Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1916

Rentrées solennelles

Audience solennelle

de rentrée du 16 octobre 1916

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Discours de monsieur Henri, Gustave Lombard,

conseiller à la Cour de cassation

Monsieur le Premier président,

Messieurs,

Voici la troisième fois depuis la déclaration de guerre que la Cour de cassation se réunit pour l’audience de rentrée. Notre premier mot doit être un salut aux infatigables et glorieux défenseurs de la France. Grâce à leur héroïsme, les violateurs du droit ne l’emporteront pas, et une paix réparatrice assurera leur châtiment, en même temps que l’indépendance des nations. Nous allons cette année encore remplir notre tâche accoutumée, le coeur agité par des émotions poignantes, hantés par l’image des périls que l’âge nous interdit de partager.

Rentrés dans cette salle d’audience, nous regardons autour de nous. Que de vides sur ces sièges, et combien de visages amis ont disparu ! La mort ne fut jamais plus dure envers nous ! Hélas, elle est plus cruelle pour tous ces jeunes gens qui tombent si noblement au seuil de la vie. Devant un tel spectacle, nous n’avons pas le droit de murmurer. Nos collègues sont partis après une longue existence de travail et d’honneur ; nous leur rendons un dernier hommage en faisant revivre pour une heure la physionomie de ceux que nous avons perdus.

Monsieur Célestin, Louis Tanon,

Monsieur le président Tanon a fait partie de la Cour pendant trente-trois ans. D’heureux débuts à la Conférence des avocats de Paris lui valurent la troisième place de secrétaire et le prix Bethmont. Mais ce n’étaient pas les luttes de l’audience qui l’attiraient.

En 1866, il entra au ministère de la Justice comme rédacteur, et sa vie se serait peut-être écoulée dans les paisibles emplois de l’administration centrale sans un incident imprévu. Sous le ministère du 4 janvier 1870, qui cherchait à gagner la jeunesse libérale, un poste de sous-chef de cabinet lui fut offert. Il l’accepta, mais quelques mois plus tard l’Empire s’écroulait. Dès le 5 septembre, le premier décret soumis au Gouvernement de la Défense nationale par monsieur le garde des Sceaux Crémieux nommait M. Tanon substitut au Tribunal de la Seine.

Dans ce poste qu’il occupa huit ans, il acquit une réputation de juriste. Aussi, après un séjour de moins de deux ans au parquet de la Cour d’appel, la direction des Affaires criminelles lui fut-elle confiée. On se rappelle l’agitation soulevée par l’exécution des décrets relatifs aux congrégations religieuses non autorisées. Une fois de plus, les principes de notre droit public étaient remis en question, et les congrégations, enhardies par une longue tolérance, prétendaient échapper à des liens que l’ancienne monarchie elle-même n’avait jamais consenti à dénouer. Personne plus que M. Tanon n’était versé dans l’histoire de nos institutions ; un jurisconsulte tel que lui ne pouvait se méprendre sur les droits de l’État, et ses conseils éclairés contribuèrent puissamment à les maintenir.

Nommé conseiller à la Cour de cassation en 1881, il siégea à la chambre criminelle. Bien des arrêts, rendus sur ses rapports, sont souvent cités, et sur plusieurs points ils ont fixé la jurisprudence.

Il quitta son siège momentanément, et avec esprit de retour, pour prendre la direction du parquet de la Cour de Paris dans des conjonctures difficiles. L’affaire de Panama remuait profondément le pays. Dans cette entreprise immense, l’exécution n’avait pas répondu à la grandeur de la conception. Mais, comme si ce n’était pas assez de ce désastre ruineux, des incidents tragiques, des accusations douloureuses éclatèrent de tous côtés. Il fallait, dans ce tumulte, un guide de sang-froid, étranger aux passions qui se déchaînaient. Monsieur Tanon n’eut d’autre préoccupation que le respect de la loi, et quand l’œuvre de la justice fut terminée, aucune critique sérieuse et précise ne put l’atteindre.

Revenu à la Cour de cassation après quatre mois d’absence, votre éminent collègue prit la présidence de la chambre des requêtes. Ceux qui ont siégé à ses côtés savent comment il s’acquitta de cette tâche qui chaque année devient plus lourde. Avant tout c’était un esprit sage et prudent, doué d’une rare finesse. Il aimait la discussion, souvent il développait longuement son opinion, remontant aux principes, lisant et relisant les textes. Sa plume habile donnait aux arrêts proposés la touche définitive.

