuvre du visionnage en direct des colloques et des audiences solennelles sur les réseaux sociaux, contribuant ainsi largement à renforcer la visibilité de la Cour. Aujourd’hui, 108 000 abonnés suivent le compte twitter de la Cour de cassation. 

Toutes ces actions s’inscrivent dans une même dynamique, un même objectif : celui de rendre une justice de qualité, plus lisible et plus compréhensive, et de satisfaire à cette exigence d’interprétation et d’adaptation du droit interne aux garanties de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Bertrand LOUVEL s’est par ailleurs beaucoup consacré au rayonnement international de la Cour et au développement du Réseau francophone des conseils de la magistrature judiciaire et de l’AHJUCAF, l’Association des juridictions de cassation des pays partageant l’usage du français.

Enfin, je n’oublie pas son action de président du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature où j’ai siégé à ses côtés : il a montré l’importance qu’il attachait à la pédagogie dont il suivait les évolutions, et il n’a eu de cesse de rappeler l’enjeu que représente la déontologie pour le magistrat, avec sa spécificité inhérente au principe d’indépendance et indissociable du rôle de gardien des libertés qui est le sien.

Je souhaite à nouveau lui exprimer la reconnaissance des magistrats et fonctionnaires de cette Cour pour le travail accompli, et l’assurer qu’il a parfaitement justifié la confiance qui lui avait été faite, par la fidélité qu’il a toujours su conserver à ses convictions et à ses engagements.

***

Vous devenez donc, Madame la Première présidente, le 35ème premier président de la Cour de cassation, vous inscrivant dans une lignée de magistrats qui ont marqué la Cour de leur empreinte, et qui sont autant de références en droit, en déontologie et en humanité, et qu’à n’en pas douter, vous perpétuerez.

Votre seule nomination vous a déjà conféré la Une dans nombre de médias sous le titre de « Deuxième femme de l’histoire de la magistrature à occuper ces prestigieuses fonctions après Simone ROZES ». C’était en 1984 ! Ceci mérite d’être souligné tant c’est révélateur d’une forme évidente de modernité, mais aussi de consécration parfaitement légitime puisque vous avez dirigé le plus grand tribunal puis la plus grande cour d’appel de France.

***

Votre carrière, Madame la Première présidente, a commencé avec la proximité avec le justiciable, au sein d’un tribunal d’instance. Nommée, à la sortie de l’ENM, au tribunal d’instance de Saint-Avold, vous exercerez ces fonctions également à Metz avant de devenir vice-président dans différentes juridictions : à Thionville, à Chartres puis à Versailles. En 1989, vous êtes détachée en qualité de chef de bureau du droit communautaire au ministère des postes et télécommunications jusqu’en 1993, où votre curiosité vous conduit au parquet de Paris où vous dirigerez la section de la délinquance astucieuse.

La richesse de votre expérience, votre compétence, votre mobilité légitimaient naturellement votre nomination en 1999 en qualité d’inspectrice des services judiciaires.

Vous avez donc l’âme trempée de cette expérience juridictionnelle et gestionnaire riche et diversifiée qui vous destinait naturellement aux défis de juridictions hors normes, à la tête du tribunal de grande instance de Nanterre en 2008, puis du TGI de Paris en 2010, et enfin à la tête de la cour d’appel de Paris en 2014.

Au tribunal de grande instance de Paris, où j’ai eu la chance de travailler avec vous pendant plus de trois ans, nous avons partagé une vision et porté une ambition qui nous a permis de développer une véritable politique de juridiction dans le respect absolu de l’indépendance du juge, et de relever des défis majeurs et inédits, notamment en matière de terrorisme, défis que vous avez dû continuer à relever au sein de la cour d’appel de Paris, en terme de réorganisation des chambres pénales pour les adapter aux flux des contentieux, sans négliger pour autant les ambitions que vous aviez développées pour votre cour : création d’une chambre commerciale internationale et apurement de la situation sinistrée des chambres sociales. Obtenant de la chancellerie la mise en œuvre d’un contrat d’objectifs sans précédent, vous avez su permettre à vos équipes de reprendre un peu de souffle et de confiance.

