11 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.909

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00543

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 543 F-D

Pourvoi n° F 20-15.909








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022

M. [Z] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-15.909 contre l'arrêt rendu le 25 février 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Cotrans automobiles, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [C], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Cotrans automobiles, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 25 février 2020), M. [C] a été salarié de la société Cotrans-Cadjee à compter du 1er janvier 1999, et exerçait en dernier lieu les fonctions de conseiller commercial.

2. Le 26 avril 2016, le salarié et la société Cotrans automobiles, venant aux droits de la société Cotrans-Cadjee ont signé une convention de rupture du contrat de travail.

3. L'employeur a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de nullité de la rupture conventionnelle.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt d'annuler pour cause de dol la rupture conventionnelle du 26 avril 2016, de dire que celle-ci a valeur de démission et de condamner le salarié à payer à l'employeur des sommes à titre d'indemnité de rupture conventionnelle versée par l'employeur et de préavis non réalisé, alors « que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que le dol ne se présume pas et doit être prouvé ; qu'en se bornant à retenir, pour annuler la rupture conventionnelle convenue entre les parties, que le véritable motif de la rupture conventionnelle de M. [C] était son embauche par la concurrence comme directeur commercial et non un supposé projet de reconversion professionnelle et que le fait d'avoir invoqué un projet fallacieux tout en faisant abstraction de son embauche par la société RMS pour obtenir l'accord de son employeur était une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de la société Cotrans automobiles, sans constater que, si les manoeuvres invoquées n'avaient pas existé, il était évident que l'employeur n'aurait pas contracté, la cour d'appel a violé l'article L. 1237-11 du code du travail, ensemble l'article 1116 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, en ce que le salarié n'a pas contesté le caractère déterminant des manoeuvres employées.

6. Cependant, le moyen n'est pas nouveau dès lors que le salarié a contesté devant la cour d'appel l'existence de manoeuvres dolosives.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 16 février 2016 :

8. Selon ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé.

9. Pour annuler la rupture conventionnelle du contrat de travail, l'arrêt retient que le véritable motif de la rupture conventionnelle est l'embauche du salarié par la concurrence comme directeur commercial et non un supposé projet de reconversion professionnelle, et que le fait d'avoir invoqué ce projet fallacieux tout en faisant abstraction de son embauche par une société concurrente pour obtenir l'accord de son employeur est une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de ce dernier.

10. En se déterminant ainsi, sans constater que le projet de reconversion professionnelle présenté par le salarié à son employeur a déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée ;

Condamne la société Cotrans automobiles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cotrans automobiles et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [C]


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR annulé pour cause de dol la rupture conventionnelle du 26 avril 2016, d'AVOIR dit que celle-ci avait valeur de démission de M. [C] et d'AVOIR condamné M. [C] à payer à la société Cotrans Automobiles les sommes de 73 727,84 euros pour l'indemnité de rupture conventionnelle versée par l'employeur et 19 129,38 euros pour le préavis non réalisé ;