Mais on n’aurait de monsieur Tanon qu’une idée très incomplète, si après le magistrat on ne considérait en lui l’écrivain. Il a publié divers ouvrages : la plupart concernent l’histoire des institutions juridiques, le dénier résume sa pensée sur la nature et les origines du droit. Son étude de prédilection a été celle de l’ancienne procédure écrite, ou, plus exactement, de sa formation et de ses progrès, depuis son apparition au treizième siècle dans les cours d’église et dans celles du Midi, jusqu’à son entrée victorieuse dans les tribunaux laïques du Nord vers le milieu du quatorzième siècle. Ce fut une révolution bienfaisante, due à la renaissance du droit romain, et qui substitua des règles fixes à l’arbitraire des juges.

Dans cet ordre de travaux, son ouvrage le plus étendu est intitulé : L’Oeuvre du procès civil au quatorzième siècle, au Châtelet de Paris. Il avait découvert un registre de la seigneurie de Villeneuve-Saint-Georges, tenu de 1371 à 1373, contenant l’analyse de cinq cent quarante-quatre actes de procédure inscrits à la prévôté. De telles trouvailles réjouissent un érudit. En effet, les registres civils du Châtelet ne commencent qu’à l’année 1395. Notre président tenait donc le plus ancien recueil de procédure écrite que l’on connaisse pour Paris et sa région. II a étudié aussi les justices ecclésiastiques de Paris, qui ont subsisté plusieurs siècles à côté de la justice du roi, notamment celle de Saint-Martin-des-Champs, dont le registre criminel est une véritable chronique judiciaire, pleine de renseignements précieux sur notre ancien droit criminel et sur les mœurs de nos pères.

Mentionnons encore l’histoire des tribunaux de l’Inquisition en France, qui met en plein jour, d’une part, l’organisation singulièrement adroite de cette funeste institution, d’autre part, la déplorable influence qu’elle a exercée sur la justice laïque contemporaine.

La dernière oeuvre de M. Tanon est comme son testament de jurisconsulte. Elle a pour titre : L’Évolution du droit et la Conscience sociale. Elle met en présence la thèse du droit naturel tel que l’entendait la philosophie du dix-huitième siècle, c’est-à-dire un droit reposant sur des principes absolus, universels, applicables en tout lieu et en tout temps, et le système de l’école historique, d’après laquelle le droit n’est pas une conception arbitraire, mais un produit de l’histoire, en germe dans les sociétés primitives, se développant avec la civilisation, et reflétant l’esprit et la conscience de chaque peuple. C’est l’application des théories générales de Vico et de Montesquieu faite à la science du droit par Savigny. Mais l’auteur remarque avec justesse que l’évolution dans les sciences morales ne doit pas être entendue comme dans les sciences naturelles. Il ne saurait être question de lutte pour la vie ni de sélection, car la vie sociale ne s’améliore que par le progrès, en d’autres termes par l’idée de justice et le développement des intelligences. Ici, se pose la grande question : quelle est l’origine de l’idée de justice ? Monsieur Tanon n’est pas éloigné de penser qu’elle se rattache à un instinct, inné, en quelque sorte, de l’esprit humain.

Cette brève analyse laisse seulement entrevoir l’intérêt que présente ce travail remarquable, oeuvre d’un esprit imbu de connaissances positives et en même temps porté à la spéculation philosophique.

Monsieur Tanon était grand officier de la Légion d’honneur.