Au-delà de vos compétences techniques unanimement reconnues, et que vous avez eu le courage de mettre régulièrement à l’épreuve en assumant des contentieux et des responsabilités toujours très différentes, vous êtes une vraie spécialiste des ressources humaines, non pas au sens technocratique, trop facilement employé de nos jours, mais au sens premier qui vous a toujours conduit à vous intéresser sincèrement à vos équipes, à prendre en compte leurs avis et surtout, à faire émerger un consensus et à susciter l’adhésion aux projets.

Durant les presque trois années où nous avons officié à la tête du tribunal de grande instance de Paris, j’ai pu personnellement constater à quel point l’élévation de votre pensée et votre sérénité ont été précieuses à la justice et à la défense de l’office du juge. Votre clairvoyance des problèmes posés, votre très grande force intérieure et votre détermination vous ont permis de faire évoluer les juridictions parisiennes vers la modernité, tout en sachant obtenir l’adhésion des magistrats et des fonctionnaires et en faisant vivre un dialogue social d’une très grande qualité.

Comme vous le disiez si justement lors de la dernière audience de rentrée de la cour d’appel de Paris en janvier 2019, citant Victor Hugo : « la persévérance est le secret de tous les triomphes ». Je sais aujourd’hui que vous continuerez à persévérer dans l’entreprise qui aura marqué toute votre carrière : la recherche de l’excellence au service de la justice, dans cette cour que vous dirigez désormais et qui, à travers ses avis et ses arrêts, a pour mission d’interpréter la loi et d’unifier la jurisprudence.

***

Vous comprendrez que j’oriente maintenant mon propos sur le parquet général de cette Cour et sur les relations que nos fonctions respectives vont nous conduire à entretenir.

Aux termes de l’article L. 432-1 du Code de l’organisation judiciaire, l’avocat général rend des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun, et il éclaire la Cour sur la portée de la décision à intervenir. Le parquet général doit donc avoir un rôle d’interface entre la Cour et l’extérieur, la société civile. Il doit être une fenêtre ouverte sur l’extérieur. Sauf à prendre le risque d’un profond décalage avec la réalité, l’interprétation du droit ne peut se faire dans l’ignorance du contexte. La mission du parquet général consistant à éclairer le juge et à lui apporter des éléments extérieurs est donc essentielle. Le parquet général doit être ce regard extérieur, cette passerelle indispensable entre le juge et le citoyen afin que la règle de droit intègre pleinement les évolutions de notre société en perpétuelle mutation. Ouvert sur l’extérieur, il doit contribuer à l’expression d’un droit vivant.

Ceci doit donc le conduire à occuper toute sa place au sein de la Cour et à toujours mieux remplir ses missions. Il n’est pas une partie au procès ; il est ainsi détaché de tout intérêt particulier, et donc, totalement impartial, il veille au respect de l’Etat de droit et des principes fondamentaux.

C’est parce qu’il tient ce rôle majeur qu’il se doit de rendre des avis de qualité, tout particulièrement dans les dossiers traitant de questions sociétales complexes et majeures, ou touchant à l’ordre public ou aux libertés individuelles.

Nous savons que cela passe par un regard partagé avec le siège et le Service de la documentation des études et du rapport pour détecter ces dossiers le plus en amont possible et parvenir dans ces cas à une désignation de l’avocat général dès l’affectation du dossier à une chambre. Depuis le mois de mars, cette détection est effective et se développe peu à peu : elle a donné lieu, dans 36 dossiers, à la désignation de l’avocat général dès l’orientation du dossier vers la chambre compétente concomitamment au choix du conseiller rapporteur. Je peux témoigner, pour en avoir personnellement fait l’expérience à deux reprises, dans des dossiers soumis à l’assemblée plénière, de la richesse des échanges que cette désignation en amont suscite entre le conseiller rapporteur et le parquet général.

Il nous appartient, Madame la Première présidente, de développer et de consolider, dans le respect des principes fondamentaux contenus dans la Convention EDH, ce lien, cette passerelle entre la Cour et son parquet général. Je sais que nous nous y emploierons dans le respect de nos compétences respectives en développant toute la concertation nécessaire, et au besoin dans des espaces moins formels que ceux prévus par le Code de l’organisation judiciaire.

A la tête de cette Cour, nous devons partager une vision et porter une ambition.

L’ambition d’une justice de qualité, gardienne des libertés.

