Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1939

En 1939, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 16 octobre, à Angers.

Rentrées solennelles

Discours prononcés :

Discours de monsieur Charles Frémicourt,

premier président de la Cour de cassation

Messieurs,

En ouvrant, loin de notre Grand’Chambre et de la galerie Saint-Louis, cette audience de rentrée que, pour la première fois dans l’histoire de la Cour de cassation, nous tenons dans une ville de province, je tiens à remercier les autorités locales et la population angevine de l’accueil qu’elles nous ont réservé depuis qu’obéissant aux ordres de repliement, nous avons établi dans cette cité notre résidence temporaire.

En particulier, les magistrats de la cour d’appel et du tribunal civil, les membres des compagnies judiciaires, avocats, avoués, huissiers ont rivalisé de bonne grâce, d’empressement aimable et déférent pour faciliter notre tâche en nous abandonnant une grande partie des locaux de ce palais de Justice et jusqu’ à leurs propres cabinets.

Je saisis volontiers l’occasion de leur exprimer, à tous, notre gratitude.

Vous savez, messieurs, que le décret du 26 septembre dernier a fort opportunément suspendu, pendant la durée des hostilités, les dispositions antérieures qui tendaient à donner à ses audiences de rentrée, un éclat particulier.

Nous ne ferons pas de discours et nous nous bornerons à évoquer la mémoire de nos morts. Ce faisant, nous élèverons également notre pensée jusqu’à tous ceux, parents ou amis, magistrats ou membres de la grande famille judiciaire, jeunes hommes de toute classe et de tout rang qui, combattant pour la plus juste et la plus noble des causes, sont à cette heure, plus encore que nous-mêmes, les véritables serviteurs du droit.

Aussi bien la Cour de cassation, puisqu’elle est en France la plus haute expression du Droit, ne peut-elle marquer dès sa première assemblée plénière et publique, de joindre sa voix à celle de tous les hommes et de tous les peuples libres pour s’élever contre les incessantes violations des traités, les manquements systématiques à la parole donnée, le recours constant à la force, et pour proclamer sa foi profonde parce que raisonnée dans l’inéluctable revanche de la morale et du Droit.

Discours de monsieur Jules Pailhé,

procureur général près la Cour de cassation

Monsieur le premier président,

Messieurs,

L’heure n’est certes pas aux discours, mais néanmoins, avant de donner la parole à mon excellent collaborateur, monsieur l’avocat général Chabrier, qui va retracer devant vous la vie judiciaire des collègues que vous avez eu la douleur de perdre au cours de l’année, je tiens, en quelques mots, à associer le Parquet général aux paroles que vient de prononcer monsieur le premier président et aux sentiments d’abord de profonde gratitude aux autorités administratives et judiciaires et à nos hôtes de la ville d’Angers, qui ont bien voulu réserver aux pauvres exilés que nous sommes, bien malgré nous, un accueil aimable et empressé qu’ils n’oublieront jamais !

Il y a vingt-cinq ans, en octobre 1914, la plupart d’entre nous étaient aux Armées depuis plus d’un mois ; déjà Charleroi était un lointain souvenir ! Sur les ordres de Joffre, nos armées, qui battaient en retraite depuis plusieurs jours, avaient opéré ce redressement qui a fait l’admiration du monde.

Galliéni, ainsi qu’il s’y était engagé, avait défendu Paris ; Foch avait enfoncé le front des armées ennemies, dans les marais de Saint-Gond ; elles étaient désormais fixées au sol, à notre sol malheureusement et quatre années vont s’écouler ; de grands chefs se révèlent : « On ne passera pas à Verdun » a annoncé Pétain, et il tient cette promesse !

En 1918, le commandement unique est réalisé avec le concours de nos alliés ; Foch, désormais, dirige tout, entouré de chefs éminents des armées alliées.

La débâcle allemande va se précipiter et, enfin, arrive le 11 novembre 1918 ! Jour de joie et d’espoirs : il n’y aura plus de guerre !

Hélas la nation de proie s’est reconstituée et vingt-et-un ans après, la guerre qu’elle nous a obligés de faire va commencer !

L’âge est venu pour nous tous, les jeunes remplacent les anciens et ont couru à nos frontières avec le même calme et le même moral qu’en 1914 et c’est ainsi qu’aujourd’hui notre pensée fervente suit nos fils, nos gendres, tous ceux de notre beau pays de France, ceux de chez nous ! Tous unis et indivisibles.

Je leur adresse l’hommage de notre admiration et de notre reconnaissance, mais il y a autre chose à faire ; il faut que ceux qui sont partis à l’appel de la Patrie en danger, confiants dans le chef respecté du gouvernement de la République et dans ceux de notre armée, sentent que nos cœurs battent à l’unisson des leurs.

Je lisais hier, avec une émotion profonde et bien douce, un article paru ces jours-ci dans les « Heures de la Guerre ». Je ne puis résister au désir de vous le lire, il constituera ma conclusion :

« Nous autres de l’arrière, nous ne sommes plus que des civils, et nous éprouvons une sorte de retenue et de gêne à oser dire encore que nous sommes « les anciens combattants » quand nos frères et nos fils sont dans la bataille et dans l’épreuve et que « les hommes de la guerre » c’est eux et plus nous…Cependant que le soldat se bat, le civil doit rentrer en soi-même et faire pénitence…faire la guerre pour nous, de l’arrière, c’est ne pas pouvoir s’éveiller au matin, ni s’endormir au soir, sans faire le don de sa pensée à ceux qui offrent leur vie pour nous. C’est prendre sa part, en toute et simple bonne foi, d’un élan spontané du cœur des chagrins et des tristesses qu’accueillent nos proches et nos amis et la foule des inconnus qui sont aussi nos frères… ».

 

Messieurs, la France continue…

Monsieur le procureur général a ensuite cédé la parole à monsieur l’avocat général Chabrier, lequel a exprimé à la cour ses regrets au sujet des pertes qu’elle a faites, pendant l’année judiciaire 1938-1939 de messieurs les conseillers honoraires Gaston Canac, Emile-Charles Daniel, Emmanuel Cadot de Villemomble, Louis Hugot et Charles-Henry, Roger Fachot.

Monsieur le premier président, au nom de la Cour a donné acte à monsieur le procureur général du dépôt de la statistique et a déclaré que messieurs les membres du Conseil de l’Ordre des avocats allaient être admis à renouveler leur serment.

Lundi 16 octobre 1939

Cour de cassation

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