8 décembre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.798

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01396

Texte de la décision

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2021




Rejet


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1396 F-D

Pourvoi n° K 20-15.798




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

M. [C] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 20-15.798 contre l'arrêt rendu le 25 février 2020 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'Association interprofessionnelle de santé au travail (AIST 83), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [T], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de l'Association interprofessionnelle de santé au travail, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 février 2020) statuant sur renvoi après cassation (Soc., 14 décembre 2017, pourvoi n° 15-26.728), M. [T], engagé le 24 mars 1999 par l'Association interprofessionnelle de santé au travail (AIST 83) en qualité de comptable, exerçait les fonctions d'adjoint de direction chargé de l'organisation interne et informatique.

2. Licencié pour faute grave par lettre du 12 novembre 2008, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes, alors :

« 1°/ que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, en jugeant le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, après avoir retenu qu'il est intervenu, à l'occasion de la présentation de l'audit portant sur la gestion du personnel, de manière agressive pour exiger de deux autres salariées qu'elles expriment leur gratitude à la direction, quand la lettre de licenciement ne mentionnait pourtant pas ce fait, ni l'attitude agressive du salarié, mais "une attitude méprisante, de dénigrement, voire même d'insultes à l'égard de certains membres du personnel de l'Association", la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

2°/ qu'en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'en décidant, en l'espèce, que le licenciement du salarié est fondé sur une faute grave, après avoir relevé qu'il a tenu à l'égard de Mme [NZ] des propos injurieux et offensants le 29 mai 2008, soit plus de deux mois avant l'entretien préalable qui s'est déroulé le 6 novembre 2008, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'employeur justifiait avoir eu connaissance de ce fait dans le délai de deux mois précédent l'entretien préalable, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte précité ;

3°/ qu'en tout état de cause, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, sauf abus caractérisé par le fait que les propos tenus par le salarié comportent des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que les propos adressés par un salarié sur un ton humoristique, bien qu'ils puissent éventuellement être blessants, ne sauraient être considérés comme injurieux, diffamatoires ou excessifs, de sorte que, relevant de sa liberté d'expression, ils ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, en jugeant le licenciement fondé sur une faute grave, après avoir relevé qu'il a tenu à l'égard de Mme [NZ] des propos injurieux et offensants et considéré qu'ils constituent un abus de sa liberté d'expression, quand la tonalité humoristique de ces propos permettait les privait de tout caractère injurieux ou offensant, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Ayant constaté que l'employeur n'avait eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des griefs imputés au salarié qu'à la suite du compte-rendu de l'enquête diligentée à compter du 8 septembre 2008 par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a exactement décidé que les faits fautifs invoqués par l'employeur n'étaient pas prescrits lors de l'engagement des poursuites, le 24 octobre 2008.

5. Ayant ensuite relevé que l'intéressé avait tenu, lors d'une réunion de direction, des propos injurieux et offensants à l'égard d'une salariée, Mme [NZ], de nationalité italienne, en lui disant "comment dit-on lèche-cul en italien ? Et bien ça se dit [NZ]", la cour d'appel a pu en déduire que ces propos constituaient un abus de la liberté d'expression du salarié rendant à eux seuls impossible son maintien dans l'entreprise.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande visant à la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 31 513,92 euros en réparation du préjudice moral subi en raison du caractère vexatoire et humiliant de son licenciement, alors « que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen, en ce que la cour d'appel a jugé le licenciement fondé sur une faute grave, entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation du chef de l'arrêt l'ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et humiliant, motivé par le seul fait que ce licenciement repose sur des faits objectivés qui lui sont directement imputables et sont sans lien avec sa situation familiale. »

Réponse de la Cour

8. Le rejet du premier moyen prive de portée le second moyen, pris d'une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [T]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé le licenciement de M. [T] fondé sur une faute grave et d'avoir débouté celui-ci de l'ensemble de ses demandes ;

Aux motifs que " I - b) Sur la prescription :

En application de l'article L. 1332-4 du code du travail, la procédure disciplinaire est enfermée dans de stricts délais : Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Ainsi, dès lors que l'employeur a connaissance d'une faute commise par un salarié, il dispose d'un délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires, c'est à dire pour convoquer le salarié à un entretien préalable ou pour lui adresser un avertissement.

Selon une jurisprudence constante, le délai de prescription de deux mois visé à l'article L. 1332-4 du code du travail court à compter du jour où l'employeur "a une exacte connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés".

Dans l'hypothèse où l'employeur reproche des faits antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure disciplinaire, il lui appartient de rapporter la preuve qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs, de manière exacte et complète, que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure.