Cette ambition passe par le respect absolu de l’indépendance du juge. La décision de justice constitue le cœur de l’indépendance juridictionnelle et, sauf exceptions définies par la loi et mises en œuvre par le Conseil supérieur de la magistrature, elle ne peut être contestée que par les voies de recours.

Cette ambition passe aussi par la protection dont doit bénéficier dans une démocratie l’acte de poursuite, contre toute attaque ou pression d’où qu’elles puissent venir. La protection dont est assorti l’acte de poursuite et de juger a pour seule finalité de garantir l’impartialité de la décision de justice.

L’ambition, c’est d’assurer le respect des règles qui nous viennent de la loi pour donner force et contenu au pacte social d’une société démocratique et moderne, c’est-à-dire d’un Etat de droit.

L’ambition , c’est de poursuivre la modernisation de la Cour en relevant tous les défis majeurs qui se posent à elle, pour lui permettre de toujours mieux assurer sa mission de contrôle normatif sur le fond des décisions de justice et de contrôle disciplinaire sur la forme et la motivation, et ce, dans le souci constant d’une plus grande clarté et lisibilité pour les professionnels et pour le justiciable.

L’ambition, c’est de porter, de poursuivre et de faire vivre un dialogue social de qualité.

L’ambition enfin pour la Cour, au regard de l’autorité qui lui est reconnue en tant que gardienne de la règle de droit, est d’accompagner ses pairs des juridictions du fond dans l’évolution de nos pratiques sur l’office et le travail du juge.

Voilà en quelques mots ce que je souhaitais vous dire, Madame la Première présidente.

Je sais que notre entente sera facile et harmonieuse dans le respect de nos fonctions respectives. Votre connaissance de l’institution, votre compétence et votre puissance de travail, ainsi que la profonde humanité que vous manifestez dans les liens et les échanges professionnels, sont autant d’atouts dans les lourdes responsabilités qui sont maintenant les vôtres.

Je me réjouis donc, avec l’ensemble des magistrats et des fonctionnaires de la Cour et du parquet général de vous voir nous rejoindre et je serai très heureux de partager ce chemin avec vous.

Madame la doyenne des présidents de chambre, je requiers qu’il plaise à la Cour

faire donner lecture du décret de nomination de Madame Chantal ARENS, la déclarer installée, dans ses fonctions de Premier président de la Cour de cassation me donner acte de mes réquisitions, et dire que du tout, il sera dressé procès-verbal pour être conservé au rang des minutes de la Cour.

François MOLINS

Discours de Mme Anne-Marie Batut, lors de l’installation de Mme Chantal Arens dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation

Vendredi 6 septembre 2019

Discours prononcé par Mme Anne-Marie Batut, présidente de la première chambre civile de la Cour de cassation, lors de l’audience solennelle d’installation de Madame Chantal Arens, dans ses fonctions de première présidente de la Cour de cassation.

Monsieur le Premier ministre,

Monsieur le président du Sénat,

Monsieur le vice-président de l’Assemblée nationale,

Madame la Garde des Sceaux,

Messieurs les ministres,

Messieurs les ambassadeurs du Liban, du Maroc, d’Egypte et du Mali,

Messieurs les premiers présidents des Cours suprêmes du Liban, du Maroc, de Bulgarie, du Sénégal et de Macédoine,

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’Homme,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le Vice-président du Conseil d’Etat,

Monsieur le défenseur des droits,

Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs,

Madame la Procureure générale près la Cour des comptes,

Monsieur le président de la Cour de justice de la République,

Monsieur le Grand chancelier de la Légion d’Honneur,

Monsieur le préfet de Région,

Monsieur le préfet de police,

Madame la maire de Paris,

Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités représentant les autorités civiles, militaires et religieuses,

Mesdames et Messieurs les représentants des professions judiciaires,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

La Cour vous remercie de votre présence à cette audience solennelle d’installation de sa première présidente, qui marque l’un des temps forts et très emblématique du fonctionnement de la Cour de cassation, annonciateur de renouveau et de projets à réaliser.

*******

Invité à développer, à l’appui de sa candidature, sa conception de l’exercice des fonctions auxquelles il aspirait, Bertrand Louvel s’exprimait en ces termes :

 « Il est sans doute essentiel que le Premier président de la Cour de cassation, premier magistrat du siège, demeure d’abord un juge en prise quotidienne avec les difficultés de l’institution tout entière et habité par le souci des incidences multiples des décisions de la Cour  ».

