Communiqué: Discrimination femme-homme - Application post-Brexit d’une règle de droit britannique prise en application d’une directive européenne

03/05/2024

Assemblée plénière – pourvoi n° 21-21.615

Pour garantir au sein de l’Union européenne un traitement égal des litiges auxquels s’applique une loi britannique adoptée avant le Brexit, la Cour de cassation interroge la Cour de justice de l’Union européenne sur :

  • le statut des règles de droit britannique prises en application de normes européennes que les juges des États membres de l’UE doivent appliquer après le Brexit ;
  • les obligations qui pèsent sur le juge qui est amené à appliquer une règle de droit d’un autre État membre prise en application d’une norme européenne.

Avertissement : Le communiqué n’a pas vocation à exposer dans son intégralité la teneur des arrêts rendus. Il tend à présenter de façon synthétique leurs apports juridiques principaux.   

Les faits

En 2007, une banque française recrute une femme en contrat à durée indéterminée régi par la loi du Royaume-Uni. La salariée occupera plusieurs postes à responsabilité au sein de cette banque.

À la suite d’un changement de fonctions, la salariée dénonce à son employeur une discrimination liée au sexe et une rétrogradation dont elle aurait fait l’objet. 

 

La procédure

En 2013, la salariée demande à la justice française d’ordonner son repositionnement au sein de la banque et de condamner la banque à lui verser des dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement moral.

En 2021, la cour d’appel rejette ses demandes. La salariée forme alors un pourvoi en cassation.

 

Que reproche la salariée à la cour d’appel ?

La salariée reproche à la cour d’appel de ne pas avoir interprété le droit britannique applicable à son litige de manière conforme à la directive européenne de 2006 relative à l'égalité des chances et de traitement au travail entre les hommes et les femmes.

Cette règle de droit britannique (l’Equality Act 2010) est un texte de loi qui a été pris en application de cette directive européenne.

Repère : Application d’une loi étrangère par le juge français

Quand ?
  • Lorsque les parties le souhaitent (par exemple, à la signature d’un contrat, les parties peuvent décider que c’est la loi étrangère qui sera appliquée) ;
  • Lorsque les règles du droit international privé imposent au juge national d’appliquer une loi étrangère.

 

Comment ?

Le juge français doit appliquer la loi étrangère telle qu’elle pourrait être interprétée par le juge étranger.

Toutefois, la Cour de cassation ne contrôle pas la manière dont les cours d’appel appliquent la loi étrangère. Sauf exception, elle ne censure pas une cour d’appel même si elle estime que le juge français n’a pas correctement appliqué la loi étrangère. Cette interprétation est laissée à l’appréciation souveraine des tribunaux et cours d’appel.  

Quelle est la problématique soumise à la Cour de cassation ?

Cette affaire amène la Cour de cassation à se demander si la cour d’appel devait interpréter le droit britannique applicable au litige de manière conforme à la directive européenne de 2006 relative à l'égalité des chances et de traitement au travail entre les hommes et les femmes.  

Repère : Principes du droit européen que doit respecter le juge national

La primauté du droit de l’UE : Le droit des États membres ne peut faire obstacle à l’application du droit de l’UE.

L’interprétation conforme du droit national au droit de l’UE : Afin de garantir l’effectivité du droit européen, le juge national doit interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit de son pays de manière à le rendre conforme au droit de l’UE.

Ainsi, le juge national est tenu :

  • de modifier l’interprétation d’une règle nationale si celle-ci n’est pas conforme au droit de l’UE ;
  • d’écarter l’application d’une règle nationale s’il paraît impossible d’en faire une application conforme au droit de l’UE ;
  • en présence d’une directive européenne, d’appliquer le droit national à la lumière de celle-ci.

La décision de la Cour de cassation : questions préjudicielles à la CJUE

La Cour de cassation décide que pour se prononcer sur cette affaire, il lui faut interpréter le droit de l’Union européenne.

Or, la CJUE est la seule juridiction compétente pour l’interpréter en cas de doute sur la portée à lui donner. En outre, cette interprétation intéresse tous les autres États de l’Union européenne.

 

1re question préjudicielle : Le statut du droit britannique post-Brexit

Le Royaume-Uni étant sorti de l’UE, à quelle date une loi britannique qui avait été prise en application du droit de l’UE doit-elle cesser d’être considérée comme une règle de droit européen ?

La réponse à cette question, qui suppose d’interpréter l’Accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, permettra au juge français de connaître la date à laquelle il n’est plus tenu d’interpréter la loi britannique conformément au droit de l’UE.

Repère : Le Brexit

L’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) s’articule sur trois périodes :

Jusqu’au 31.12.2020 > Le droit de l’UE reste applicable.

Du 01.01.2021 au 31.12.2023 > Une partie du droit de l’UE est maintenue, mais elle perd son statut de droit issu de l’application des traités européens.

Après le 01.01.2024 > Le droit de l’UE qui reste maintenu n’est plus soumis au principe de primauté du droit de l’UE.

2de question préjudicielle : L’application de la loi d’un autre État membre de l’UE

Au regard des règles de fonctionnement de l’UE, quelles sont les obligations qui pèsent sur le juge d’un État membre lorsqu’il est amené à appliquer les lois d’un autre État membre et que ces lois ont été prises en application de directives européennes ?

La question se pose tout particulièrement lorsque le juge estime qu’il est impossible d’interpréter la loi de l’autre État conformément au droit de l’UE. Dans ce cas de figure, le juge peut-il aller jusqu’à ne pas appliquer cette loi ?  

En posant ces questions, la Cour de cassation admet qu’elle devra faire évoluer sa jurisprudence sur le contrôle qu’elle exerce sur l’application et l’interprétation de la loi étrangère par les cours d’appel si la Cour de justice de l’Union européenne retient que le juge national doit apprécier la conformité d’une loi au droit de l’Union même lorsque celle-ci émane d’un autre État membre.

Les réponses attendues de la CJUE permettront de garantir :

  • un traitement uniforme de ce type de litige au sein de l’Union européenne en fixant le statut des lois britanniques issues du droit de l’Union européenne mais qui sont appliquées après le Brexit ;
  • un « mode d’emploi » de l’application par les juges des pays de l’UE de la loi des autres États membres, lorsque celle-ci a été prise en application du droit de l’Union.  

Cette affaire présente ainsi un intérêt d’ordre institutionnel majeur puisqu’elle met en lumière de façon concrète les enjeux de l’intégration européenne au plan juridictionnel.

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