Monsieur Joseph, Félix Lardenois,

Monsieur le conseiller Lardenois a appartenu presque aussi longtemps à la Cour de cassation, et, pendant plusieurs années, en qualité de doyen des conseillers. Né à Charmes-sur-Moselle, il se vantait volontiers d’être de pure extraction lorraine. Après de fortes études à la faculté de droit de Strasbourg, qui lui décerna la médaille d’or du doctorat, il fut inscrit au barreau de la Cour d’appel de Nancy. Ses plaidoiries d’une forme originale et distinguée attirèrent sur lui l’attention. « Il sait parler et il est plein de ressources », écrivait un Premier président qui le signalait au garde des Sceaux comme un candidat digne d’un accueil favorable. Substitut près le tribunal de Remiremont, d’abord, d’Epinal ensuite, il eut à la Cour d’assises des Vosges le succès que ses débuts faisaient pressentir. Nommé le 25 avril 1870 procureur impérial près le tribunal de Verdun, il assista à la défense énergique de cette ville, aujourd’hui parée d’un éclat immortel, et contribua par sa fermeté au maintien de l’ordre dans une population éprouvée par le bombardement et bloquée dans ses remparts. En 1877, il était procureur de la République à Grenoble, estimé de tous, dévoué à ses devoirs ; ses opinions républicaines, dont il ne faisait pas mystère, déplurent au ministère du 16 mai qui par mesure de disgrâce l’appela à d’autres fonctions. Mais quelques mois plus tard le gouvernement issu des élections lui confia le parquet du tribunal de Toulouse. Devenu peu après Procureur général près la Cour d’appel de Bourges, puis Procureur général près la Cour d’appel de Toulouse, il y fit preuve de qualités administratives peu communes. A la Cour de cassation, il siégea près de trente ans à la chambre des requêtes, sans que son activité se ralentît.

Ses rapports très étudiés attestaient une fine intelligence, envisageaient toutes les faces des affaires et concluaient avec sûreté. Non moins que la durée de ses services, sa science juridique lui avait valu une légitime autorité.

Monsieur Jules Maillet,

Les nombreux amis qu’avait parmi vous M. le conseiller Maillet n’oublieront pas son humeur toujours égale, son accueil empressé, sa bonté souriante. Partout où sa carrière l’a conduit, il a laissé le souvenir d’un magistrat éclairé, compatissant et juste : c’est le plus bel éloge que nous puissions mériter. Né à Strasbourg, il avait débuté au barreau du tribunal de Mulhouse, et l’Alsace était restée pour lui la terre bien-aimée qu’il allait fréquemment revoir. Notre Premier président honoraire, M. Loew, alors président du tribunal de Mulhouse, l’avait apprécié, et quand l’heure sonna de chercher un refuge au delà des Vosges, il lui prêta tout son appui. En 1872, M. Maillet fut nommé juge de paix du canton de Sidi bel Abbés, et rentra en France, deux ans plus tard, comme substitut du procureur de la République près le tribunal de Saint-Julien. Son premier poste important fut le parquet du tribunal de Nancy. II ne se confina pas dans le travail administratif et se fit un devoir de siéger dans toutes les causes offrant un réel intérêt. Sa parole, simple et claire, dépourvue de toute exagération, prenait à l’occasion une véritable puissance. Procureur général près la Cour d’appel d’Alger, il soutint avec éclat l’accusation dans la célèbre affaire Chambige, mais sa santé souffrit du climat, et il revint en France comme procureur général près la Cour d’appel de Dijon, dont la première présidence lui fut bientôt confiée. A la Cour de cassation, où il entra en 1898, il fut spécialement chargé, à la chambre civile, des pourvois en matière d’enregistrement, tâche difficile, lourde par le nombre et l’importance des dossiers, délicate par la nécessité de combiner sans cesse les exigences du droit fiscal avec les principes du droit commun, de veiller aux intérêts de l’État sans léser les justiciables. II s’en acquitta, comme il s’était toujours acquitté de ses diverses fonctions, avec une conscience scrupuleuse, ne dissimulant pas ses hésitations dans les cas difficiles, mais une fois sa décision prise la défendant avec une courtoise fermeté.

Monsieur Aristide Douarche,

Monsieur le conseiller Douarche, sollicité d’abord par la politique, s’en détourna bientôt pour prendre une autre voie. Nommé le 20 juillet 1880, lors de l’exécution des décrets du 29 mars, substitut du Procureur général près la Cour d’appel de Bourges, quelques mois plus tard avocat général, il fut promu dès le 4 octobre 1883 président de chambre à la Cour d’appel d’Agen. Docteur en droit, docteur ès Lettres, M. Douarche appliquait son activité tantôt aux études juridiques, tantôt aux recherches historiques. Conseiller à la Cour d’appel de Paris en 1890, Premier président de la Cour d’appel de Caen en 1896, il devint membre de votre Compagnie en 1904. À la chambre criminelle, puis à la chambre civile, son savoir juridique fut remarqué. Il allait droit au point qu’il considérait comme essentiel, sans s’attarder aux considérations accessoires. Il opinait brièvement, plus enclin à l’affirmation qu’aux développements et à la discussion.