À titre liminaire, il paraît utile de relever que M. [K], qui a présidé l'association jusqu'au début du mois d'avril 2008 atteste qu'il n'a jamais été avisé d'un quelconque comportement fautif de la part de M. [T].

M. [T] plaide que l'entretien préalable s'étant déroulé le 06 novembre, tous les faits antérieurs au 06 septembre 2008 seraient prescrits et que dès le mois de juillet 2008, par la correspondance que Mme [J] a adressé à M. [PW] et au plus tard le 20 août 2008 à réception de la correspondance que le secrétaire général de l'union départementale FO lui a transmise, l'employeur était informé des faits prétendument fautifs qui lui sont reprochés.

En l'espèce, il ressort des pièces communiquées par l'employeur que :

- le 12 juillet 2008, Mme [J], secrétaire du CHSCT, adresse une correspondance au président de l'association aux termes de laquelle elle signale essentiellement ce qu'elle estime constituer des dysfonctionnements du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le comportement adopté par Mme [D] et Mme [X], responsable des ressources humaines suite au traitement du questionnaire que le comité avait adressé aux salariés de l'association. Ni le nom, ni aucun fait reproché à M. [T] ne figure dans cette correspondance

- le 30 juillet 2008, Mme [R], déléguée syndical FO interpelle le représentant départemental de son syndicat, en exposant la difficulté à laquelle elle est confrontée consistant au fait que plusieurs salariées qui se plaignent de souffrance au travail et appellent à l'aide, refusent de le faire ouvertement, par crainte de représailles de la part de la directrice, Mme [D]. Elle y explique notamment que " plusieurs personnes de L'AIST 83, l'ont saisie "officieusement de manière officielle" pour lui expliquer les grandes difficultés et la souffrance dans laquelle elles se trouvent face à la direction et en particulier Mme [D]. Seulement elles me demandent de "faire quelque chose" sans que je cite leurs noms ; sans que je décrive leurs situations de peur d'être reconnues et subir les représailles parce qu'elles auront parlé ! Je les ai toutes rencontrées individuellement. Le climat de méfiance vis-à-vis de certains autres employés paraît inimaginable. Elles parlent toutes de "manipulations, terreur, représailles, accusations injustes, d'agressivité verbale continuelle et surtout d'avoir leur propre opinion...." [...]".

- le 20 août 2008, M. [M], secrétaire départemental FO transmet le courrier de Mme [R] au président de l'AIST, en attirant son attention sur le fait qu'il est " de sa responsabilité de s'assurer que le personnel n'est pas en souffrance morale et de pouvoir éclaircir la situation" et précisant qu'il est "évident, comme il l'avait confirmé à Mme[R], qu'il est nécessaire d'avoir des faits précis et écrits de la part des plaignants" ",

- le 04 septembre 2008, les docteurs [L], [P], [TO] et [Y], salariés de l'association vont signaler à leur confrère, M. [S], membre du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la situation de plusieurs salariées se plaignant de souffrance au travail.

- le CHSCT a décidé le 05 septembre, une mesure d'enquête qui a été diligentée à compter du 08 septembre 2008.

Il ressort du compte-rendu de l'enquête qu'à cette occasion plusieurs griefs reprochés au salarié [agression verbale de M. [T] au cours de la réunion de présentation de l'audit Phosphore de Mesdames [JJ] et [LG], qui ne se félicitaient pas du licenciement de [I] [W], ancienne responsable administrative ; présentation par Mme [D] de M. [T] comme ayant eu la "super idée" de séparer le binôme [U]/[F] ; pistage par M. [T]) ont été portés à la connaissance du président de l'AIST 83.

Par ailleurs, l'employeur communique les témoignages de plusieurs médecins salariés de l'association qui relatent les circonstances dans lesquelles ils ont pu constater la dégradation de la santé morale et/ou recueillir les confidences de plusieurs salariées, à savoir Mmes [JJ], [LG], [O], [E] et [F] (pièces n°15 à 21) et l'inquiétude manifestée par ces personnes sur les conséquences que pourrait avoir la révélation de ce qu'elles déclaraient subir.

C'est ainsi par exemple que le docteur [A], atteste avoir rencontré à plusieurs reprises à compter de la fin de l'année 2007, Mme [JJ] qui petit à petit a pu lui exprimer des faits tels que retrait de tâches, dénigrement, agressions verbales, pistage, ce témoin précisant s'être inquiété d'un passage autoagressif et s'être rapproché de son médecin traitant.