 C’est ainsi qu’il concevait sa fonction à la tête d’une juridiction qu’il connaissait bien pour y avoir occupé successivement, au cours des cinq années précédentes, le poste de président de chambre à la direction du service de documentation, des études et du rapport (SDER), puis celui de président de la chambre criminelle.

 Attentif à ce que la Cour de cassation demeure en prise avec les attentes de la société, il en a poursuivi la modernisation, déjà amplement mise en œuvre par ses deux derniers prédécesseurs, avec l’objectif de définir les évolutions visant à renforcer son autorité normative.

 Inlassablement porté par la volonté de permettre à la Cour de mieux concourir à sa fonction de juridiction supérieure nationale, le premier président Louvel s’est attaqué aux deux principaux maux y faisant obstacle que sont le nombre de pourvois voués à un échec certain et l’absence de transparence et de lisibilité de l’écrit judiciaire.

C’est ainsi que, dès son installation en qualité de premier président, en juillet 2014, il a engagé une réflexion concertée sur la réforme de la Cour de cassation par la mise en place de groupes de travail.

Les résultats de cette réflexion collective et pluridisciplinaire, qui marqueront certainement sa première présidence, sont caractérisés, d’une part, par l’élaboration d’un projet de filtrage des pourvois à inscrire dans une réforme plus globale de réexamen de l’architecture du procès civil, inséparable désormais de perspectives offertes par l’intelligence artificielle, d’autre part et surtout, par une révision d’ampleur de la rédaction et de la motivation des arrêts de la Cour, prenant appui sur une technique de démonstration fortement empruntée, sur la forme, aux modalités de rédaction des décisions des cours européennes et lui permettant, sur le fond, de procéder aux contrôles internes ultimes qu’implique l’application de la Convention européenne des droits de l’homme, en vue d’assurer aux justiciables le bénéfice immédiat des libertés consacrées par les textes internationaux.

Bertrand Louvel a également eu le souci constant de maintenir le positionnement national et international de la Cour.

C’est par son ouverture que la Cour de cassation s’est illustrée ces cinq dernières années, en intégrant les progrès technologiques de notre temps :

Ouverture au public, par une diffusion audiovisuelle, en direct et en différé, des audiences solennelles et des très nombreux colloques et journées de réflexion qui se tiennent dans cette salle. Ouverture au justiciable, par un véritable engagement dans l’open data, en se dotant des moyens de piloter le traitement puis la diffusion des décisions rendues par l’ensemble des juridictions judiciaires françaises. Ouverture institutionnelle et internationale, enfin, par un investissement important dans les relations avec les Cours suprêmes étrangères. Conscient de l’importance du dialogue, il a beaucoup œuvré à la constitution de réseaux d’échanges : celui créé dans le cadre du Conseil de l’Europe, le 5 octobre 2015, ou encore le réseau francophone des conseils de la magistrature judiciaire institué en 2014. Car présider la Cour de cassation, c’est également se voir confier la présidence de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège et celle du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature.

Dans l’ensemble de ces fonctions, Bertrand Louvel a inscrit un attachement profond à l’indépendance de la magistrature et au respect des règles déontologiques.

*******

 Ces valeurs, Madame la Première présidente, vous les incarnez, n’hésitant pas à défendre, haut et fort, notre institution, chaque fois que des décisions prises par des magistrats de votre ressort ont pu être attaquées, et à travers elles l’autorité judiciaire toute entière, rappelant que « l’indépendance juridictionnelle des juges est une condition essentielle de la démocratie », ou encore « que le juge doit pouvoir exercer ses fonctions dans la sérénité, à l’abri de toute pression politique, sociale ou médiatique ».

Ce n’est donc pas sans raison que le Conseil supérieur de la magistrature vous a choisie, le 3 juillet dernier, pour devenir la première magistrate de notre République.

La presse s’est fait l’écho de ce que vous êtes, après Simone Rozès - qui nous fait le grand honneur de sa présence - la deuxième femme à occuper ce poste prestigieux. Pour autant, nous savons tous que ce n’est pas ce qui a guidé le Conseil supérieur de la magistrature dans son choix, mais bien plutôt, et à l’évidence, votre remarquable carrière et vos projets ambitieux pour la Cour de cassation.