Pendant qu’il remplissait ses fonctions à la Cour d’appel d’Agen, il avait tiré des archives locales des documents sur la justice et les tribunaux de la région pendant la Révolution. Plus tard, il publia un recueil considérable de pièces inédites rassemblées par M. Casenave, conseiller à la Cour de cassation, sur les tribunaux civils durant la même période. Son œuvre personnelle consiste dans une Introduction étendue, où il étudie les réformes judiciaires de 1789 à 1800 : réformes généralement impraticables et dangereuses, mais dont la plupart ne furent jamais mises à exécution, car le pouvoir, de quelque nom qu’il s’appelât, Convention, Comité de salut public ou Directoire, ne manquait jamais d’en suspendre l’application. Avec une perspicacité remarquable, notre collègue voit dans ces improvisations maladroites et dans ces interventions arbitraires une des causes qui empêchèrent la Révolution d’aboutir à l’établissement d’un régime légal et libéral. « Ce mépris des lois, dit-il, de la Constitution et des principes de liberté, fut mortel pour l’esprit démocratique et républicain ».

Premier président de la Cour d’appel de Caen, M. Douarche put constater par lui-même les ravages exercés en Normandie par l’alcoolisme. Résolument il prit part à la lutte, et organisa une vaste enquête à laquelle procédèrent les instituteurs, les maires, les juges de paix et les présidents des tribunaux civils. Le travail dans lequel sont résumés les résultats de ces investigations est à la fois l’acte d’un bon citoyen et une oeuvre littéraire. Le mal est dépeint avec une précision saisissante.

Notons, pour donner une preuve de la pénétration de notre ancien collègue, qu’il ne dénonce pas seulement l’alcoolisme comme un péril intérieur : il y aperçoit clairement une menace pour notre existence nationale, tout affaiblissement de la France excitant les convoitises de l’Allemagne. Tous les Français à cette époque n’étaient pas aussi clairvoyants.

Monsieur Victor, Aimé Le Grix,

Monsieur Le Grix était un des plus anciens membres de la chambre criminelle, aux travaux de laquelle il a pris part pendant dix-huit ans. Nommé substitut près le tribunal d’Alençon le 17 octobre 1870, substitut du Procureur général près la Cour d’appel de Besançon le 9 novembre 1875, avocat général près les cours d’appel de Poitiers, puis de Lyon, il devint, par décret du 23 juin 1880, Procureur général près la Cour d’appel de Grenoble et en 1886 Procureur général près la Cour d’appel de Rouen. Dans ces fonctions, comme plus tard à la première présidence de la Cour d’appel de Grenoble, il se montra chef de Cour accompli. A l’autorité que lui assurait une valeur reconnue, il joignait la finesse de l’esprit et l’aménité du caractère. A la chambre criminelle de la Cour de cassation, où il fut appelé le 2 décembre 1888, il rendit de réels services. Ses rapports, écrits d’une plume rapide, contenaient la discussion complète et substantielle de la question. Soucieux d’éviter toute erreur, il acceptait et provoquait même la contradiction, mais soutenait ses conclusions avec vivacité. C’était un collègue prévenant et affectueux.

Monsieur Edouard Thibierge,

Monsieur le conseiller Thibierge avait suivi à Paris la plus grande partie de sa carrière. Après avoir rempli les fonctions de substitut et de procureur de la République dans différents tribunaux, il entra au parquet de la Seine en 1880. La solidité de ses connaissances et une assiduité laborieuse qui ne se relâchait jamais le désignaient pour le service central, qui lui fut confié pendant plusieurs années. Conseiller à la Cour d’appel de Paris, il sut toujours diriger les débats de la Cour d’assises avec une impartialité et une dignité qui imposaient le respect. Premier président de la Cour d’appel d’Angers, il montra les mêmes qualités de travail et de direction. Attentif à tous les incidents qui pouvaient se produire dans le ressort, il veillait à l’expédition des affaires et ne tolérait pas les retards non justifiés. À la chambre criminelle de la Cour de cassation, le soin scrupuleux avec lequel il examinait les affaires, la ténacité avec laquelle il recherchait les précédents de la jurisprudence et de la doctrine, la douceur de son commerce, une certaine mélancolie que justifiaient des deuils de famille, lui avaient assuré l’estime et la sympathie de tous ses collègues.