Dans le contexte de l'association caractérisé au printemps 2008, d'une part, par la mise en place d'une nouvelle présidence, M. [PW] est élu président en remplacement de M. [K] le 02 avril 2008, et d'autre part, par divers événements graves (tentative de suicide de Mme [F], secrétaire, crise cardiaque du docteur M. [U] (déclarée en AT), dont le binôme qu'ils formaient depuis de nombreuses années avait été séparé par décision de la direction en avril 2008, accident du travail de Mme [N]), il est établi par l'employeur que la parole de certaines salariées du service administratif s'est libérée auprès d'une déléguée syndicale et de collègues exerçant les fonctions de médecin du travail au sein de l'association, lesquels ont interpellé le docteur [S], membre du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, au début du mois de septembre 2008 ce qui a conduit à l'engagement de la procédure d'alerte à cette époque et d'une enquête.
Alors que M. [T] ne prétend pas que son épouse, alors directrice de l'association, ait porté à la connaissance de M. [K] ou de M. [PW] qui se sont succédé à la présidence une quelconque information sur un éventuel comportement inapproprié qu'il aurait adopté, l'AIST 83 démontre qu'elle n'a été saisie de la souffrance au travail vécue par certains salariés travaillant au service administratif de l'association, au plus tôt qu'à réception du courrier daté du 20 août 2008, transmis par M. [M], secrétaire de l'union départementale du syndicat FO, mais qu'elle n'en a eu surtout une connaissance complète tant de la nature que de l'ampleur des faits reprochés à M. [T] qu'à l'issue de l'enquête, laquelle a été diligentée à compter du 08 septembre 2008, soit dans le délai de deux mois précédant la convocation délivrée le 24 octobre 2008 qui a interrompu le délai de prescription édicté par l'article L. 1332-4 du code du travail.

Il s'ensuit que les faits reprochés au salarié ne sont pas prescrits.

I c) Sur la cause du licenciement :

Pour preuve des faits reprochés, l'employeur communique essentiellement des attestations des personnes citées dans la lettre de licenciement qui se plaignent des propos tenus ou du comportement adopté par M. [T] à leur égard.

Sur le fait reproché à M. [T] d'avoir "participé activement dans des agissements répétés envers certains salariés, agissements pouvant être assimilés à du harcèlement moral", ce grief est trop imprécis pour pouvoir être retenu.

En ce qui concerne le reproche plus précis, d'avoir engagé sa "responsabilité pleine et entière dans " l'affaire de La Pléiade ", l'employeur établit par la communication des attestations de Mmes [JJ] et [E] (pièces n° 22 et 25), que Mme [D] leur a indiqué que M. [T] était l'auteur de l'idée qualifiée par la directrice de l'association, de "lumineuse" consistant à séparer le docteur [U] de sa secrétaire [H] [F] à l'occasion de banales demandes de mutation, ce qui permettait selon l'employeur, au couple de régler leurs comptes personnels avec ces personnes, ensuite de la plainte pénale que le premier avait déposé et qui avait conduit à leur placement en garde à vue, décision qui conduira à la déstabilisation de Mme [F] qui fait un lien entre cette décision et les poursuites disciplinaires engagées peu après par Mme [D] ensuite du comportement inappropriée que cette salariée avait eu à l'égard d'une de ses collègues et la tentative de suicide qu'elle fera qui la conduira à être hospitalisée en milieu spécialisé.

Pour autant, non seulement M. [T] ne reconnaît pas avoir eu l'idée dénoncée par l'employeur, mais ce dernier ne justifie en aucune façon la participation de l'intimé dans sa mise en œuvre qui a relevé de la responsabilité de Mme [D].

Ce grief n'est donc pas démontré.

S'agissant de "l'attitude méprisante, de dénigrement, voire même d'insultes" que le salarié aurait tenu à l'égard de collaborateur ou de collègues de travail, il ressort des éléments du dossier que :

- relativement à Mme [Z], assistante recrutée en CDD, hormis la déclaration de l'intéressée, non confirmée par une attestation conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, dénonçant le fait que son supérieur l'avait traitée de " blonde " à plusieurs reprises lors de demandes de renseignement, qu'elle devait s'écarter dans les couloirs, au risque sinon d'être bousculée, et qu'il lui avait adressé un " ta gueule ", l'employeur ne fournit pas d'élément objectivant de telles attitudes et paroles injurieuses et déplacées, que le salarié réfute catégoriquement.