AUX MOTIFS QUE « par son courrier du 30 mars 2016, Monsieur [C] a demandé à la société COTRANS AUTOMOBILES le bénéficie d'une rupture conventionnelle précisant ‘que j'envisage de quitter mes fonctions actuelles afin de me consacrer à mon projet professionnel dans le tourisme nautique pèche au gros avec une création d'emploi. La convention de rupture conventionnelle signée des parties mentionne que ‘le 30/03/2016, Monsieur [C] a demandé à son employeur de pouvoir bénéficier de la rupture conventionnelle pour créer sa propre entreprise dans le tourisme nautique. Au regard des éléments portés à la connaissance de l'employeur, la société COTRANS AUTOMOBILES a accepté d'user de la voie de la rupture conventionnelle'. Si le motif ayant conduit Monsieur [C] à solliciter une rupture conventionnelle est a priori indifférent à la régularité de celle-ci, sa prise en compte par l'employeur peut en revanche constituer un motif déterminant de son acceptation ; l'existence d'un vice. L'existence d'un vice de consentement de l'employeur est donc une possibilité qui, si elle est avérée, a pour conséquence l'annulation de la convention de rupture, la requalification de celle-ci en démission et le remboursement des sommes versées ; aux termes de ses conclusions, Monsieur [C] reconnaît avoir travaillé pour la société RMS ‘quelques mois après la rupture'. Il ne conteste pas en avoir été, ou en être, le directeur commercial. Il ne donne pas davantage de précision et ne produit aucune pièce relative à cette relation salariale notamment quant à son début et à sa durée. Il ne conteste l'affirmation de la société COTRANS AUTOMOBILES selon laquelle cette entreprise était ‘concurrente', ce que confirment les pièces produites relatives à la vente d'un camion MERCEDES (marque distribuée par l'appelante) poursuivie par le salarié pour la société RMS par celle d'un camion MAN. Il justifie avoir envisagé l'acquisition courant 2016 d'un bateau de plaisance d'occasion pour le prix de 41.000 euros, s'être inscrit le 05 septembre 2016 à une formation pour une extension hauturière de son permis bateau, faisant état du rejet de sa demande mais ne produit aucun élément en justifiant. Alors que la relation salariée a pris fin le 31 mai 2016, l'inscription à la formation hauturière n'a été faite que le 05 septembre 2016, la francisation du navire a été accordée le 12 octobre 2016, les copropriétaires dénommés étant à parts égales les époux [C]. Si Monsieur [C] produit un chèque de 12.000 euros du 14 juillet 2016 à l'ordre du vendeur du bateau, son débit n'est pas justifié. Il en est de même de l'ordre de virement du 07 septembre 2016 d'un montant de 29.000 euros au profit du même vendeur, agrafé à suite de la pièce communiquée n° 3 sous la dénomination ‘devis' à laquelle les conclusions ne se réfèrent pas de manière explicite. Pareillement, il n'est pas justifié de l'acceptation du devis de transit maritime ni du paiement de celui-ci. Quant au prêt de 40.000 euros dont seul le tableau d'amortissement, non daté, est produit, il n'est pas justifié de son obtention ni de sa destination relative à l'acquisition du bateau. Ces éléments sont insuffisants à caractériser la mise en oeuvre du projet de reconversion professionnelle de Monsieur [C]. L'acquisition, par ailleurs non établie, d'un bateau de plaisance et l'inscription tardive à une formation de permis hauturier, sans le moindre élément significatif produit quant à la mise en oeuvre d'un projet professionnel, s'inscrivent dans un simple projet d'activité de loisir. En l'absence de tout autre élément produit par Monsieur [C], la réalité du projet de reconversion professionnelle dans le tourisme nautique n'est pas à retenir. Monsieur [C] n'est donc pas fondé à soutenir que ce projet existait au jour de la signature de la rupture conventionnelle. Celui-ci annoncé à l'employeur n'était destiné qu'à masquer son embauche convenue, dès avant la rupture, par la société RMS, comme le confirme le fait que le 09 mai 2016 le salarié avait sollicité un devis auprès de la société HIAB sur un camion MERCEDES avec grue hydraulique, négociation poursuivie en juillet pour le compte de la société RMS pour un camion MAN équivalent. Ces éléments imposent de retenir que le véritable motif de la rupture conventionnelle de Monsieur [C] était son embauche par la concurrence comme directeur commercial et non un supposé projet de reconversion professionnelle. Le fait d'avoir invoqué ce projet fallacieux tout en faisant abstraction de son embauche par la société RMS pour obtenir l'accord de son employeur est une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de la société Cotrans Automobiles. La rupture conventionnelle est alors nulle et la rupture de la relation salariale résulte en conséquence de la démission du salarié. Le jugement est donc infirmé. La société COTRANS AUTOMOBILES est fondée en ses demandes de remboursement de la somme de 73.727,84 euros versée dans le cadre de la rupture conventionnelle et de paiement du préavis non réalisé soit la somme de 19.129,38 euros. Il est fait droit à ces demandes. La société COTRANS AUTOMOBILES demande la somme de 28.649,07 euros en réparation du préjudice moral qu'elle aurait subi. Elle ne caractérise nullement ce préjudice et est déboutée de cette demande. Les dépens sont à la charge de Monsieur [C] qui suppose. La société COTRANS AUTOMOBILES doit être indemnisée de ses frais irrépétibles à concurrence de la somme demandée de 3.000 euros » ;

1°) ALORS QUE la rupture conventionnelle a pour seul objet la rupture du contrat de travail et ses conditions et ne peut avoir pour objet ou effet de régir l'activité professionnelles postérieurement à la rupture et de porter atteinte à la liberté d'exercer une activité professionnelle ; qu'ainsi, en l'absence de clause de non-concurrence conclue entre les parties, la validité de la rupture conventionnelle ne saurait être soumise à la réalisation effective du projet professionnel ayant conduit un salarié à solliciter ladite rupture auprès de son employeur, sauf à porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du salarié de choisir son travail ; que pour annuler en l'espèce la convention de rupture conclue entre les parties avec effets d'une démission, la cour d'appel a jugé que M. [C] n'apportait pas d'éléments suffisants pour caractériser la mise en oeuvre, de sa part, du projet professionnel de reconversion dans le tourisme nautique dont il avait fait part à la société Cotrans Automobiles au moment de solliciter une rupture conventionnelle de son contrat de travail et qu'en l'absence d'éléments de nature à démontrer la réalité de ce projet, le fait d'avoir invoqué un projet fallacieux pour obtenir l'accord de son employeur était une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de la société Cotrans Automobiles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a conditionné la validité de rupture conventionnelle à la réalisation effective du projet de reconversion professionnelle ayant conduit M. [C] à demander à bénéficier de ladite rupture et a violé en conséquence l'article L. 1237-11 du code du travail, ensemble le principe de libre de libre exercice d'une activité professionnelle ;