Monsieur Daniel, Marie, Elie, Ferdinand Birot-Breuilh,

Monsieur le conseiller Birot-Breuilh fut nommé, en 1872, juge suppléant au tribunal de Bordeaux, puis juge de paix dans la même ville, et enfin juge d’instruction. Conseiller à la Cour d’appel pendant cinq ans, il devint en 1895 président du tribunal de Rouen et, chargé en 1900 de la première présidence de Bordeaux, il revint pour le diriger dans le ressort où il avait commencé sa carrière. Ce fut un chef éclairé et bienveillant, un magistrat expérimenté et laborieux. Il a siégé à la chambre des requêtes.

La cruelle maladie qui l’a prématurément emporté ne lui a pas permis d’exercer son activité autant qu’il en avait le légitime désir.

Monsieur Eugène Paul,

Monsieur le conseiller Paul, lui aussi, a siégé peu de temps parmi vous. II était d’une famille de magistrats, proche parent d’un Premier président de la Cour d’appel de Douai, qui portait le même nom. Âgé de vingt-trois ans quand éclata la guerre de 1870, il fit la campagne, comme capitaine de la garde mobile du Nord, dans l’armée du général Faidherbe. À la bataille de Pont-Noyelle, sa conduite vigoureuse lui valut les félicitations de son général. La paix conclue, il entra dans la magistrature comme substitut du procureur de la République près le tribunal de Saint-Pol. Nommé au même titre près le tribunal de Béthune, puis de Douai, il quitta bientôt le Parquet pour le Siège. Après la présidence des tribunaux d’Avesnes et de Douai, il obtint le 15 septembre 1883 celle du tribunal de Lille. De ce poste important, si propre à développer l’expérience, il parvint à la première présidence de la Cour d’appel de Douai. Le 16 novembre 1911, il prenait place à la Cour de cassation. II possédait une connaissance approfondie des affaires industrielles et commerciales, et plus d’une fois au cours des délibérations de la chambre civile il apporta des explications pratiques, des indications précises sur les usages des grandes places de commerce du Nord. Cordial et plein d’entrain, il semblait à peine effleuré par l’âge. Une perte douloureuse et les cruelles émotions que lui causèrent les ravages commis par les armées allemandes dans cette province à laquelle tant de liens l’attachaient, brisèrent en quelques mois sa santé encore robuste.

Monsieur le conseiller Georges Letellier avait dépassé de deux ans la limite d’âge quand il a été mis à la retraite. II était en pleine possession de ses vives facultés intellectuelles. Le 25 octobre 1870, le gouvernement de la Défense nationale l’avait désigné pour occuper les fonctions de procureur de la République près le tribunal de Rouen, puis il avait quitté la magistrature et, pendant dix-huit ans, exercé la charge d’avoué près la Cour d’appel de Rouen. Nommé conseiller à cette Cour, et bientôt président de chambre, il prenait rang à la Cour de cassation en 1892. II justifia sa réputation de praticien, de jurisconsulte et de travailleur infatigable par le concours qu’il apporta à la chambre des requêtes. La sûreté de ses avis, la netteté de ses projets d’arrêt, la précision et la clarté de sa parole, lui avaient acquis un grand ascendant auprès de ses collègues et du barreau. Les voeux et la sympathie de nous tous l’accompagnent dans sa retraite.

Messieurs les avocats,

Les années qui viennent de s’écouler ont rendu plus étroits que jamais les liens qui unissent la Cour et son barreau. Vous avez secondé de votre mieux la Cour de cassation dans l’accomplissement de sa tâche, et ainsi nos travaux n’ont pas été suspendus. Certains d’entre vous sont venus remplir leur mission à la barre, ayant au coeur de mortelles inquiétudes ou l’accablement d’un deuil récent. En face de vous, parmi ceux qui vous écoutaient, une douleur semblable a plus d’une fois répondu à la vôtre.

Lundi 16 octobre 1916

Cour de cassation

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