Alors que le bénéfice du doute profite au salarié, le seul fait que l'employeur établit, par ailleurs, par de nombreux témoignages concordants que M. [T], qui bénéficiait, de facto, d'un statut singulier au sein de l'association dans la mesure où la personne auprès de qui ses collègues étaient susceptibles de se plaindre d'un éventuel comportement inapproprié, n'était autre que son épouse, directrice de l'association, pouvait traiter des collègues de travail "Kate Moss Moche" (pièce n°24 ), "merdeuse de chti", de "naine", "conne de Médard" (pièce n° 25) , ou encore de "ritale" (mail du 12/10/2006), ou encore dénommé un service où travaillent deux personnes handicapées le "CAT", ne suffit pas à établir les faits dénoncés par Mme [Z].

- selon les attestations concordantes de Mesdames [JJ] et [LG] à l'occasion de la présentation de l'audit dressé par le cabinet Phosphore portant sur la gestion du personnel par Mme [W], M. [T] est intervenu de manière agressive pour exiger de ces deux salariées qu'elles expriment leur gratitude à la direction :

Mme [JJ] atteste dans les termes suivants : "je ne pourrai jamais oublier la réunion du rendu de cet audit qui marque un tournant dans ma relation avec la direction / Mme [D] tenait particulièrement à cette réunion qui rassemblait employée libre-service cadres de direction, [G] et moi. L'atmosphère était lourde, C. [D] souriait les lèvres pincées, les bras croisés, son regard et celui de M. [T] vers nous 2. Je me sentais terriblement angoissée alors que je n'avais aucune raison de l'être. Après un résumé de l'audit, C [D] a souhaité un tour de table, personne n'avait de commentaire particulier. Elle s'est adressée à nous directement : "alors [G], [RS], vous n'avez vraiment rien à dire ?? C'est étonnant... "nous répondions Non". Et, M. [T] est sorti de ses gonds, très agressif : "comment ça, vous n'avez rien à dire, mais parlez !" dites que vous êtes contentes, vous avez eu ce que vous voulez". Tous les cadres avaient la tête baissée. J'ai répondu que je n'avais rien à ajouter. [...] je lui (Mme [D]) dit d'une traite : "je tenais à te faire part de mon sentiment à l'issue de cette réunion, la première partie très bien, un bon résumé de la situation, quant à a 2ème, je ne comprends pas pourquoi tous les regards étaient rivés vers [G] et moi, nous ne sommes coupables de rien et je ne vois pas ce que nous pouvions dire de plus. Quant à l'intervention de [C], rien ne lui permet de me parler sur ce ton, c'était complètement déplacée et injustifiée." elle m'a répondu : "je pense qu'il attendait de vous, comme moi d'ailleurs, un MERCI, nous sommes très contentes" [...].

Le témoignage de Mme [JJ] sur le comportement adopté par M. [T] au cours de cette réunion est confirmé en tous points par Mme [LG] : "ayant répondu par la négative (à l'invitation de Mme [D] de présenter des observations sur cet audit), M. [T] s'est adressé à nous de manière très agressive et furieuse en nous demandant : "eh bien alors, vous n'avez rien à dire vous ? Vous devriez être contente". Nous avons juste répondu que nous nous étions exprimées auprès de Mme [GR] et que nous n'avions rien d'autre à ajouter. Mme [D] attendait en fait que nous sautions de joie (or cela n'avait rien de réjouissant) et que nous les remercions en public lors de cette réunion. Nous avons été à mon sens manipulées pour en arriver jusqu'à cet audit qui allait pouvoir servir à se séparer de [I] [W] [...]".

Nonobstant ses dénégations, ce grief est parfaitement caractérisé.

- l'employeur communique l'attestation de Mme [NZ], de nationalité italienne, qui déclare notamment qu'ayant le sentiment que son rôle était dévalorisé, elle s'est "permise", lorsque les 5 chefs de service de l'association ont été conviés pour se présenter à l'occasion de la première réunion du nouveau Bureau, de ne pas uniquement citer son nom et son service, mais aussi de dire depuis combien de temps elle était à l'AIST et les domaines dans lesquelles elle intervenait (bilanciel, fiscal et financier). Mme [NZ] poursuit son témoignage comme suit :
"À la sortie de la réunion les commentaires inconvenants de M. [T] ne se sont pas fait attendre en déclenchant l'hilarité de complaisance de Mme [X], responsable du service ressources humaines à l'époque. En date du 29 mai 2008, lors de la réunion de direction, M. [T] est revenu sur l'épisode de la présentation aux membres du Bureau et a déclaré en présence de Mme [D], Mme [X], Mme [B], M. [V] et moi-même : "comment dit-on lèche cul en italien ? ça doit se dire [NZ] !" J'ai attendu mais en vain une réaction de Mme [D] qui est restée muette et même qui plus tard et face à plusieurs personnes s'était vantée en disant que M. [T] "m'avait remise en place". Cet épisode m'a profondément déstabilisée dans mon travail car je me suis sentie une nouvelle fois humiliée. Je tiens à préciser que je n'ai jamais proféré aucune insulte à l'encontre de M. [T] en quelque langue que ce soit."