2°) ALORS QUE le vice du consentement affectant une convention de rupture, qui doit être prouvé par la partie qui l'invoque, s'apprécie au moment de sa conclusion ; que le dol d'une partie n'est caractérisé que s'il est démontré par l'autre partie à la convention que les manoeuvres ou la réticence dolosives ont eu lieu antérieurement ou concomitamment à la signature de la rupture conventionnelle ; qu'en jugeant en l'espèce que le projet de reconversion professionnelle de M. [C] « n'était destiné qu'à masquer son embauche convenue dès avant la rupture par la société RMS, comme le confirme le fait que le 9 mai 2016 le salarié avait sollicité un devis auprès de la société Hiab sur un camion Mercedes avec grue hydraulique, négociation poursuivie en juillet pour le compte de la société RMS pour un camion MAN équivalent », quand il ressortait des conclusions de la société Cotrans Automobiles que l'employeur lui-même admettait ne pas connaître la date d'embauche du salarié dans la nouvelle entreprise et reconnaissait que le salarié avait été embauché par une société concurrente postérieurement à la signature de la rupture conventionnelle, ce dont il se déduisait que les parties s'accordaient à admettre qu'au moment de la signature de la convention de rupture, il n'existait aucune embauche parallèle par la société RMS concurrente et aucun vice du consentement, la cour d'appel a violé les articles L. 1237-11 du code du travail et 1116 et 1315 du code civil dans leur rédaction applicable au litige ;

3°) ALORS QUE c'est à celui qui invoque l'existence d'un vice du consentement de nature à justifier l'annulation de la rupture conventionnelle d'en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, pour annuler la rupture conventionnelle conclue entre les parties, la cour d'appel a jugé que M. [C] reconnaissait avoir travaillé pour la société RMS « quelques mois après la rupture », qu'il ne contestait pas en avoir été, ou en être, le directeur commercial, qu'il ne donnait pas davantage de précision et ne produisait aucune pièce relative à cette relation salariale notamment quant à son début et à sa durée, qu'en l'absence d'élément produit par M. [C], la réalité du projet de reconversion professionnelle dans le tourisme nautique n'était pas à retenir, que M. [C] n'était donc pas fondé à soutenir que ce projet avait existé au jour de la signature conventionnelle, que celui-ci annoncé à l'employeur n'avait été destiné qu'à masquer son embauche convenue dès avant la rupture par la société RMS, que le véritable motif de la rupture conventionnelle de M. [C] était son embauche par la concurrence comme directeur commercial et non un supposé projet de reconversion professionnelle et que le fait d'avoir invoqué ce projet fallacieux pour obtenir l'accord de son employeur était une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de la société Cotrans Automobiles ; qu'en statuant ainsi, par des motifs de nature à faire peser la charge de la preuve de l'absence de dol sur M. [C], alors qu'il appartenait en réalité à la société Cotrans Automobiles de démontrer l'existence d'un tel vice du consentement susceptible d'entraîner la nullité de la rupture conventionnelle, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article L. 1237-11 du code du travail, ensemble les articles 1116 et 1315 du code civil dans leur rédaction applicable au litige ;

4°) ALORS QUE le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que le dol ne se présume pas et doit être prouvé ; qu'en se bornant à retenir, pour annuler la rupture conventionnelle convenue entre les parties, que le véritable motif de la rupture conventionnelle de M. [C] était son embauche par la concurrence comme directeur commercial et non un supposé projet de reconversion professionnelle et que le fait d'avoir invoqué un projet fallacieux tout en faisant abstraction de son embauche par la société RMS pour obtenir l'accord de son employeur était une manoeuvre constitutive d'un dol au préjudice de la société Cotrans Automobiles, sans constater que, si les manoeuvres invoquées n'avaient pas existé, il était évident que l'employeur n'aurait pas contracté, la cour d'appel a violé l'article L. 1237-11 du code du travail, ensemble l'article 1116 du code civil.

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