Vous êtes unanimement appréciée et reconnue pour vos qualités d’écoute, pour votre dynamisme et vos actions, toujours guidées par la volonté d’œuvrer dans le sens d’une amélioration du fonctionnement et de l’organisation de l’institution judiciaire, de sa modernisation, et partant, de la qualité de la justice. On vous prête une autorité naturelle, un caractère volontaire et déterminé, et dans le même temps, une inclination à accompagner vos propos de discrètes pointes d’humour : expression d’un esprit fin et perspicace.

Votre nomination à la Cour de cassation clôture une magnifique carrière commencée en 1979 ; carrière exemplaire, que Monsieur le procureur général retracera plus en détails dans un instant. Vous vous êtes distinguée en présidant successivement les tribunaux de grande instance d’Evreux, de Nanterre puis de Paris, avant d’être nommée en 2014 à la tête de la cour d’appel de Paris ; parcours illustre, qui ne pouvait que vous conduire à la première présidence de la Cour de cassation.

Votre manière de présider se singularise par une gouvernance à la fois collective et participative, avec la mise en place de groupes de travail pour favoriser la réflexion en commun, le partage des idées et le décloisonnement des initiatives. Le projet de juridiction que vous avez ainsi mis en place à la cour d’appel de Paris en témoigne : outil de cohésion, de dialogue et de communication, il a vocation – selon vos propres termes - à « donner du sens à nos missions dans l’objectif partagé de rendre des décisions de qualité […] et d’offrir une plus grande lisibilité aux justiciables ».

Votre énergie et votre ténacité ont abouti à la conclusion de contrats d’objectifs avec la Chancellerie, pour redresser des services en difficulté ou encore, faire face à un accroissement chronique de certains contentieux, notamment en matière pénale. 

Au-delà des aspects managériaux, il importe de souligner que vous avez toujours veillé à appréhender votre rôle de chef de juridiction puis de chef de cour en qualité de juge du siège, ce que vous revendiquez être et demeurer, quelles que soient les fonctions que l’on vous confie. Vous veillez à favoriser la réflexion collective sur des questions juridiques nouvelles, et ce faisant, à renforcer l’attractivité et la compétitivité des juridictions que vous présidez, avec, par exemple, l’organisation de nombreux colloques et conférences. Pour n’en citer que quelques-uns, peuvent être évoqués les réflexions menées, trois années consécutives, sur le rôle et la place du juge en France et dans le monde autour du thème du « Juge mondialisé » et du « Juge régulateur » ; le colloque consacré au droit de la concurrence de 2016, dont les actes sont parus dans un ouvrage collectif que vous avez dirigé et préfacé, consacré au « Droit français de la concurrence, trente ans après l’ordonnance du 1er décembre 1986 » ; ceux dédiés à la médiation ou à la conciliation, modes alternatifs de règlement des différends pour le développement desquels vous avez été particulièrement dynamique, en créant notamment une structure dédiée au sein de la Cour ; ou encore, pour terminer, celui de juin dernier consacré aux chambres commerciales internationales et à l’attractivité de la place de Paris en la matière.

La question de l’office du juge et de sa manière de travailler n’a cessé d’être votre priorité : repenser les méthodes de travail, systématiser une équipe autour du magistrat, assurer une collégialité effective autour d’un écrit de qualité, éclaircir les rôles de chacun des degrés de juridiction en regardant ce qui se fait dans les autres ordres de juridiction ou encore à l’étranger, sont pour vous, Madame la première présidente, autant de chantiers qui restent à explorer, et pour lesquels, à n’en pas douter, la Cour de cassation, sous votre présidence, apportera sa contribution.

La Cour est honorée de vous accueillir aujourd’hui, Madame la première présidente, fière de votre investissement au service de la justice qui, confrontée notamment aux transformations de la société et aux attentes du citoyen, doit savoir se repenser dans l’intérêt des professionnels et des justiciables. « Le futur, il ne faut pas le prévoir, il faut le permettre », disiez-vous en 2016. Vos propos prennent aujourd’hui une nouvelle dimension par les nombreuses perspectives qu’ils ouvrent à la Cour de cassation.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole.

Anne-Marie BATUT

Photo libre de droits de Mme Chantal Arens :

En présence de Madame Simone Rozès, première présidente de la Cour de cassation, de 1984 à 1988.

Vendredi 6 septembre 2019

Cour de cassation

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