Mme [JJ] témoigne de ce que Mme [D] s'est effectivement réjouie devant elle, en indiquant que M. [T] avait "remis à sa place" Mme [NZ].

M. [T] concède avoir tenu de tels propos, mais les met sur le compte d'une simple plaisanterie en invoquant le témoignage de Mme [X]. La proximité de cette dernière avec la directrice et l'intimé, l'appréciation portée par Mme [D] sur ces propos devant Mme [JJ] et le temps qui s'était écoulé entre la réunion de présentation de l'encadrement au bureau de l'association le 05 mai et la tenue des propos litigieux le 29 mai, retire toute valeur probante à l'attestation de Mme [X].

Le caractère injurieux et offensant de la réflexion faite par M. [T] rend inopérante l'objection élevée par l'intimé fondée sur la liberté d'expression dont il a, en l'espèce, abusé.

Alors que M. [T] n'établit nullement avoir fait l'objet d'une quelconque provocation de la part de Mme [NZ], de tels propos injurieux et blessants caractérisent à eux seuls un fait rendant impossible la poursuite de la relation de travail.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et M. [T] sera débouté de l'ensemble de ses demandes financières subséquentes " ;

1/ Alors que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, en jugeant le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, après avoir retenu qu'il est intervenu, à l'occasion de la présentation de l'audit portant sur la gestion du personnel, de manière agressive pour exiger de deux autres salariées qu'elles expriment leur gratitude à la direction, quand la lettre de licenciement ne mentionnait pourtant pas ce fait, ni l'attitude agressive du salarié, mais " une attitude méprisante, de dénigrement, voire même d'insultes à l'égard de certains membres du personnel de l'Association ", la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

2/ Alors, par ailleurs, qu'en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'en décidant, en l'espèce, que le licenciement du salarié est fondé sur une faute grave, après avoir relevé qu'il a tenu à l'égard de Mme [NZ] des propos injurieux et offensants le 29 mai 2008, soit plus de deux mois avant l'entretien préalable qui s'est déroulé le 6 novembre 2008, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'employeur justifiait avoir eu connaissance de ce fait dans le délai de deux mois précédent l'entretien préalable, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte précité ;

3/ Alors, en tout état de cause, que le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, sauf abus caractérisé par le fait que les propos tenus par le salarié comportent des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que les propos adressés par un salarié sur un ton humoristique, bien qu'ils puissent éventuellement être blessants, ne sauraient être considérés comme injurieux, diffamatoires ou excessifs, de sorte que, relevant de sa liberté d'expression, ils ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, en jugeant le licenciement fondé sur une faute grave, après avoir relevé que le salarié a tenu à l'égard de Mme [NZ] des propos injurieux et offensants et considéré qu'ils constituent un abus de sa liberté d'expression, quand la tonalité humoristique de ces propos permettait les privait de tout caractère injurieux ou offensant, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [T] de sa demande visant à la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 31.513,92 euros en réparation du préjudice moral subi en raison du caractère vexatoire et humiliant de son licenciement ;

Aux motifs que " III - sur le caractère vexatoire du licenciement :

Au soutien de sa demande tendant à voir la cour condamner l'employeur au paiement de la somme de 31513.92 euros en réparation du préjudice moral subi lié au licenciement vexatoire et humiliant de son licenciement, M. [T] qui expose avoir vu son honneur et sa réputation bafoués, indique avoir été profondément atteint par cette rupture qu'il qualifie de discriminatoire en raison de sa situation familiale.

(…)

En l'espèce, l'intimé établit que le licenciement de sa conjointe dans les jours précédant son propre licenciement laisse supposer l'existence d'une discrimination à son égard en lien avec sa situation conjugale.

Toutefois, il ressort de la motivation qui précède que son licenciement repose sur des faits objectivés qui lui sont directement imputables et sont sans lien avec sa situation familiale.

Par ailleurs, il ne résulte pas des éléments de cause que le licenciement présente un caractère vexatoire. M. [T] n'argumente pas en quoi le licenciement présenterait un quelconque caractère vexatoire ou humiliant.

Faute d'en justifier, la demande présentée de ce chef sera rejetée.

Alors que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen, en ce que la cour d'appel a jugé le licenciement fondé sur une faute grave, entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation du chef de l'arrêt ayant débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et humiliant, motivé par le seul fait que ce licenciement repose sur des faits objectivés qui lui sont directement imputables et sont sans lien avec sa situation familiale.

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